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Irlande-France : le dernier tour de piste de Jonathan Sexton, la tête pensante du XV du Trèfle

L'ouvreur irlandais a toujours cru en son étoile, malgré les vents contraires. Mais son corps risque de le pousser prématurément hors des terrains. Peut-être son dernier Irlande-France ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
L'ouvreur irlandais Jonathan Sexton avant un match contre l'Ecosse, le 21 mars 2015 à Murrayfield (Ecosse). (RICHARD HEATHCOTE / GETTY IMAGES EUROPE)

Jonathan Sexton est devenu, en presque dix ans sous le maillot irlandais, avec le n°10 dans le dos, un des joueurs les plus populaires du pays. Peut-être une nouvelle fois lors de cet alléchant Irlande-France du Tournoi des six nations, samedi 25 février, à l'Aviva Stadium de Dublin. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il a dû braver les contrariétés pour atteindre ce niveau. 

"Ça ne se présentait pas bien"

Jonathan Sexton n'est pas tombé dans la marmite quand il était petit, mais il a sans doute hérité de prédispositions génétiques pour taquiner le ballon ovale. Une poignée de sélections sous le maillot vert pour son père, trois capes pour son oncle Willie. Le petit Jonathan emboîte le pas à ses aînés et tape la balle à la moindre occasion. Le dimanche après-midi sur le mur du fond du pub de son oncle, à Listelew, par exemple. "Les clients n'en pouvaient plus, et n'attendaient qu'une chose : qu'il s'en aille, raconte l'oncle au Telegraph. J'entends encore le bruit du ballon sur le mur." Convaincu d'être né sous une bonne étoile, il lâche un jour à la cantonade, le maillot couvert de boue : "Parrain, je te donnerai le maillot de ma première sélection en équipe d'Irlande." Il n'a pas 15 ans quand il lance cette promesse. 

"D'habitude, les meilleurs joueurs enchaînent un centre de formation juste après l'école. Pas moi. Ça ne se présentait vraiment pas bien", confesse Sexton dans The Irish Times. C'est le temps des vaches maigres, à écumer les magasins de Rathgar, petite ville de la banlieue de Dublin. Faire la plonge au club house de rugby, aider au salon de coiffure de sa mère, décrocher le téléphone au standard d'une compagnie d'assurances, mettre les mains dans le cambouis au sens littéral dans un garage. Le jeune Jonathan fait le tour de tous les petits boulots qu'il peut trouver. Il n'y a guère que le week-end qu'il s'adonne au rugby, quand il enfile le maillot floqué du 10 du club universitaire de St Mary.

"Mais qui est ce type ?"

Son destin bascule quand il claque le drop de la victoire en finale de la coupe régionale, en 2009. L'équipe professionnelle de sa province, le Leinster, le repère enfin, et l'embauche comme remplaçant. Il cire le banc... jusqu'à la blessure du titulaire, au tout début d'une demi-finale de Coupe d'Europe face à l'ennemi héréditaire, l'autre grande province irlandaise du Munster. Vingt minutes après son entrée en jeu, le centre du Leinster Gordon d'Arcy aplatit un essai en coin. Plutôt que de féliciter son partenaire, Sexton prend l'ouvreur adverse, Ronan O'Gara, entre quatre'z'yeux, et lui hurle à 50 centimètres du visage : "Je suis là maintenant ! Et je n'irai nulle part !"

Effectivement, Sexton fait désormais partie du paysage. Le Leinster remporte la Coupe d'Europe avec son jeune numéro 10 à la baguette. Mais l'horizon est durablement bouché en équipe nationale. La faute à O'Gara, l'ouvreur titulaire du XV du Trèfle, qui s'est demandé après ce premier contact houleux : "Mais qui est ce type ?" Des années plus tard, il confiera au podcast "An Irishman Abroad" avoir été bluffé par le courage de l'inconnu : "Je l'ai admiré pour avoir annoncé son arrivée dans la cour des grands de cette façon. Mais est-ce que j'allais lui faciliter la tâche ? Bien sûr que non !" Sexton, lui, s'en voudra beaucoup : "Je n'ai pas su lui montrer le respect que j'avais pour lui, racontera-t-il à la RTE. J'étais juste un gamin qui voulait l'impressionner. J'ai grandi en cherchant à lui ressembler." 

