Meneur de grève, marié à Las Vegas et maître Capello : la vie ovale de Philippe Saint-André
Alors que la France entame la Coupe du monde de rugby, samedi face à l'Italie, le sélectionneur de l'équipe de France attire les critiques. Mais ses détracteurs connaissent-ils les secrets du "Goret" ?
Alors que le XV de France dispute le premier match de la Coupe du monde de rugby, samedi 19 septembre, Philippe Saint-André apparaît dans tous les journaux pour clamer la confiance qu'il garde en ses joueurs. Pourtant, le général en chef des Bleus compte le plus mauvais bilan des sélectionneurs français, avec un pourcentage de victoire de 42%. Depuis sa prise de fonction fin 2011, la France du rugby raille le manque de fond de jeu de son équipe. Et la presse a fait de l'ancien ailier une de ses têtes de Turcs favorites.
Les journaux regorgent aussi d'informations plus surprenantes sur lui. On apprend ainsi, dans Paris Match, que son sport favori n'est pas le rugby, mais le tennis. Le jeune Philippe a taquiné la petite balle jaune jusqu'à l'adolescence, était classé 2/6 à 16 ans, et a tranché sur le tard en faveur du rugby, sport numéro un dans sa ville natale de Romans-sur-Isère (Drôme).
Du "Crocodile" au "Goret"
Sur les courts, le jeune Philippe était surnommé "le Crocodile". Et c'est aussi au tennis qu'il doit son surnom animal le plus célèbre : "le Goret". Certains affirment que ce sobriquet était lié à l'odeur de son sac de sport, d'autres à son attitude un peu frustre sur les terrains de rugby. C'est son petit frère Raphaël, cité par les DNA, qui livre la version officielle : "[Après un match de tennis], à un gars qui se la ramenait, dans le style je sais tout, [Philippe] lui avait dit : 'Tu ressembles à maître Capello'. Et le gars lui avait répondu du tac au tac : 'Et toi, tu me fais penser à un goret.' C’est resté." Bien que grand amateur de saucisson, d'après Le Parisien, PSA goûterait peu son surnom porcin.
Avant qu'il ne devienne un entraîneur très critiqué, Philippe Saint-André était un joueur adulé, capitaine du XV de France, auteur de retentissants exploits et considéré comme un exemple par ses pairs. Y compris quand il s'agit de faire la fête. Dans le livre d'Alain Gex intitulé Secrets de troisième mi-temps (éd. La Martinière, 2014), dont PSA signe la préface, le sélectionneur d'aujourd'hui défend "ces moments de fraternité, où l'eau claire n'est pas, naturellement, la meilleure des boissons festives".
Trésorier malin et meneur de grève
Le livre raconte aussi comment, en 1993, lui et ses Bleus ont décidé de s'amuser au bar du Royal Monceau, à Paris. Pour assurer un approvisionnement liquide à moindre frais, Philippe Saint-André s'adonne à une technique bien rodée. En charge de la caisse des joueurs pour la soirée, il dit au barman: "Vous leur servez à boire jusqu'à 5 000 francs, pas un sou de plus."
Une fois la somme atteinte par ses coéquipiers, il s'éclipse et évite soigneusement le barman qui ne parvient pas à refuser de servir les imposants rugbymen, bien au-delà de la limite établie par PSA. Ce dernier finit par se montrer et enguirlande le pauvre bougre : "Fallait me prévenir, j'avais dit 5 000 et pas au-delà ! Tant pis pour vous."
Le Goret n'était pas là que pour la rigolade. C'est lui qui a mené les Bleus lors d'une retentissante fronde contre la fédération, en novembre 1995, quinze ans avant la grève des footballeurs français en Afrique du Sud. L'incident se déroule à quelques jours d'un test-match contre les All Blacks, à Toulouse. Les joueurs français boycottent une réception officielle à la mairie et menacent de faire grève. Comme l'explique Sport365, ils veulent dénoncer un problème de primes de matchs et exigent l'instauration du professionalisme en France.
