Mourad Boudjellal : "Le rugby est le reflet de la société française, avec des gens brillants et des crétins"
Il affirme avoir tourné la page du rugby. Mourad Boudjellal revient pour franceinfo sur ses années à la tête du RC Toulon et sur "un héritage qui n'est quand même pas dégueulasse", Jonny Wilkinson, ses "bringues" avec Bernard Laporte et "la baraka" de Fabien Galthié.
C'est un personnage atypique qui a toujours détonné dans le monde du rugby. Président pendant 14 ans d'un des clubs français les plus prestigieux, le RC Toulon, sans jamais avoir lui-même joué, capable d'attirer des stars comme Tana Umaga, George Gregan ou Jonny Willkinson – "Peut être le plus grand" –, il n'y a pas laissé que des amis, lui qui a échoué dans ses tentatives d'accession à la présidence de la Ligue ou de la Fédération.
Dans son troisième livre, J'en savais trop..., il assure en avoir fini avec Toulon et le rugby et, jamais en manque de projets, c'est désormais dans le football qu'il rêve de rebondir, à l'Olympique de Marseille ou ailleurs... Mourad Boudjellal, 60 ans, s'est confié à franceinfo, et comme souvent, la langue de bois n'est pas de mise. Notamment quand il s'agit de parler de son successeur à la tête du RCT, Bernard Lemaître, de celui qui en a été l'entraîneur, Bernard Laporte, ou de Fabien Galthié, le sélectionneur du XV de France.
franceinfo : Bernard Lemaître vous a succédé à la tête du RC Toulon, dont vous avez été le président pendant 14 ans. À son arrivée, il a affirmé que le club entrait dans "une ère nouvelle" et assuré qu'il se baserait sur "une gestion saine au niveau économique et financier", après des années d'"un modèle qui conduit dans le mur".
Mourad Boudjellal : J'ai cette envie qu'on n'abime pas mon passage au RCT. Je trouve un peu dommage de mentir et d'essayer de valoriser sa présidence en dévalorisant la précédente. Ce serait bien de temps en temps qu'on dise : on a un héritage qui n'est quand même pas dégueulasse. J'aurais bien aimé avoir le même héritage, moi. Quand j'ai repris le club, j'avais deux salariés, une stagiaire et un bureau de 20 mètres carrés, c'est tout. Il n'y avait rien, et une équipe en Pro D2.
"Il y a quand même du boulot qui a été fait et on ne peut pas le dénigrer sans arrêt."
Mourad Boudjellalà franceinfo
Je raconte cette anecdote : ma fille voulait aller au stade. Il n'y avait que 5 000 places, donc c'était compliqué d'en trouver une, sinon, j'en aurais acheté une. Donc, je n'ai pas de place, voilà... Est-ce que c'est normal ? Moi, ma place, j'ai dû la payer 10 millions, c'est ce que ça m'a coûté. C'est symbolique : bien sûr, je peux acheter une place. Je retournerai sûrement au stade lorsque le public sera accepté, j'irai acheter mon billet, ce n'est pas très grave. J'achetèrai une place, si les gens trouvent ça normal, c'est très bien.
Est-ce qu'aujourd'hui, la page avec le rugby est vraiment tournée ?
Aujourd'hui, j'ai pris ce que j'avais à prendre. J'ai tout gagné. Si dans votre vie, vous devez faire "re", ce, n'est pas amusant, ça veut dire que vous êtes mort ! Les gens qui veulent revivre, ils sont déjà morts, puisqu'ils n'ont plus rien de nouveau à vivre. J'avais envie d'une autre expérience, depuis deux ans, je voulais partir.
Il n'y a pas si longtemps, en 2016, vous vouliez pourtant vous présenter à la présidence de la Ligue nationale de rugby. Ça aussi, c'est fini ?
Aujourd'hui, ce n'est plus mon intention. Je pense qu'ils n'ont pas besoin de moi. J'ai fini mon histoire avec le rugby, je l'ai décidé. Pourtant, beaucoup de gens m'ont incité à y aller. Je peux vous dire, j'ai reçu des messages, mais je n'irai pas. Mais ça ne m'empêchera pas de continuer à dire ce que je pense du monde du rugby. Il y avait de grandes choses à faire avec la Ligue. Ils n'imaginent pas ce sur quoi ils sont assis, ils n'imaginent pas... C'est dommage, parce qu'il y a vraiment un truc extraordinaire à faire avec le rugby. Aujourd'hui, il y a tout à revoir dans la façon dont le rugby professionnel est géré, mais on peut vraiment en faire un sport... Pas le premier sport français, mais un deuxième qui soit beaucoup moins loin du premier. Ça, c'est sûr. Oui, c'est un regret. J'aurais pu le faire.
Est-ce que vous vous êtes déjà senti accepté dans ce milieu ?
C'est un milieu qui est... Il faut déjà avoir joué au rugby. Vous n'avez pas de légitimité si vous n'avez pas joué au rugby. Ce qui est stupide, parce qu'être président d'un club, ça n'a rien à voir. Vous pouvez être gérant d'un garage automobile sans avoir le permis de conduire. C'est pareil. Diriger un club, ce n'est pas jouer au rugby.
Est-ce que vous pensez avoir été victime de racisme ?
