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France-Nouvelle-Zélande 1999 : dans les coulisses du "plus grand match" de l'histoire de la Coupe du monde du rugby

Vous avez forcément des souvenirs brumeux de cette demi-finale extraordinaire. Mais connaissez-vous les coulisses de cette rencontre ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
L'ailier français Philippe Bernard-Salles célèbre son essai en demi-finale du Mondial de rugby face à la Nouvelle-Zélande, le 31 octobre 1999 à Twickenham.  (ROSS KINNAIRD / GETTY IMAGES SPORT CLASSIC)

C'est l'histoire du plus grand exploit du rugby français. C'est aussi le plus beau match de l'histoire de la Coupe du monde, certains diront même de l'histoire du rugby tout court. Le 31 octobre 1999, dans un stade de Twickenham plein à craquer d'Anglais qui ont pris fait et cause pour l'outsider tricolore, l'histoire bafouille. Toute ressemblance avec la situation des Bleus de Philippe Saint-André, qui défient les Néo-Zélandais, samedi 17 octobre, en quarts de finale du Mondial de rugby, ne serait pas purement fortuite. Raison de plus pour revivre ce match incroyable.

>> Mondial de rugby : suivez le match entre la France et la Nouvelle-Zélande 

En 1999, la France, c'était (presque) la Roumanie

C'est peu dire que la qualification de la France en demi-finale du Mondial 1999 est inespérée. Le Tournoi des cinq nations s'est révélé catastrophique, la tournée estivale en Nouvelle-Zélande calamiteuse et le premier tour terriblement laborieux. Les Bleus n'ont obtenu leur qualification en quarts de finale que grâce à un essai litigieux face aux Fidji. Pour la force collective, on repassera. "Les joueurs ne s'entendaient pas spécialement bien", acquiesce l'adjoint du sélectionneur Pierre Villepreux, dans L'Equipe. Le capitaine Raphaël Ibanez pose le débat en ces termes : "Je ne voudrais vraiment pas que la France devienne la Roumanie du rugby international." 

En face, les All Blacks. Meilleure nation du monde, comme d'habitude. Favorite du tournoi, comme d'habitude. Mais un peu moins discrète qu'à l'accoutumée. L'avion d'Air New Zealand qui transporte les joueurs est décoré d'un immense dessin de la première ligne néo-zélandaise. Adidas, devenu équipementier de l'équipe, a placardé des affiches dans toute l'Europe pour vanter ses champions. Les bookmakers cotent la France à 20/1, et proposent plutôt de miser sur l'ampleur de la fessée que prendront les Tricolores. Quarante points d'écart ou plus ? La veille, le sélectionneur australien, Rod McQueen, a expliqué qu'il était "certain" de retrouver les All Blacks en finale. 

Fou rire dans le vestiaire tricolore

L'affiche n'est pas très excitante, sur le papier. Même l'arbitre de la rencontre, l'Ecossais Jim Fleming, n'est pas spécialement heureux. "J'étais déçu d'avoir été désigné pour ce match, peste-t-il dans le Herald of Scotland. Ma dernière chance d'arbitrer une finale de Coupe du monde s'était évaporée."

L'ambiance est détendue dans le camp français. Dans le vestiaire, Emile Ntamack et Fabien Galthié sont pris d'un fou rire inextinguible. "Nous étions tranquilles", se souvient "Milou" Ntamack sur Rugbyrama"Si tu n'as pas le sourire au moment de rencontrer les All Blacks en demi-finale de la Coupe du monde, quand trouveras-tu ton plaisir dans ce jeu ?" s'enthousiasme Jean-Claude Skrela, le sélectionneur, cité par Libération. Au moment de pénétrer sur la pelouse, Fabien Galthié hurle : "On est des champions !" Les joueurs ont passé la semaine à s'en convaincre. 

Le haka – un Ka-Mate assez dépassionné, le Kapa-O-Pango, plus guerrier, n'ayant pas encore été écrit – ne galvanise pas plus que ça les All Blacks. Le sélectionneur, John Hart, ne croit pas trop à la puissance du rituel maori, de toute façon. "Je me crispais quand les joueurs ne chantaient pas tous l'hymne national, regrette-t-il dans le livre Legends in Black. J'ai essayé d'y remédier, mais je ne pouvais pas les forcer. Beaucoup trouvaient que le moment d'expression, c'était le haka."

