Elite 1 : entre déséquilibre et manque de moyens, qu'est-ce qui cloche dans le championnat de France de rugby féminin ?
Si le rugby féminin continue de se développer en France, le championnat de première division, l'Elite 1, peine à endosser le costume de locomotive. Avec une compétition à deux vitesses, où se côtoient professionnelles et amateures, l’investissement de la fédération pose question. Stéphane Nello, président de Chilly-Mazarin, contraint de déclarer forfait pour la fin saison en février dernier, résume la situation : "C’est le pot de terre contre le pot de fer."
Depuis 2018, l'Elite 1 a déjà connu quatre formules différentes, pour arriver à celle qui sera la sienne, au moins jusqu'à la fin de la saison prochaine : 12 équipes réparties dans deux poules de six. Brigitte Jugla, vice-présidente de la Fédération en charge du rugby féminin, vise un championnat à dix équipes pour la saison 2024-2025. Une façon de réduire les écarts et de répondre à un autre problème, celui de la répartition des internationales.
"Le rugby féminin est convalescent mais les remèdes peuvent très vite le faire grandir ou le guérir."
Brigitte Jugla, vice-présidente de la FFR en charge du rugby fémininà franceinfo: sport
En effet, les internationales françaises, payées par la fédération, cristallisent indirectement les tensions. En cause, la décision de ne pas jouer de match de championnat lors des fenêtres internationales. Une solution qui favorise les gros clubs, qui ne se voient jamais amputés de leurs joueuses phares pour le championnat, alors que d'autres équipes, au budget plus fragile, ne bénéficient d'aucune compensation de la sorte, alors même que les blessures peuvent avoir un impact plus important sur leurs effectifs, déjà limités. Une situation critique pour Laura Di Muzio, présidente du Stade villeneuvois Lille Métropole, qui déplore "les décalages qui deviennent trop importants entre le club qui n’a rien et celui qui a des joueuses qui sont payées sans avoir à mettre la main à la poche".
Avec 5 clubs sur 12 n'ayant aucune joueuse sous contrat fédéral dans leur effectif, l'écart se creuse irrémédiablement. Une situation que dénonce la dirigeante lilloise : “La question c’est : comment on régule ? Comment on fait pour qu’il n’y ait pas cette concentration de certaines joueuses dans certains clubs ? On ne peut pas non plus empêcher les joueuses d’aller jouer dans le club qu’elles désirent, mais le système à l’heure actuelle n’est pas satisfaisant.”
Pour Nicolas Tranier, entraîneur de Blagnac, où évoluent 11 joueuses sous contrat fédéral, l’impact sportif est à nuancer, même s’il admet que la sécurité apportée est la clé. "Ce n’est pas le contrat fédéral qui va rendre la joueuse meilleure, précise-t-il, mais c’est vrai que c’est une situation confortable pour s’entraîner et progresser.”
Les tensions résident surtout dans le nombre de contrats fédéraux, bien trop faibles (32 joueuses en rugby à 15 et 18 en rugby à sept) en comparaison avec le nombre de joueuses engagées (plus de 300) en championnat. Pour tenter d’apporter sa pierre à l’édifice, le club de Villeneuve d’Ascq a choisi d’agir par lui-même. L’année prochaine, une partie de l’effectif signera un contrat sous forme de CDD sportif, à hauteur de 600 euros par mois. L'objectif est d'arriver à 50% puis 100% d’ici trois ans.
"L’idée, c’est d’avoir un contrat qui reconnaisse leur statut de sportive de haut niveau, qui leur ouvre des droits, qui leur permette d’avoir une rentrée d’argent fixe et qui leur permette d’avoir un salaire supérieur à ce qu’elles peuvent toucher en prime de match", témoigne l'ancienne internationale tricolore, Laura Di Muzio. Une question de survie aussi, pour le rugby français. "Si demain tu n’as plus de championnat, tu n’as plus d’équipe de France."
