Cet article date de plus de neuf ans.

Oreilles déchiquetées, doigts dans les yeux et petite pincette aux testicules, bienvenue sous la mêlée !

Manger beaucoup d'ail pour souffler son haleine sur ses adversaires ? Cela existe. Mais cela vous paraîtra gentillet en comparaison avec les autres coups tordus des avants. 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Une mêlée lors d'un match Worcester-Bath, en championnat anglais, le 1er novembre 2013.  (LAURENCE GRIFFITHS / GETTY IMAGES SPORT)

Vous pensiez que, la mêlée, c'était seize joueurs qui poussaient pour récupérer le ballon ? Vous n'avez pas tort. Mais, pour les détails, on repassera. Ce qui se passe dans une mêlée n'en sort pas. "Tant que vous n'avez jamais joué en première ligne, c'est difficile de savoir vraiment ce qui s'y passe", expliquait l'ancien pilier anglais Jeff Probyn au Guardian. De l'avis général, cela s'est quand même bien apaisé. Car, à une époque, tous les moyens, vraiment tous, étaient bons pour gagner le ballon. Inventaire non exhaustif. 

Des armes blanches en première ligne

La France est exclue du Tournoi des cinq nations au début des années 1930, officiellement pour professionnalisme déguisé. Mais surtout pour la violence de ses joueurs. "C'est ce qu'on peut faire de mieux sans couteaux ni revolvers", confie le pilier tricolore Allan Muhr après un match (perdu) contre les Etats-Unis aux JO 1924. Sans couteaux ? Comme le rappelle le Guardian, il n'était pas rare que les joueurs des équipes de village conservent une arme blanche dans leur short. On ne sait jamais... C'est à cette époque qu'a été enregistré le premier mort sur un terrain. Lors d'un match particulièrement engagé entre Perpignan et les "traîtres" de Quillan, débauchés du club catalan par un riche industriel contre un bon salaire, le talonneur Gaston Rivière ne se relève pas d'une mêlée écroulée. Sa sixième vertèbre fracturée, il meurt à l'hôpital deux jours plus tard. Les commentateurs avaient vu juste en parlant de "rugby de muerte", constate Henri Garcia dans La Fabuleuse Histoire du rugby

Le Dolpic, arme secrète des piliers

Cette pommade chauffante ne servait pas seulement à se remettre de ses bobos après la rencontre. Les "gros" s'en enduisaient consciencieusement les mains pour caresser les yeux de leur vis-à-vis de mêlée à la première occasion. Une coutume qui perdurera jusqu'aux années 1990. De quoi le rendre aveugle pour toute la partie. Dans son Dictionnaire du rugby, l'ancien pilier Serge Simon note, ironiquement : "Prévoir une petite réserve dans le short afin de ne pas en manquer au cours du match."

La mêlée française, reine de l'uppercut

L'image qui restera du deuxième Grand Chelem français, en 1977, c'est Jean-Pierre Rives "Casque d'or", ballon à la main. Mais c'est surtout au pack français que l'on doit cette série de victoires. Ces avants, qui petit-déjeunaient joyeusement au vin rouge le matin du match, n'avaient pas leur pareil pour inspirer la terreur à leurs adversaires. Prenez Alain Estève, deuxième ligne. Le talonneur gallois Bobby Windsor en fait encore des cauchemars. "Dans la mêlée, il chantait doucement 'Bob-bee' et, d'un seul coup, son énorme poing me cognait les côtes, raconte Windsor à WalesOnline. Pour me venger, je lui ai un jour donné un terrible coup de pied dans la figure. Il s'est relevé, tranquillement, et m'a fait un clin d'œil. Il en faut beaucoup pour me ficher les jetons, mais là je me suis dit 'Putain de merde !'." A l'époque, France-Pays de Galles est le choc entre les deux meilleures équipes d'Europe. "Je finissais toujours le match avec un nez cassé", soupire Windsor, dans The Evening Standard. "Après le match, on buvait toujours une bière ensemble. Estève était un mec vraiment sympa, hors du terrain."

Le talonneur anglais Brian Moore lors d'un match contre l'Afrique du Sud, le 11 juin 1994 au Cap.  (DAVID ROGERS / GETTY IMAGES EUROPE)

 

La première ligne française n'est jamais en reste quand il faut sortir la boîte à gifles. Lors du Tournoi des cinq nations 1992, le France-Angleterre le plus houleux de l'histoire, le talonneur anglais Brian Moore confesse au Guardian avoir passé les quatre-vingts minutes à vérifier qu'on n'allait pas le frapper dans le dos. Il faut dire qu'il avait chauffé ses adversaires en leur crachant dessus à chaque mêlée. Ce jour-là, les Anglais étaient les plus forts. Son compère de première ligne, Jeff Probyn, mettait sur le reculoir à lui tout seul la mêlée française. "Il se prenait des pains à sa droite, à sa gauche, devant lui, mais jamais il n'a flanché", raconte, admiratif, Mickey Skinner dans le Times. 