Les médias s'emparent de la polémique qui prend de l'ampleur et échappe aux joueurs. Dans son livre Rugby, où sont tes valeurs ? (éd. La Martinière, 2014), Laurent Bénézech, vice-capitaine du XV de France, affirme avoir dû "jouer les pompiers avec les médias". Selon lui, Philippe Saint-André tentait, pendant ce temps-là, de sauver sa peau auprès des instances, en désignant Bénézech comme le responsable de l'emballement.
Au final, les Français ont gagné le match 22 à 15, Laurent Bénézech n'a plus jamais rejoué en bleu, alors que PSA est, lui, resté capitaine. Depuis, les relations entre les deux hommes sont glaciales. A tel point que le sélectionneur a attaqué son ancien coéquipier en diffamation en 2013 (il a été débouté en 2014).
Sa carrière de joueur lui a également permis de se découvrir une autre passion : les affaires. A la fin des années 1980, il était joueur à Clermont, et L'Equipe raconte qu'il a une intuition payante : "A l'époque, au stade Michelin, un truc épate l'ailier star des Jaunards : tant d'espace vide qui pourrait accueillir de la pub. Il va voir ses dirigeants, demande à s'en occuper. Feu vert." Il crée sa propre régie publicitaire, une entreprise qui est toujours florissante. Aujourd'hui, il possède aussi un restaurant et des parts dans un casino.
Des conférences de presse pleurnichardes ?
Les affaires tournent bien, mais finissent par lui attirer des ennuis. Il est d'abord mis en cause en 2011 dans une affaire de fraude fiscale avancée par Le Monde (contre qui il a porté plainte pour diffamation). Puis son nom se retrouve lié à un possible conflit d'intérêts dans un dossier de revente de places de matchs du XV de France, comme l'explique le JDD.
Ses anciens partenaires et les médias ne sont pas les seuls à lui chercher des noises. Les détracteurs du sélectionneur moquent fréquemment ses conférences de presse où l'homme aux yeux bleu piscine semble être régulièrement au bord des larmes, la voix chevrotante. Le compte Twitter parodique @PSA_OuinOuin en a fait sa spécialité.
Quand je pense qu'on joue l'Angleterre la semaine prochaine pic.twitter.com/hJYJEIhhsV
— Philippe Ouin-Ouin (@PSA_OuinOuin) 15 Mars 2015
"Que le match soit gagné ou perdu, il y en a un autre en conférence de presse et, là, je ne suis pas très bon", reconnaît l'intéressé dans Le Parisien. Ces difficultés contrastent avec la jovialité et le côté affable que décrivent ses proches. Son frère Raphaël, cité par les DNA, l'explique par un handicap dont il souffrait enfant. "Il était dyslexique et avait du mal avec l’expression orale. Il n’était pas doué en français ou dans les langues, comme la plupart des dyslexiques."
"Un accent anglais à deux centimes"
Malgré son accent anglais "à deux centimes", comme il le dit lui-même à Sud-Ouest, PSA prend pourtant la direction de Gloucester, en Angleterre, en 1996. Il y conclut sa carrière de joueur et devient entraîneur à succès. C'est aussi en Angleterre qu'il rencontre la femme de sa vie, Patricia, une Vénézuélienne qui tient un boutique de fleurs en face de chez lui.
Nouveau contre-pied inattendu en 2004, puisque le couple choisit de se marier à... Las Vegas (Etats-Unis). Et depuis 2009, toute la famille vit dans le Var. "Chez nous, il y a un brassage de langues en continu ! se félicite dans Gala le père de deux enfants, l'un né en France et l'autre en Angleterre. A la maison, ça parle anglais et espagnol, mais d'après ses proches, Philippe Saint-André reste très attaché à ses origines drômoises. "Il téléphone à ses parents et à son frère cadet Raphaël presque trois fois par jour", affirme son épouse.
Un ancien arrière qui privilégie la puissance des avants, un communicant fermé volontiers blagueur dans l'intimité, un accro à sa famille allergique à l'anglais qui s'exile outre-Manche... Les contradictions s'accumulent. Et si le secret de Philippe Saint-André était d'être là où on ne l'attend pas ? Comme par exemple à la tête d'une équipe championne du monde.
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