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Jérôme Cazalbou sur le XV de France : "la culture française privilégie le 9 au détriment du 10"

L’ancien demi-de-mêlée du Stade Toulousain, international à quatre reprises à la fin des années 90, était bien placé pour nous expliquer les problèmes de charnières rencontrés par le XV de France. Consultant pour France Télévisions pour qui il commente les matches de la Challenge Cup, Jérôme Cazalbou est revenu sur la difficulté pour les sélectionneurs de trouver l’ouvreur idéal, moderne, celui qui sait tout faire. Selon lui, la culture française qui a tendance à confier les clefs de l’équipe au 9 serait responsable. Explications.
Article rédigé par Grégory Jouin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
 

Camille Lopez semblait avoir pris plusieurs longueurs d’avance sur la concurrence depuis un an à l’ouverture. Sa blessure est un vrai coup dur pour le XV de France. On a l’impression que les solutions de rechange sont minces quel que soit les joueurs appelés à jouer en novembre (Trinh-Duc, Belleau, Plisson)…
Jérôme Cazalbou : Effectivement. Si on regarde la liste élite sur laquelle est censé s’appuyer Guy Novès et son staff, il y avait Camille (Lopez), excellent mais victime d’une grave blessure en Coupe d’Europe, Jean-Marc Doussain qui s’est aussi blessé dernièrement et qui est aujourd’hui soumis à la concurrence de Zach Holmes au Stade Toulousain, Jules Plisson, François Trinh-Duc, Romain Ntamack même s’il a peu de matches en Top 14, sans compter deux joueurs qui étaient sur la liste « développement », Anthony Belleau et Brandon Fajardo qui joue très peu avec la Section Paloise. Le réservoir à ce poste-là est relativement limité. Le staff va soit rester sur quelque chose de connu avec Jules Plisson ou François Trinh-Duc, soit apporter de la fraîcheur avec Belleau. Plisson vit une saison un petit peu compliquée avec le Stade Français. Trinh-Duc avec Toulon est parfois positionné à l’ouverture, parfois au centre, et il n’a pas toujours pu conserver sa place en équipe de France. Du coup, est-ce qu’on donnera sa chance à la jeunesse en mettant Belleau d’emblée à l’ouverture ? Contrairement à l’an dernier où l’on avait pu jouer les Samoa avant les grosses équipes, on attaque cette année avec les All Blacks puis les Springboks. Il y a toujours un petit risque mais la carte Belleau peut être utilisée.

Quid d’un retour de Lionel Beauxis qui semble retrouver une seconde jeunesse ou d’une solution autre, avec un 9 évoluant en 10 (Baptiste Serin aujourd’hui comme Morgan Parra, excellent lors du Mondial 2010) ?
JC: Baptiste Serin a joué à ce poste-là avec Bordeaux-Bègles en fin de saison dernière. Mais franchement je ne suis pas pour ce type de polyvalence parce que ça contrarie malgré tout la progression du joueur. L’exemple typique, c’est Frédéric Michalak qu’on positionnait à la mêlée. Puis, quand il faisait deux mauvaises performances en 9, on le mettait à l’ouverture. Quand il faisait un moins bon match en 10, on le remettait à la mêlée. Ca peut nuire. C’est vraiment une solution temporaire pour dépanner. Ca avait été le cas de Morgan Parra lors des phases finales de la Coupe du monde 2011mais il y avait eu des blessés et c’était peut-être trop tard pour faire rentrer quelqu’un. Là, on n’est pas dans ce cas-là. Il y a effectivement une problématique à court terme. On a quand même mis deux jeunes joueurs sur la liste comme Ntamack et Belleau qui avait été très bon en phases finales du Top 14 au printemps et qui effectue un bon début de championnat avec le RCT cette année. Je pense qu’il faut s’appuyer là-dessus aussi bien pour le court et le moyen terme que pour le long terme dans un contexte qui ne sera pas simple. Quant à Lionel Beauxis, c’est vrai qu’on peut tenir compte de la politique de l’homme en forme et il l’est à Lyon qui domine le Top 14. Mais on n’est pas tourné vers l’avenir dans ce cas. Et Lionel, qui a de formidables qualités de joueur au pied, ne fait pas partie des premiers choix de Guy Novès (il n’est d’ailleurs sur aucune des deux listes dévoilées ce mercredi, NDLR).