Des dreadlocks en moins et un scrotum en vrac

L'ailier des All Blacks Jonah Lomu lors de la demi-finale perdue contre la France, le 31 octobre 1999 à Twickenham.  (DAVID ROGERS / GETTY IMAGES EUROPE)

Dès l'entame du match, les Français choisissent d'attaquer les Blacks sur le physique. Ils se mettent à plusieurs pour stopper Jonah Lomu, l'ailier néo-zélandais, 1,95 m pour 100 kg, quitte à se faire traîner accroché à son short. Lomu, avec sa coiffure en forme d'aileron de requin, perce deux fois la défense tricolore en première période. Le surpuissant ailier des Blacks n'est pas le seul à bénéficier d'un traitement de faveur des Bleus. Le troisième ligne Josh Kronfeld est victime d'une fourchette à l'œil droit par un avant français… et, dix minutes plus tard, il subit le même traitement à l'œil gauche. Il verra flou pendant toute la rencontre, note le New Zealand Herald. Un autre joueur est touché au scrotum – une habitude lors des France-Nouvelle-Zélande. "C'était un match physique, brutal, mais en 1999, le rugby était brutal", juge le médecin des Blacks dans L'Equipe

"Dans les meilleures équipes françaises, l'artiste côtoie le boucher", a dit un jour l'ouvreur Franck Mesnel, finaliste du Mondial 1987 contre la Nouvelle-Zélande. Les Bleus font surtout parler le côté équarisseur en première période. Le centre Richard Dourthe est déchaîné : il fracasse à deux reprises le jeune demi de mêlée des Blacks Byron Kelleher, et va au combat face à la montagne de muscles Tana Umaga… au point de lui arracher ses dreadlocks et de les ramener, telles un trophée, dans le camp français. "Regarde ce que j'ai dans les mains !" s'écrie-t-il, comme un enfant fier de sa bêtise, à Titou Lamaison.

Les Français concèdent une kyrielle de pénalités (treize !), une sale habitude. Jean-Claude Skrela disait toujours que son équipe démarrait les matchs à 0-9 à cause de son indiscipline. "Si les cartons jaunes avaient été en usage, deux Français, au moins, auraient passé dix minutes sur la touche, se souvient l'arbitre du match, Jim Fleming, qui fait passer le message à Raphaël Ibanez, dans le couloir qui mène aux vestiaires. Les Bleus sont menés 17-10 à la pause, et c'est bien payé. 

"Vous ne sentez pas le doute dans leur regard ?"

Fabien Pelous se souvient de n'avoir jamais douté de la victoire. C'est aussi le message tenu par Marc Lièvremont dans le vestiaire de Twickenham : "Les gars, vous ne voyez pas qu'ils commencent à gamberger dès qu'on leur fait mal ? retranscrit-il dans son livre Cadrages et débordements. Dès qu'on se met à jouer, on les pousse à la faute ! Vous ne sentez pas le doute dans leur regard ? Ça ne se passe pas comme prévu pour eux. On tient le bon bout les gars ! Faut insister, ça va passer." Aussi incroyable que cela puisse paraître, l'analyse très optimiste du troisième ligne des Bleus est partagée par le coach adverse. Jim Hart donne pour consigne à ses joueurs de fermer le jeu à double tour. "Mais ils en ont décidé autrement", soupire l'entraîneur. 

Le début de la seconde période donne raison aux Kiwis. Jonah Lomu inscrit un nouvel essai, portant le score à 24-10. C'est à cet instant précis que la machine se dérègle. "Ce qui s'est passé en seconde période – en y repensant des années plus tard – semble inexplicable, écrit Jonah Lomu dans son autobiographie. C'était irréel. Les Français ont tout simplement pris feu. Que dire des essais qu'ils ont marqués ? Que dire des rebonds heureux et des changements de jeu ? La balle leur appartenait. A chaque fois qu'ils marquaient une pénalité ou un essai, nous nous disions que nous n'avions qu'à reprendre le contrôle de la partie. C'était trop tard."

