: Info franceinfo Arbitres agressés, bagarres... Face à la montée de la violence, la Fédération française de rugby dégaine son plan
Un arbitre de 19 ans agressé en février dernier, une bagarre générale d’une rare violence en Régionale 1 en décembre 2023, une équipe mixte de minimes de la région parisienne victime de racisme… Depuis quelques mois, ces faits émaillent la presse régionale et parfois nationale. La Fédération française de rugby (FFR) a décidé de se saisir de cette hausse, constatée, de la violence, et lance un grand plan applicable dès le début de la saison 2024-2025, voté vendredi 31 mai.
"Ce qui est le plus inquiétant, c’est le déplacement de la violence. Du terrain on passe au bord de touche, à derrière la balustrade puis dans la tribune et même en dehors du stade, analyse Sylvain Deroeux, secrétaire général de la FFR depuis juin 2023. Lorsque je suis arrivé à ce poste, je ne vous cache pas que j’ai été surpris du nombre de dossiers que je traitais et de ce que je découvrais dans les rapports", concède l’ancien troisième ligne.
Hausse des faits ou des signalements ?
"Et ça, ça nous inquiète, parce qu’on a des vraies hausses d’incidents. A partir du moment où la violence sort du terrain, on passe d’une procédure disciplinaire à une procédure pénale. Et c’est là où on doit être capables de mieux analyser d’où viennent ces violences", poursuit-il, chiffres à l’appui. Sur la saison 2022-2023, 6 092 dossiers ont été examinés par les Conseils de discipline institués par la FFR et les organismes régionaux. C’est 26% de plus que sur la saison 2021-2022. "Cette tendance semble se confirmer lors de la saison 2023-2024, puisqu’au 15 mars, 4 350 dossiers ont d’ores et déjà été examinés par les Conseils de discipline institués sur l’ensemble du territoire."
Pour Williams Nuytens, sociologue spécialisé en supportérisme du monde amateur, les violences dans le milieu amateur du rugby restaient auparavant en vase clos. Elles existaient, mais n’étaient jamais remontées par les instances régionales ni par les médias : "Ça se règle en famille. On met ça sous le tapis et ça fait partie même de la culture rugbystique. Ce qui fait qu'il y a beaucoup de faits de violence, notamment dans les compétitions de séries de Fédérale 3, de Fédérale 2, qui restent contenus dans l'univers rugbystique lui-même."
"Il y a un seuil de tolérance de la violence supérieur dans le rugby par rapport au football ou au basket par exemple."
Williams Nuytens, sociologue spécialiste de la question des violences dans le sportà franceinfo: sport
Mais pour Williams Nuytens, le seuil de tolérance a été franchi : "à cause, à mon avis, de faits gravissimes"."Je pense qu'il y a des comités en France qui ont pris un petit peu la mesure des phénomènes, qui ont diffusé des informations pour gérer des situations d'urgence, qui ont sensibilisé les forces de l'ordre local à des matchs potentiellement violents. (...) Objectivement, il y en a de plus en plus [de violences], mais parallèlement, on diffuse beaucoup plus d’informations", conclut le sociologue.
Faire connaître la Cellule de prévention et de protection
Mieux faire remonter les informations, c’est l’un des objectifs que se donne Sylvain Deroeux avec ce plan anti-violence articulé autour de quatre axes : "De la sensibilisation grand public, de l’information et puis de la formation et de la répression, de manière à monter les curseurs partout." Le secrétaire général de la FFR se désole du manque d'utilisation de certains processus, dont le C3PR (la Cellule de prévention et de protection des populations rugby, équivalent de Signal Sport) : "On a des outils à disposition qui ne sont jamais utilisés, ou peu utilisés. Les gens ne témoignent pas, ne parlent pas… Pour l’affaire de Lons-Bobigny, je commence tout juste à recevoir des témoignages pour qu’on puisse saisir des commissions. Il m’a fallu trois semaines."
"On ne nous a pas appris à le faire, on n'a pas le réflexe", concède Gabriela Tanga, joueuse de Bobigny, victime d'attaques racistes en avril à Pau, à L’Equipe. C’est aussi là-dessus que veut travailler la FFR, même si elle ne constate pas une augmentation des actes racistes : "Il faut aussi sensibiliser les joueurs et les joueuses. Le C3PR est un outil instantané. Et surtout, s’il y a des actes de racisme, sur ou en dehors du terrain, l’arbitre peut arrêter la rencontre. Le rapport de l’arbitre est en général le premier élément qui permet d’entrer dans la justice sportive. Dès qu’il y a un rapport d’arbitre, il y a une saisie automatique des commissions de discipline", insiste Sylvain Deroeux.
14% des dossiers concernent les arbitres et officiels
L’un des autres signaux d’alarme pour la FFR, ce sont les agressions d’arbitre : "14% des dossiers constituent une infraction aux officiels de match. Cela nous oblige à des réactions, dissèque Sylvain Deroeux. Les arbitres sont soumis au mieux au non-respect de l’autorité, au pire à des agressions verbales ou physiques." Plusieurs cas ont été médiatisés ces derniers mois. Mi-février, un arbitre de 19 ans a été mis KO lors d’une rencontre de Régionale 2 entre le Racing club du Las et le Rugby club du Beausset dans le Var : "Je me dirigeais vers le centre du terrain quand j’ai reçu un coup de poing par-derrière au niveau de la mâchoire. (...) Je suis traumatisé", confiait-il à Ouest-France.
"Au deuxième rang des victimes de violences, on retrouve les arbitres, souligne Williams Nuytens. Les choses ne sont pas faites à moitié. Ils peuvent être molestés collectivement. On n'est plus dans du 'comportement folklorique'." Pour le secrétaire général de la FFR, la tolérance zéro doit alors s’appliquer.
"Tu as agressé un arbitre, tu le paieras toujours. C’est une volonté politique de frapper fort et de faire respecter dans le temps ces sanctions."
Sylvain DeroeuxSecrétaire général de la Fédération française de rugby
D’autres leviers vont être utilisés par la FFR pour tenter de réagir et de faire baisser ces chiffres. D’abord améliorer l’identification de l’origine des violences : "Pour mieux les traiter et pouvoir sanctionner plus lourdement, beaucoup plus lourdement, un supporter qui tape un arbitre qu’un joueur qui fait un mauvais placage. Ça fait partie des axes sur lesquels on doit mieux travailler", avance Sylvain Deroeux.
"Le rugby se normalise"
D'autres sujets de sensibilisation, comme l'alcool, sont évoqués. "On peut se reposer la question de la diffusion massive d’alcool dans les stades. On est en train de réfléchir, notamment pendant les matchs de jeunes, à monter des opérations pilotes avec par exemple un mois sans alcool, trois mois sans alcool, une saison sans alcool… Parce qu’on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de débordements", poursuit le secrétaire général de la FFR.
Pour Williams Nuytens, c’est plutôt un travail structurel qu’il faudrait effectuer, parce que "le rugby est un sport comme les autres. C’est terrible à dire, parce que ça vient heurter la représentation qu’on a de cet univers-là. C’est toujours une vérité de dire que c’est une pratique avec une culture singulière, où les valeurs qui sont mises en avant sont tout à fait réelles. Mais le rugby est un sport qui se normalise. Et il faut que les dirigeants du rugby l’entendent".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.