Doit-on sélectionner le meilleur 10 intrinsèquement ou le plus complémentaire avec le 9 style Elissalde-Michalak il y a dix ans ? Il y a un équilibre de la charnière à trouver…
JC: Le problème est toujours le même. Dans la tête des sélectionneurs, est-on uniquement sur la politique de l’homme en forme au détriment du projet de jeu ou au contraire veut-on travailler sur les acquis de joueurs qui ont participé précédemment à des tournées et qui ont déjà entendu le discours du staff pour rester dans une continuité ? Il y a eu parfois dans le passé des associations de paires de club liées à une problématique temporaire ou pour privilégier les automatismes. Je crois qu’aujourd’hui ce n’est plus forcément la priorité.

Contrairement aux pays anglo-saxons, le XV de France a souvent eu de grands demi-de-mêlée, plus rarement de grands ouvreurs. Comment expliquer ce problème persistant ?
JC: En France, on a une culture de formation du demi-de-mêlée. On a des jeunes très intéressants qui montrent le bout de leur nez. Malheureusement, le poste d’ouvreur n’a jamais fait partie des priorités parce que, dans notre culture, on donne plus de prérogatives au 9 qu’au 10. On fait jouer au pied nos jeunes ouvreurs beaucoup trop tardivement et ils ont de grosses carences dans ce secteur de jeu. On se retrouve souvent en difficultés parce que le choix du demi-d’ouverture est relativement restreint. On a souvent eu de grands 8 ou de grands 9 en France, moins de grands 10 même s’il y en a eu. Mais quand un très bon ouvreur était présent, il avait très peu de concurrence. Quand il se blessait, ça nous posait énormément de problèmes. Au contraire, les pays anglo-saxons donnent beaucoup de responsabilités au numéro 10 ? Et même dans notre championnat, où il faut rester vigilant, beaucoup de 10 étrangers sont des titulaires indiscutables dans les clubs de haut niveau. Si on regarde le match non pas sur un plan serré mais sur un plan plus large, on voit souvent le 10 donner ses consignes au demi-de-mêlée pour préparer ses sorties de balle, pour travailler les futurs temps de jeu. Ils ont été formés pour être des patrons sur le terrain. En France, on a bien travaillé sur les 9, il faut en faire de même avec les 10 pour qu’on ait deux patrons sur le terrain.

On a eu de très bons 10 dans l’histoire du XV de France mais tous ont été critiqué à un moment ou un autre : Mesnel, Penaud, Deylaud, Delaigue, Lamaison, Michalak, Beauxis, Trinh-Duc, Plisson, Lopez. Est-on trop dur avec eux ?
JC: Là-aussi c’est une culture française. Les entraîneurs qui ont eu des résultats sont ceux qui ont installé un ouvreur sur la durée. Il faut miser sur une charnière et laisser le temps au temps même si ça peut parfois être frustrant pour la concurrence. Ils doivent prendre leurs marques vis-à-vis de leurs avants et des trois-quarts. Le seul risque, et c’est déjà arrivé, c’est la blessure qui peut enrayer cette politique. Mais il y a une pression de l’extérieur, des journalistes mais aussi de la vox populi, pour monter très vite et très haut des joueurs et les descendre ensuite après deux mauvais matches. Comme ils sont le lien entre avants et trois-quarts, ils sont plus sujets aux critiques. Quand le XV de France rate un match, la charnière est toujours montrée du doigt.

Un numéro 10 buteur et gestionnaire comme Jonny Wilkinson, Ronan O’Gara ou Owen Farrell vaut-il mieux qu’un ouvreur plus entreprenant ballon en mains comme Beauden Barrett ou avant lui Fred Michalak ou Stephen Larkham ?
JC: Aujourd’hui on voit que les nations qui dominent sont celles qui alignent des ouvreurs complets, chefs d’orchestre de l’équipe également capables de créer des brèches en attaquant la ligne. Le 10 d’aujourd’hui est beaucoup plus qu’un buteur. En France, le demi-de-mêlée est souvent un buteur ce qui contribue à cette prédominance du 9 sur le 10. Quand on voit Beauden Barrett ou les 10 modernes, et même quand on voit le Owen Farell des Saracens davantage que celui de l’Angleterre où il peut jouer 12, ce sont des joueurs qui mettent de la vitesse dans leur jeu, qui attaquent la ligne, qui sont à l’unisson avec leur 9. Aujourd’hui, le rugby qui gagne est celui de la vitesse. L’Angleterre de Wilkinson, je ne suis pas sûr qu’elle gagnerait aujourd’hui comme elle l’a fait à l’époque avec un gros pack et un immense buteur. C’était un autre rugby. Le profil des ouvreurs français doit changer. Il faut amener de la vitesse de course et de la vitesse dans la gestuelle. Il faut un jeu au pied de très haut niveau pour inverser la pression et alterner le jeu, et les deux pieds si possible. Un bagage complet en somme.

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