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Six nations 2023 : "Une autre passion va prendre le relais, avec la ferme, les animaux..." Jessy Trémoulière explique les raisons de sa retraite internationale

Meilleure joueuse du monde 2018, la demi d'ouverture de l'équipe de France a décidé de raccrocher son maillot bleu à l'issue du Tournoi, suivant le chemin récent des Laure Sansus, Marjorie Mayans, Céline Ferer et Safi N'Diaye...
Article rédigé par Hortense Leblanc, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Jessy Trémoulière lors de la Coupe du monde de rugby 2022, en Nouvelle-Zélande, contre les Fidji. (ANDREW CORNAGA / MAXPPP)

Meilleure joueuse du monde de la décennie 2010-2020, Jessy Trémoulière (73 sélections) va disputer son dernier Tournoi des six nations, qui sera aussi sa dernière compétition avec le XV de France, à partir du dimanche 26 mars. Elle raccrochera ensuite les crampons avec les Bleues, même si elle continuera à jouer avec son club de Romagnat, pour se consacrer davantage à l'agriculture, une passion, et soulager son père, qui la remplaçait à la ferme familiale durant ses absences. 

Franceinfo: sport : Vous avez annoncé votre retraite internationale un peu plus de dix jours avant le début du tournoi, quand avez-vous pris cette décision ?

Jessy Trémoulière : C’est venu au fil du temps. Après la Coupe du monde, quand je suis revenue à la ferme, ça avait été compliqué pour mon papa et mon frère au niveau du boulot. On a une exploitation laitière avec 60 vaches et 300 hectares de surface agricole. Mon papa a 67 ans, ça a été compliqué pour lui sur les dernières semaines. Avec la préparation et la Coupe du monde, je suis partie presque six mois l'année dernière. Ce n’est pas un métier de tout repos, il faut aussi penser à sa famille, à sa santé. J’ai déjà perdu ma maman donc je n’ai pas envie de perdre mon papa. Je suis dans le rugby depuis l’âge de 17 ans, et je ne profite pas assez de la famille. J’ai donc envie de profiter de lui, et du fait qu’il puisse me faire une passation à la ferme.

On a donc longuement discuté à mon retour, et c’est vrai que je n’étais pas dans l’idée d’arrêter la sélection, mais c’est venu petit à petit. On n’a pas trouvé de solution donc j’ai décidé d’arrêter ma carrière internationale. Je le fais pour mon papa, qui a déjà fait beaucoup pour moi en me remplaçant à la ferme. J’ai déjà participé à deux Coupes du monde, ça fait douze ans que je suis en équipe de France. Ce n’est pas vraiment un regret, sinon j’aurais peut-être forcé un peu plus la chose. Mais j’ai, peut-être, aussi, fait un peu le tour.

C’est une passion qui prend le pas sur l’autre ?

Oui totalement. Je savais qu’à un moment donné, il y aurait ce choix à faire, mais je ne savais pas à quel moment ça arriverait. Maintenant c’est fait, une autre passion va prendre le relais, avec la ferme, les animaux. Je ne le fais pas à contrecœur parce que je sais que je vais y mettre autant d’investissement que je l’ai fait sur le terrain au rugby.

Malgré votre activité de joueuse internationale, ce travail à la ferme est-il financièrement indispensable ou est-ce un choix de votre part d’y travailler ?

Ce n’est pas du tout un choix financier. Je suis passionnée par la ferme. Elle me sort du rugby et vice versa. On a un contrat à 75% avec la fédération, on peut vivre pleinement du rugby, mais je n’ai jamais voulu quitter l’une de ces deux passions. J’ai quitté la ferme quand je faisais du rugby à 7 et j’y suis revenue parce que la nature et le travail avec les animaux me manquaient.

Les revenus du rugby ne vous donnent-ils pas les moyens de trouver et financer un remplaçant lors de vos déplacements avec le XV de France ?

C’est un coût qu’on peut se permettre, mais ce n’est jamais évident de trouver la bonne personne. On avait trouvé une apprentie, mais malheureusement ça n’a pas abouti.

De nouveaux projets à la ferme vont-ils devenir incompatibles avec la sélection nationale ?

Oui, on construit un nouveau bâtiment qui va être mis en service en juin ou juillet, avec deux robots de traite. C’est entré dans la réflexion, parce que mon papa m’a dit qu’il serait perdu avec l’électronique, et ce n’est pas à lui de s’en occuper. Ça fait aussi pencher la balance. On va dire que ça s’est fait assez naturellement, en pesant le pour et le contre, puis je pense aussi à ma vie future, et je n’ai pas de regrets dans le fait d’arrêter.

Vous allez tout de même continuer le rugby en club. Comment s’organisent vos journées entre la ferme et le rugby ?

Ce sont des longues journées, et il fallait faire un choix. Auparavant, je voulais mettre tous les moyens de mon côté pour être performante au rugby. Mais après la Coupe du monde, j’ai vu qu’il y avait de moins en moins la place pour le rugby. J’étais levée à 6h30 pour être à 7 heures à la traite. Ensuite je travaillais jusqu’à midi, puis on reprend à 14 heures pour finir à 20 heures. Cela fait des journées à rallonge, et je ne trouvais plus le temps pour faire des entraînements supplémentaires en plus de ceux du club. Avant, j’allais à la musculation trois fois par semaine, je faisais trois entraînements en club et trois entraînements en plus, en dehors du club, pour être performante avec les Bleues.

Lors de la Coupe du monde, vous aviez été reléguée sur le banc, avec une certaine amertume vis-à-vis du staff. Est-ce que cela a également pesé dans votre réflexion ?

Non pas du tout, parce que le staff a changé. Gaëlle [Mignot] et David [Ortiz] sont restés, et début janvier, on a eu un séminaire avec eux, durant lequel ils nous ont présenté le cadre, et j’ai vraiment vu un changement. Cette frustration appartient au passé, il faut avancer et ne pas tout remettre en question à la moindre petite chose. C’est vraiment un nouveau cycle, avec un nouveau management, des nouvelles joueuses. Il ne faut pas regarder derrière. Je ne vais pas pouvoir beaucoup profiter de ce nouveau cycle mais il faut prendre ce qu’il y a à prendre. A moi de m’amuser, de créer des souvenirs.

Il vous reste un tournoi à disputer, l’abordez-vous différemment ?

Complètement ! Avec du recul, je me demande pourquoi je n’ai pas fait ça sur tous mes tournois. On a envie de profiter vraiment du moment présent, de l’instant. Je discute davantage avec le staff dans les bureaux à Marcoussis, je profite mieux des personnes, parce que peut-être que je ne les reverrai plus. Quand on a la tête dans le guidon, on ne s’en rend pas vraiment compte, mais on réalise tout ça quand on arrive à la fin. Sur le terrain, je n’ai pas envie de me prendre la tête, je prends le ballon, je m’amuse, j’ai envie de profiter des filles, surtout celles avec qui j’ai des affinités. Mais je l’aborde de façon plus cool, en espérant que la plus belle des récompenses sera au bout.

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