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Tournoi des six nations : ces équipes qui aimeraient bien se joindre à la mêlée

Loin des projecteurs, pas moins de 42 pays européens s'affrontent tous les printemps pour dessiner la hiérarchie continentale. Une antichambre de l'élite du rugby.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le joueur géorgien Lasha Malaguradze est plaqué par le Namibien Renaldo Bothma lors du match de Coupe du monde entre les deux équipes, le 7 octobre 2015, à Exeter (Royaume-Uni). (DAVID DAVIES/AP/SIPA / AP)

Le saviez-vous ? Pendant le très médiatisé Tournoi des six nations, 42 autres équipes en décousent dans l'anonymat pour dessiner, chaque année, la hiérarchie du rugby européen. Sept divisions de six équipes chacune, où l'on retrouve des pays qu'on n'associe pas vraiment au ballon ovale, de la Finlande à la Turquie en passant par le Luxembourg. Juste en-dessous de la France, de l'Angleterre et des quatre nations de l'élite se trouve ce qu'on surnomme le "Tournoi des six nations B". Bienvenue dans l'élite du rugby d'en bas.

Forcément, le cadre est un peu moins glamour que Twickenham, Murrayfield ou le Millenium Stadium. Quand la Russie a (péniblement) battu l'Espagne (22-20) à Sotchi, le 6 février dernier, les tribunes étaient clairsemées (400 spectateurs), le terrain boueux, cerné d'une piste d'athlétisme où traînaient encore les matelas des sauteurs qui s'y étaient entraînés quelques heures plus tôt. Il n'empêche qu'on y a vu plus de cadrages-débordements et plus d'essais que lors de France-Irlande, de Pays de Galles-France, ou plus généralement que dans un Tournoi des six nations toujours plus fermé.

Dominatrice, la Géorgie "perd son temps"

Le "Tournoi B" – techniquement, on appelle ça l'European Nations Cup – regroupe six équipes qui disputent des matchs allers-retours pendant deux ans. Et à la fin, c'est la Géorgie qui gagne. Les Lelos ont remporté sept des huit dernières éditions – la seule qui leur a échappé est revenue à la Roumanie, l'autre épouvantail de l'épreuve. Le dernier de la poule est relégué pour faire la place au premier de la division inférieure. L'Allemagne a ainsi succédé à la Belgique dans cette antichambre de l'élite et lutte avec le Portugal pour arracher son maintien.

Légitimement, la Géorgie – 23 victoires et un nul, série en cours – réclame son passage dans le "vrai" Tournoi des six nations. Soit par un élargissement de la compétition (qui deviendrait alors le Tournoi des sept nations), soit par un système de promotion-relégation. Problème : si cette compétition est gérée par Rugby Europe, le Tournoi des six nations est, lui, organisé par les nations qui y participent... et qui n'ont pas envie d'y inclure un nouveau postulant.

La Géorgie a pourtant fait forte impression lors de la dernière Coupe du monde, en résistant une heure aux All Blacks, et en battant la Namibie et les Tonga. Beaucoup de ses joueurs évoluent en France – cinq chez le champion d'Europe en titre toulonnais – et la sélection parvient à remplir des stades de 45 000 places (à cinq euros pièce) pour les derbys contre les voisins roumains.


La Géorgie bénéficie du soutien inconditionnel... d'un ancien Premier ministre, Bidzina Ivanishvili, qui, en plus de collectionner les tableaux de Picasso ou les zèbres (si, si), a ouvert les cordons de sa bourse – presque cinq milliards de dollars, un tiers du PIB du pays – pour bâtir une demi-douzaine de centres d'entraînement flambant neufs dans tout le pays. "Nous avons de meilleures infrastructures que les Néo-Zélandais", expliquait au Times le sélectionneur Milton Haig.

Lequel regrette que son équipe stagne, faute de confrontations avec les meilleurs : "A part le match contre la Roumanie, le Tournoi des six nations B est un peu une perte de temps, peste-t-il dans le New Zealand Herald. Sans manquer de respect aux équipes que nous affrontons, nous voudrions jouer plus de matchs serrés, qui nous mettent sous pression." Ne comptez pas sur les grosses nations pour y remédier : à part l'Irlande et l'Ecosse cette année, les autres préfèrent affronter les nations de l'hémisphère sud pour de lucratifs matchs amicaux pendant les tournées de juin et novembre.

L'Allemagne et la Russie à la traîne

La Géorgie jugée pas assez glamour, les places fortes du rugby européen font les yeux doux à l'Allemagne ou à la Russie, marchés plus porteurs que la Géorgie et ses cinq millions d'habitants (soit dit en passant autant que l'Irlande ou l'Ecosse). Le chemin sera long pour l'Allemagne. Comme en Géorgie, c'est un milliardaire qui finance le (lent) développement du ballon ovale. L'Allemagne fut avant la seconde guerre mondiale une place forte du rugby – le ballon de la victoire 3-0 contre la France en 1938 à Leipzig est précieusement conservé au musée du rugby d'Heidelberg – avant que le régime nazi n'interdise ce sport. On comptait 8 000 pratiquants en 1996, 14 000 aujourd'hui. Une poignée de professionnels (Australiens ou Sud-Africains), beaucoup d'amateurs qui posent des congés pour participer aux "Six nations B".

En Russie, on part d'encore plus loin. Le sport, considéré comme "bourgeois", a été banni par Staline en 1949. Même après sa mort, et le retour en grâce du rugby, en 1957, la pratique du ballon ovale continuait à être un combat de tous les instants. "Nous n'avions aucun moyen de voir des vidéos de matchs, raconte Petr Etko, international soviétique dans les années 1960, à The Independent (en anglais). Comme on ne pouvait pas aller à l'Ouest, nous avons appris à jouer avec des bouquins." Le ballon ovale fait lentement son trou en Russie, avec une participation à la Coupe du monde 2011 et une place solide en deuxième division du rugby européen. Même si beaucoup de gens le confondent toujours avec l'aviron, quasi-homonyme en russe ("regbi" et "grebli").

Pas d'argent et pas de pouvoir pour aller plus haut

Bien qu'injuste, la situation est aujourd'hui figée. On n'est pas près de voir la Géorgie défier les Bleus au Stade de France ou voir l'Italie se coltiner un déplacement en Russie en plein hiver. Début février, John Feehan, le patron du Tournoi des six nations, a balayé d'un revers de la main les revendications géorgiennes : "Ce n'est pas notre travail de trouver des solutions pour la Géorgie, la Roumanie ou un autre..." Désabusée, la fédération géorgienne a préféré répliquer... par un dessin.

Pire : le mécanisme de redistribution de la Fédération internationale est conçu pour maintenir ce système à deux vitesses. Les petits sont maintenus dans des compétitions inférieures, ne peuvent pas progresser au contact des meilleurs et comme ils sont moins bien classés, ils reçoivent moins d'argent... Ce qui freine d'autant leur développement. Lors de la Coupe du monde, les nations du "Tier 1", dix équipes cooptées comme l'élite du rugby, se sont partagées une enveloppe de 170 millions d'euros pour compenser le manque à gagner des matchs amicaux de juin et novembre, relève le site Stuff.co.nz. Les nations du "Tier 2"... 9 millions. Une somme divisée par 14. L'Italie fait partie du "Tier 1", la Géorgie se trouve dans le "Tier 2" alors que les Géorgiens talonnaient les Transalpins au classement mondial. Ils les devancent désormais.

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