6 Nations : L'équipe de France face à la pression d'une victoire finale
Le discours est immuable : "On ne parle pas de Grand Chelem." Samedi dernier, à la sortie d'une victoire historique à Cardiff (27-23), qui aurait pu faire naître une démesure dans leurs propos, les joueurs de l'équipe de France n'ont jamais franchi la ligne rouge. "Il ne faut pas s'emballer", affirmait Romain Ntamack, le demi d'ouverture auteur de l'essai assassin sur la pelouse du Principality Stadium. Les uns après les autres, ils renvoient dans les 22m toute velléité d'évoquer un possible Grand Chelem. "Le sujet du Grand Chelem va être abordé", avançait à Cardiff Fabien Galthié. "On ne peut pas faire semblant de ne pas l’entendre, pour le traiter le mieux possible sur la partie émotionnelle."
Tout sauf des bleus
Il faut dire que, comme l'avait affirmé Charles Ollivon à la veille du match au pays de Galles, "on n'est pas des gosses sortis du Top 14". L'inexpérience de ce groupe, tant remarquée par Eddie Jones, le sélectionneur de l'Angleterre, et par la presse toute entière, n'est qu'un trompe-l'oeil. Ce groupe a de l'expérience. Nombre d'entre eux ont vécu suffisamment de désillusions en Bleu (comme celle d'avoir mené l'an dernier contre les Gallois 16-0 à la pause avant d'être battu en fin de match 24-19) ou en club, pour ne pas tomber dans le première piège tendu.
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Sur le chemin du premier Grand Chelem de la France depuis 2010, il reste un déplacement périlleux à Edimbourg, ce dimanche, face à une formation qui vient de remporter son premier succès de la saison, contre l'Italie. Cette victoire masque mal le danger qu'elle représente. Elle aurait pu battre l'Irlande à l'Aviva Stadium lors de la 1re journée, si Stuart Hogg n'avait pas laissé le ballon lui échapper au moment d'aplatir un essai.
C'est également cette formation qui, en 2019, avait failli battre l'Angleterre (38-38) à Twickenham après avoir été menée (31-0) et avoir mené (38-31) à quatre minutes de la fin du match. Enfin, le XV du Chardon a battu le XV de France lors de ses trois dernières venues à Murrayfield. Bref, le voyage ne sera pas de tout repos.
L'Irlande et Sexton, vieux tourmenteurs des Bleus
Et puis, il y aura la réception des anciens N.1 mondiaux irlandais le week-end suivant. Vaincu en Angleterre (24-12) voici 8 jours, le XV du Trèfle pourrait être le dernier à rivaliser directement avec la France pour une victoire finale. Les coéquipiers de Jonathan Sexton ont pris l'habitude de tourmenter les Bleus depuis de nombreuses années, et leur présence continue sur le podium du Tournoi depuis 2014 appelle à la méfiance.
En dernier lieu, il y a le coronavirus qui pourrait bien jouer des tours à la programmation de ce Tournoi des 6 Nations 2020. Bref, l'heure n'est pas venue de parler de consécration immaculée. En revanche, c'est bien la première fois depuis dix ans que les Français enchaînent trois victoires consécutives dans le Tournoi. Depuis 2010, ils ne l'avaient plus fait. Alors, être la dernière et unique formation à ne pas avoir connu le moindre revers change forcément des choses.
La pression, ces Bleus ne connaissent pas
"On reste un groupe en construction", clamait Arthur Vincent, le trois-quarts centre de 20 ans qui a fêté sa 3e cape à Cardiff. Jusque-là, l'équipe de Fabien Galthié a souvent joué le rôle d'outsider. Face au vice-champion du monde anglais, on lui avait prédit une explosion. Face aux Italiens, la rechute, éternel pêché français, lui était annoncée. A Cardiff, pour son premier déplacement contre une formation invaincue à domicile depuis plus de deux ans, l'habituelle claque était au programme. Mais ce collectif déjoue tous les pronostics. Simplement, humblement.
"Il y a des comportements qui me montrent que cette pression, ils s'en servent", souligne Dimitri Yachvili, consultant France Télévisions. "Il y a cette solidarité sur le terrain, qui fait qu'on se sent épaulé quand on n'est pas bien. Cela fait baisser la tension, la pression, et cela crée une spirale positive." L'ancien demi de mêlée de l'équipe de France était du dernier sacre tricolore dans le Tournoi, en 2010. Entre un collectif sous pression d'une victoire finale et celui en mal de succès, il décrit bien des différences : "Lorsqu'on est dans une série de défaites, qu'on veut retrouver notre honneur, la pression est plus lourde, la chape de plomb plus importante. Là, les joueurs ont une pression plus positive, et ils sont dans une spirale positive. Mais un sportif, et encore plus de haut niveau, a toujours la pression, des résultats, de la performance individuelle, collective, des médias, du public... On s'en nourrit. Si la pression n'était que négative sur le terrain, cela n'aurait pas d'intérêt de jouer. Un sportif ne peut pas vivre sans elle."
"L'aspect psychologique aussi important que la tactique, la technique"
Lui, l'ancien buteur international du Biarritz Olympique se souvient de cette pression : "Ca me motivait, je donnais le meilleur de moi-même." Mais comment une équipe, décriée pendant tant d'années pour son incapacité à tuer les matches et à commettre trop de fautes dans la zone de marque, a pu devenir un tel monstre de sang froid ? "On joue comme on s'entraîne", estime-t-il. "Je pense que ce staff a mis beaucoup de rigueur, d'exigence, d'assiduité dans les entraînements. Et l'aspect psychologique, cela se travaille. C'est aussi important que la tactique et la technique. On a affaire à une nouvelle génération qui se met moins la pression que la précédente, que ce soit au rugby ou ailleurs."
Pourtant, Dimitri Yachvili sait que les médias vont évoquer ce Grand Chelem, pour lequel la France est la dernière et seule candidate. "Il y a un an, on était au fond du seau. Aujourd'hui, on veut mettre la pression pour un Grand Chelem", ironise-t-il. "Cela fait partie du chemin d'un sportif de haut niveau de gérer la pression de la presse. Il faut savoir garder l'humilité, et ne pas se laisser polluer la tête. Depuis le début, les Français se sont remis en cause à chaque match. L'Ecosse va nous poser d'autres problèmes que les Gallois." Même si les joueurs français ne veulent pas en parler, "forcément ils y pensent. J'espère bien, car c'est aussi un signe qu'ils ont de l'ambition."
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