Les bijoux de famille, une cible comme les autres

La première protection qu'ont portée les joueurs de rugby n'est pas le casque (autorisé en 1996) mais la coquille, pour décourager les mains baladeuses dans les mêlées. Les avants de Bègles-Bordeaux, mêlée la plus redoutable de France au début des années 1990 (Vincent Moscato, Serge Simon et Philippe Gimbert), l'ont ainsi adoptée en 1993, relève The Independent. Leur usage s'est généralisé d'abord en France, où le malaxage de testicules était fréquent. Le pilier gallois Graham Price résume dans le Guardian : "A l'époque, tant que la balle sortait correctement de la mêlée, l'arbitre laissait faire."

La France, l'autre pays de la fourchette

Le Néo-Zélandais John Daniell a terminé sa carrière en France. S'il a été attiré par l'art de vivre à la française, le deuxième ligne kiwi a eu une sacrée surprise pour sa première mêlée. "Je vous assure que c'est particulièrement désagréable de sentir un doigt sale grattouiller l'arrière de votre orbite, raconte-t-il avec force détails dans le Daily Telegraph. Et particulièrement effrayant. J'ai aussitôt paniqué, et cessé tout ce que je faisais – c'est le but de la fourchette. En quinze ans de rugby en Nouvelle-Zélande, on ne m'avait fait que deux fourchettes. En un mois en France, j'ai perdu le compte." A l'époque, dans une mêlée, les premières lignes poussent, les deuxièmes lignes font la police, et les troisièmes lignes lancent des projectiles sur les adversaires (souvent de la boue quand la météo s'y prête). Il a donc fallu que Daniell s'exécute à son tour.

Sa cible ? Jean-Michel Gonzalez, le spécialiste de l'exercice pour Biarritz. "J'étais très nerveux. J'ai dû prendre sur moi, car je ne savais pas trop comment m'y prendre techniquement. Je ne voulais pas causer de lésions. La première fois, je n'ai pas poussé assez fort, et rien ne s'est passé. J'ai respiré un grand coup, et j'ai enfoncé mon doigt de nouveau. J'ai entendu un 'crac'. Cette fois, Gonzalez était vraiment affecté. Après le match, on a pris une bière ensemble et il m'a dit, magnanime : 'C'est le jeu, c'est le jeu.' Ce n'est pas comme si c'était la première fourchette qu'il encaissait..." Aujourd'hui, les sanctions ont été fortement durcies, et on ne voit presque plus de fourchettes sur les terrains. Tant mieux, car, quand elles n'ont pas lieu dans le cadre obscur de la mêlée, les images sont carrément effrayantes (âmes sensibles s'abstenir). 

Mordre l'oreille d'un adversaire n'est pas réservé qu'à Mike Tyson

Jusque dans les années 1970, le rugby était vraiment un sport de brutes (pratiqué par des gentlemen, c'est une autre histoire). Ainsi, il a fallu attendre 1976 pour qu'en Australie une morsure sur un adversaire soit sanctionnée. En 1945, Bill McRitchie s'est fait déchiqueter l'oreille pendant une mêlée et a dû passer plus de quatre mois à l'hôpital. Dans son témoignage devant la commission de discipline, il explique avoir dû... mordre à son tour son adversaire, Frank "Bumper" Farrell, pour qu'il lâche prise. La commission de discipline de la ligue australienne innocente Farrell de toute charge par 15 voix contre 13. Ce dernier a fait forte impression sur la commission en expliquant... avoir laissé son dentier au vestiaire, et qu'il aurait fallu qu'il arrache l'oreille de McRitchie avec ses gencives. 

Au plus haut niveau, les mêlées n'ont plus rien à voir avec tout ce folklore, même si un coup de poing est vite arrivé (pas vrai Sébastien Chabal ?). Il est loin le temps où un capitaine roumain présentait son visage tuméfié et griffé à Jacques Fouroux, demi de mêlée des Bleus, qui rétorquait, impassible : "Ça ? C'est le soleil." Le deuxième ligne anglais Wade Dooley rappelle dans le Daily Mail que la multiplication des caméras et les plus grandes prérogatives données aux juges de touche ont fait beaucoup pour éradiquer la violence. "A notre époque, l'arbitre était un homme seul." 

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