Deux forfaits en deux ans
Un championnat qui, pour la deuxième année consécutive, a perdu un club en cours de route. Après l’AS Bayonnaise l’an dernier, c’est le Rugby Club de Chilly Mazarin qui a baissé le rideau en février. Avec 22 blessées dans son équipe première, Stéphane Nello n’a eu d’autre choix que de mettre fin à la saison de son club en Elite 1. "Une décision devait être prise pour arrêter l’hémorragie et pour arrêter de mettre en danger l’intégrité physique des joueuses. C’est une décision réfléchie." Une situation qui souligne les problèmes auxquels est confronté le championnat.
Pour travailler à son développement et à celui des clubs, une Commission du rugby d'Élite féminine (CREF) composée d’élus, de salariés de la fédération, des présidents et managers du championnat et des syndicats, a été créée en novembre 2019. A l'origine d'un cahier des charges, moratoire, censé encadrer les acquis des clubs, son bilan est pourtant contrasté. L'année prochaine, ce cahier des charges sera obligatoire, à l'image de ce qu'ont fait les Anglais en 2017, quitte à laisser certains clubs historiques, en manque d'infrastructures, à quai.
Une réalité amateure que certains clubs du championnat ont réussi à surmonter en s’associant à des structures professionnelles masculines comme le MHR, Blagnac ou le Stade bordelais. Inévitable pour Stéphane Nello : "Vous n’avez pas le choix. On est en train de faire n’importe quoi, à faire de l’élitisme mais sans professionnalisme." Un atout que ne renie pas Nicolas Tranier, tout en réfutant l’idée que le succès de ses joueuses, premières et invaincues, viendrait de ce seul fait : "C’est facilitant, ça favorise le développement d’avoir une structure pro masculine à côté, même si ça ne fait pas tout non plus."
“Il faut impliquer ces internationales, qu’elles montrent un peu tout ce qu’elles font et ont en équipe de France, pour faire grandir aussi leur club. Il faut que ça soit un partage.”
Brigitte Jugla, vice-présidente de la FFR en charge du rugby fémininà franceinfo: sport
Si la professionnalisation du championnat est l’objectif désigné, l’accent ne doit pas être mis qu'au niveau des effectifs. "Il y a une nécessité d’avoir des staffs pros et pas seulement des joueuses pros", avance ainsi Nicolas Tranier. Une volonté affichée par Brigitte Jugla, qui compte travailler avec les staffs des équipes de France, et avec l'idée que les joueuses sous contrat fédéral puissent aussi partager leur expérience de retour en club. Une volonté freinée par l'absence d'internationales dans certaines équipes.
Prenant exemple sur l'Angleterre, Laura Di Muzio rappelle que cela ne se fera pas sans moyens. "Ils ont décidé il y a quelques années qu’ils voulaient la meilleure équipe du monde et savaient que cela passait par le fait d’avoir le meilleur championnat (...) Chaque club a eu des fonds pour embaucher des staffs professionnels et se structurer", faisant référence aux 2,4 millions de livres investis sur trois ans par la Fédération anglaise et directement répartis entre les clubs.
Un championnat en manque de financements
Le manque de moyens alloués à l'Élite 1 découle aussi du fait qu'il n’y a "pas assez d'informations, pas assez de visibilité”, souligne Brigitte Jugla, qui dénonce aussi la frilosité des diffuseurs."Il faut que tous les acteurs aient la volonté de donner un peu pour recevoir après."
Car si l’Angleterre peut se targuer d’avoir accédé à la professionnalisation, il faut rappeler que le championnat anglais s’est lancé avec le soutien financier d’un partenaire important, Tyrrells, aujourd'hui remplacé par Allianz. Une notion intégrée par Brigitte Jugla. "On veut rendre le championnat attractif, on veut qu'il ait un partenaire qui soit sponsor de l’Elite 1." Nicolas Tranier abonde dans ce sens : "Nous avons cinq à huit matchs à domicile à vendre pour attirer les partenaires." Des partenaires qui pourraient amener de potentiels diffuseurs, qui manquent cruellement au championnat.
Alors que Nicolas Tarnier souligne le besoin de "structurer par les jeunes", la fédération a fixé le cap à 2033 pour son "plan d’orientation stratégique". Un plan à long terme, justifié par un besoin de construire sur des "bases pérennes" les contours du rugby féminin français.
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