Rugby : vis ma vie de supporter de Clermont, "loser" jusqu'au bout des ongles
Vingt-sept finales, vingt défaites. Le ratio des Clermontois dans les moments décisifs est calamiteux. N'empêche : leurs supporters y croient dur comme fer. Cette finale de Coupe d'Europe contre Toulon, samedi 2 mai, c'est la bonne.
"Jaunard", ça rime avec poissard. L'ASM Clermont Auvergne traîne depuis un siècle une réputation de loser, tout juste égalée par les Buffalo Bills en football américain de l'autre côté de l'Atlantique. Clermont (qui s'appelait à l'époque Montferrand), c'est quand même une équipe qui a réussi, en 1957 et face à Dax, à perdre une finale conclue sur le score de 6-6 sur le terrain... parce que ses joueurs étaient plus jeunes que l'équipe adverse (la règle de la victoire au bénéfice de l'âge s'appliquait).
Le club auvergnat défie Toulon en finale de la Coupe d'Europe, samedi 2 mai. Et ses supporters espèrent qu'il ne va pas perdre sa 21e finale, toutes compétitions confondues.
Douze avions à deux pour Clermont
On ne verra que du jaune (et du bleu) dans les tribunes de Twickenham, près de Londres, théâtre de la finale de la Champions Cup. Les supporters clermontois déferleront sur la capitale britannique. "On a affrété douze avions, se félicite Thierry Fraisse, président de l'association du XV du Charbon. A Toulon, ils peinent à en remplir deux. Il y a tellement d'attente ici !" Tant pis pour le prix du billet, tant pis si l'organisateur a distribué gratuitement plusieurs milliers de sésames lundi soir, dans une tentative désespérée de remplir le stade. "Nous, on a payé le prix fort : 90 euros pour être derrière les poteaux, poursuit Thierry Fraisse. Si on gagne, ce sera oublié. Sinon..."
Gagner. Un mot banni du vocabulaire chez les "Jaunards", habitués à des saisons canon et aux finales en mode boulet. L'étiquette de loser éternel ne s'efface pas comme ça. Surtout chez les supporters adverses. "Dès que je porte une écharpe, un maillot, n'importe quoi aux couleurs jaune et bleu, ça ne rate pas, je me fais chambrer, confie Alexis, 23 ans, dont 14 passés à supporter l'ASM. Cette semaine encore, on m'a dit que je n'avais pas mis la bonne écharpe, celle rouge et noir [les couleurs de Toulon]."
"Je ne suis pas le chat noir du club !"
Et pourtant, Clermont a déjà gagné une finale de championnat de France, le 29 mai 2010, qui est au rugby clermontois ce que le 12 juillet 1998 est au football français. "Ce jour-là, j'ai réalisé que je n'étais pas le chat noir qui faisait perdre le club, sourit Jean-Pierre Jannot, président du groupe de supporters des Arvernes de Lutèce. J'ai eu beaucoup de mal à y croire. J'avais complètement intégré la malédiction. Forcément, j'ai fait toutes les finales depuis les années 1970." Agé aussi d'une cinquantaine d'années, Thierry Fraisse se souvient d'avoir vu des larmes dans la tribune auvergnate : "Au coup de sifflet final, j'ai dit : 'Ça fait 100 ans que j'attends ça.' On a tous un père ou un grand-père qui n'aura jamais eu l'occasion de vivre ce moment-là."
Loin d'avoir été un déclic, la victoire de 2010 n'a pas été suivie d'autres trophées. Le côté Poulidor demeure, avec cette première finale de Coupe d'Europe perdue inexplicablement en 2013 contre Toulon, que les Auvergnats retrouvent cette année en finale dans un remake au goût de revanche. De quoi décupler la motivation des supporters. "On ne pouvait pas devenir un club normal, estime Alexis. Après le Brennus en 2010, certains disaient qu'on ne parlerait plus de Clermont. Or, la ferveur a redoublé." Et le cœur des supporters neutres penche sans doute du côté des Auvergnats, veut croire Sylvain, supporter de l'ASM exilé en terre bordelaise pour ses études : "Il y a une amicale des supporters de Clermont même à Bordeaux. Lors de la finale de 2013, j'étais dans un bar rempli de supporters clermontois. Il y avait trois Toulonnais, tout au plus. Pourtant, c'est nous qui sommes repartis tête basse..."
"Le champagne est déjà au frais"
N'empêche, le supporter clermontois est un indécrottable optimiste. "Chaque année, mon père me dit en début de saison : 'Cette fois, c'est la bonne, je la sens bien'", ironise Axelle, Clermontoise expatriée à Paris. Le club auvergnat s'enorgueillit de vendre le plus de packages (places vendues à l'avance) pour les demi-finales de Top 14. Certes, le club y participe presque toujours. Presque. Pas l'année dernière, à cause d'une improbable défaite en barrages contre Castres, qui a mis fin à une série de 77 matchs sans défaite dans la forteresse du stade Marcel-Michelin. "Cette série d'invincibilité, dans trente ans, on ne s'en rappellera plus. Moi, je me moque de perdre des matchs à domicile si on accroche une étoile au maillot", veut croire Jean-Pierre Jannot, qui avait réservé 250 places pour les demi-finales. Certains n'ont pas eu le cœur de s'y rendre. N'empêche : le carnet de commandes pour la fin de saison 2015 est déjà plein, alors que l'ASM n'est pas sûre de figurer dans le dernier carré.
Idem pour cette finale de Coupe d'Europe. "J'ai pré-réservé mes places trois mois avant les quarts de finale", affirme Alexis. Sylvain, le Bordelais, va retourner dans le bar où il a assisté à la défaite des siens deux ans plus tôt. Même pas peur de porter la poisse. "J'ai parié il y a six mois qu'on ferait le doublé", renchérit Jean-Pierre Jannot. Pas au point de sabler le champagne avant le coup de sifflet final ? Presque. "Le champagne est déjà au frais", confie Axelle. "En 2013, on avait emmené la bouteille de champagne à Dublin, raconte Alexis. Cette année, on va monter à Londres sans. Je deviens de plus en plus superstitieux. Pour le 1er mai, cette année, je n'offre pas de muguet. C'est l'emblème de Toulon ! On ne plaisante pas avec ça !"
Le mot de la fin pour Sylvain, qui a peur que l'histoire bégaie : "J'espère qu'on ne va pas perdre dix finales de Coupe d'Europe avant d'en gagner une, comme en championnat."
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