Six heures sans ballon, maximum

Même s'ils mettront des années à se l'avouer, O'Gara et Sexton sont sortis du même moule. Obsessionnel. "Johnny n'arrive pas à rester six heures sans taper un ballon ou penser au rugby", confie son capitaine au Leinster au site the42.ie. Méthodique. "Un travailleur acharné", résume l'ex-deuxième ligne Paul O'Connell. Armé d'une très haute idée de lui-même. "On a passé quelques matchs à se crier dessus. C'était dur de percer la muraille de certitudes qu'il avait construite autour de lui, cette conviction d'avoir tout le temps raison", raconte Brian O'Driscoll, le légendaire centre du XV du Trèfle, dans son autobiographie. Aussi exigeant avec lui qu'avec ses coéquipiers. "Je l'ai déjà vu fusiller de son regard dur un mec qui avait fait tomber le ballon", se souvient Laurent Labit, qui l'a eu sous ses ordres deux ans au Racing 92.

Lors de son passage en France, un de ses coéquipiers l'a qualifié dans le Midi Olympique, sous couvert d'anonymat, de "Zlatan du rugby". Hautain, l'Irlandais ? "Il n'est jamais venu boire un verre avec les gars", déplore un autre joueur du Racing, toujours anonyme. A croire qu'il choisit ses fréquentations. Il est de notoriété publique que Sexton adore boire des cafés avec le sélectionneur néo-zélandais du XV du Trèfle, Joe Schmidt. Dans l'arrière-salle d'un pub, avec sa petite voix, sans articuler, comme d'habitude. A ses débuts au Racing, il a rencontré de gros problèmes avec la langue de Molière. Au point que certaines combinaisons préparées la semaine étaient lancées avec le moins de mots possibles. Comme "Paris", prononcé "Par-ee"

"Jonno" fait de la résistance

Malgré un palmarès long comme le bras – sauf en Coupe du monde où il n'a jamais dépassé le stade des quarts de finale – et une popularité sans faille sur son île, Sexton n'a pas réussi à devenir l'égal d'un autre "Johnny" (Jonny) qui joue aussi avec le numéro 10. Wilkinson, bien sûr. Surnommez Jonathan avec ce même diminutif, et vous êtes sûr de l'énerver : "Tout le monde m'appelle Jonno, assène-t-il dans The Irish Times. Ma femme, mes amis d'enfance, ma famille. Mais Johnny est resté, je ne sais pas pourquoi. J'ai détesté ce surnom-là, dès le début. Je commence à peine à m'y faire." Pour des raisons marketing, sa biographie, Becoming a Lion, est pourtant signée Johnny Sexton...

Un Lion qui souffre. Depuis quelques années, Sexton enchaîne les commotions cérébrales, six en trois ans. En sang sur un plaquage de Mathieu Bastareaud, vomissant après un tampon face à un Gallois, "désossé" par un coup d'épaule de Yoann Maestri...

Le sélectionneur anglais Eddie Jones, "inquiet pour sa famille", lui a conseillé – non sans arrière-pensées – de raccrocher les crampons. The Irish Independent écrivait, en janvier 2016 : "Sexton devrait penser à s'arrêter avant qu'il ne soit trop tard." Qu'est-ce qui le fait encore courir ? Il compte déjà deux victoires dans le Tournoi des six nations, et il a mis fin à 110 ans de disette contre la Nouvelle-Zélande à l'automne dernier. D'autant que la relève est prête : Ian Madigan l'a remplacé avec brio à la Coupe du monde et le jeune Paddy Jackson était de la probante victoire en Afrique du Sud l'été dernier. 

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