Dans le milieu du rugby ? Oui, mais comme partout. Le milieu du rugby est raciste, mais pas plus que la société. Quand vous vous êtes champion de France et champion d'Europe et que vous vous présentez au comité directeur face à un candidat qui est respectable, mais qui n'a jamais connu ni le Top 14 ni la Coupe d'Europe, et quand vous êtes battu par un candidat qui vient de monter, vous vous posez des questions [en 2016, Mourad Boudjellal avait annoncé sa candidature à la présidence de la LNR, mais avait échoué à se faire élire au comité directeur, condition sine qua non pour la présidence].
"Quand vous recevez de la part du milieu du rugby des courriers anonymes avec des insultes racistes,vous vous posez des questions."
Mourad Boudjellalà franceinfo
Sur n'importe quel article, sur n'importe quel président, dans les commentaires, on dit : "Il est bon, il n'est pas bon, je suis d'accord, je ne suis pas d'accord"... Moi, c'était : "Va brûler des voitures, c'est dans tes gènes". Je lisais des commentaires comme ça, voilà. Ça veut dire que oui, il y a une forme de racisme. Mais ce n'est pas une excuse parce qu'il n'y en a ni plus ni moins qu'ailleurs. Le rugby est le reflet de la société française, avec des gens brillants et des crétins.
Vous décrivez aussi dans votre livre un milieu où les présidents de clubs semblent vraiment apprécier les troisièmes mi-temps.
Les présidents sont des bons vivants. Ce qui me semblait juste un peu surprenant par moment, c'était des déjeuners où l'après-midi, on avait un emploi du temps très chargé, et sincèrement, des gens n'étaient pas en état de participer à cet emploi du temps. J'ai vu des présidents avachis, endormis sur leurs fauteuils l'après-midi. Parce qu'ils avaient trop bu à midi. Et je trouvais ça anormal.
En refermant ce chapitre, qui vous a le plus marqué dans le rugby ?
Jonny Wilkinson, bien sûr. Mais c'est au delà de son caractère, de son attitude. C'est le professionnalisme. Je n'ai jamais vu un fou de boulot pareil. Jonny Wilkinson, vous arrivez le matin, il est déjà là, il s'entraîne. Et vous partez très tard le soir, il est toujours là. Tous les jours, qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il fasse beau, il est toujours là. Il n'y a pas de secret. Il y a le talent, mais il y a une telle masse de travail qu'il était obligé de réussir. Je vais faire un parallèle avec Maradona. Il y a des joueurs qui pratiquent un sport, Wilkinson ou Maradona pratiquent un art. C'est différent. Ces joueurs quand ils jouent, quand ils pratiquent leur sport, ils s'expriment comme un peintre. Je les mets dans cette catégorie "artistes". Il y a des sportifs et des artistes. Pour eux, c'est un véritable mode d'expression. Comme Van Gogh, comme Léonard de Vinci, qui s'exprimaient dans la peinture, eux s'expriment dans le sport. Mais c'est un personnage, Jonny Wilkinson ! Je me souviens du soir où il a demandé à me voir, à mon bureau, pour me dire qu'il allait arrêter à la fin de la saison. Je suis rentré chez moi et ça me faisait bizarre... Et puis surtout, on n'avait pas droit de le dire. C'était un secret lourd à porter. C'était peut être la fin d'un des plus grands joueurs de tous les temps. Peut être le plus grand.
Et Bernard Laporte, l'entraîneur du RCT de 2011 à 2016 ?
On a fait des bringues, quand on s'est vraiment rapprochés... Vous savez, Bernard Laporte, quand vous voulez passer une soirée avec lui, il y a toute une préparation avant... De diète, déjà... Une préparation physique ! Je n'ai pas toujours eu le temps de me préparer pour passer la soirée avec Bernard Laporte. Il faut au moins quinze jours ! C'est comme quand on prépare un marathon, c'est une préparation de sportif de haut niveau...
Autre personnage dont vous parlez beaucoup dans votre livre, c'est Fabien Galthié, l'actuel sélectionneur du XV de France. Vous n'êtes pas forcément tendre avec lui.
Oui, mais je l'aime bien. Je précise quand même que l'année où il est venu à Toulon [en tant que directeur sportif, en 2017-2018], je lui ai fait la plus belle équipe qu'on puisse faire. Mais c'était une année difficile pour lui. Je ne dirais pas pourquoi, mais une année difficile. Peut être que dans des circonstances plus simples, il aurait mieux réussi. On voit qu'il fait du bon boulot en équipe de France, qu'il est très bien entouré. Fabien Galthié est le meilleur technicien français. Je peux vous dire que moi, j'ai appelé Bernard Laporte à l'époque pour lui dire de prendre Fabien Galthié. Il n'a pas besoin de mes appels, Bernard Laporte, il savait ce qu'il avait à faire, mais je lui dis : prends-le, c'est le meilleur technicien français, mais il faut qu'il soit bien entouré. Et s'il est bien entouré, il va faire des ravages. Et on se rend compte aujourd'hui que ça marche. Après, il a un peu la baraka aussi, parce qu'il y a une génération...
"Le problème de Fabien Galthié aujourd'hui n'est pas de savoir quels sont les 23 joueurs qui vont jouer la Coupe du monde, mais de choisir les 23 qui vont la gagner. Parce qu'il en est là : à qui je fais gagner la Coupe du monde ?"
Mourad Boudjellalà franceinfo
On a la "génération Canal+" aujourd'hui, avec le rugby professionnel sur Canal+... Une génération extraordinaire. On a un nombre de joueurs incroyable. Et à mon avis, cette génération est tellement au dessus que... Fabien Galthié, ça va rimer avec Aimé Jacquet.
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