"On continuait à s'enfoncer dans la merde"

La panique se lit sur le visage des Néo-Zélandais, à mesure que Christophe Dominici, l'ailier aux cheveux péroxydés, Richard Dourthe, le scalpeur d'Umaga, et Philippe Bernat-Salles, le poids plume de 75 kg chargé de contenir Lomu, inscrivent trois essais splendides. "Mon meilleur souvenir de ce match, c'est quand les Néo-Zélandais ont commencé à marcher, tête basse", jubile le troisième ligne Olivier Magne, dans le Guardian. L'envoyé spécial d'ESPN se souvient que les journalistes néo-zélandais avaient l'air d'avoir été "tous foudroyés en même temps".  

Les joueurs néo-zélandais lors de leur demi-finale de Coupe du monde de rugby perdue contre la France, le 31 octobre 1999.  (MICHAEL STEELE / GETTY IMAGES EUROPE)

Les joueurs ne sont guère en meilleur état. "Après chaque essai, on se regroupait et on se disait : 'on s'en tient à notre plan', raconte Josh Kronfeld. Mais on continuait à s'enfoncer dans la merde." Trente-trois points encaissés en une demi-heure, soit autant que… pendant toute la durée de la Coupe du monde, un essai des All Blacks pour sauver l'honneur, et les Français s'invitent en finale sur le score de 43-31. On a même entendu une Marseillaise reprise en chœur par le public anglais en seconde période. "En deuxième mi-temps, ils criaient 'Allez les Bleus !', et quand tout a été fini, ils m’ont timidement demandé : 'Mangerez-vous désormais du bœuf anglais ?'" raconte une supportrice tricolore dans Le Monde.

Vous avez dit match de légende ? Pour le spectateur le mieux placé au monde, c'est loin d'être évident. "Après la rencontre, j'ai réalisé que j'avais vu un bon match de rugby, mais il a fallu un moment pour que je me rende compte à quel point la partie avait été excitante. Et quel suspense !" reconnaît l'arbitre Jim Fleming. 

Au mépris des sacro-saintes valeurs du rugby, la plupart des Néo-Zélandais, humiliés, ne raccompagnent pas les Bleus au vestiaire par une haie d'honneur. Jonah Lomu ne s'en est toujours pas remis : "J'étais un des cadres de l'équipe. J'ai demandé aux joueurs de rester pour féliciter les Français avec une haie d'honneur. Etre humble dans la victoire, c'est facile. Etre élégant dans la défaite, ça l'est moins. Beaucoup ont quitté la pelouse. Ils n'en avaient tout simplement pas le droit. Nombre d'entre eux étaient jeunes, et cette défaite était trop lourde à porter. "

Les joueurs français célèbrent leur victoire contre la Nouvelle-Zélande, le 31 octobre à Twickenham (banlieue de Londres).  (POPPERFOTO / GETTY IMAGES)

SOS supporters en détresse

Dans les vestiaires, l'équipe de télévision qui devait tourner un documentaire narrant la victoire des All Blacks lors de cette Coupe du monde remballe son matériel, raconte le Guardian. Le film, qui aurait pu s'appeler Les Yeux dans les Blacks, ne verra jamais le jour. "Une ambiance de mort régnait dans le vestiaire, se souvient Andrew Mehrtens, le demi d'ouverture des Kiwis, dans le Herald Scotland. Nous étions tous dévastés. Il y avait la petite finale à jouer. Mais ça nous enthousiasmait autant que de rouler une pelle à notre grand-mère."

Au pays, le choc est terrible aussi. Le gouvernement envisage sérieusement de mettre en place un numéro vert d'écoute pour les supporters en détresse, avant de renoncer, conscient du ridicule de la situation. En détresse ? Un parieur néo-zélandais inspiré, un seul, a misé sur les Bleus à 25/1 et empoche un gain de 30 000 euros. 

Les Français, eux, ont gagné leur Coupe du monde, même si la finale est dans une semaine. Les festivités s'étendront tellement que les Bleus ne feront illusion qu'une mi-temps contre l'Australie. Un match que tout le monde a oublié. Contrairement à cette demi-finale de légende. 

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