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Coupe du monde de rugby : les Bleus, sept ans sur la touche

Après des matchs de préparation de demi-teinte, les Bleus ont vaincu l'Argentine, samedi, lors de leur premier match de cette Coupe du monde 2019. 

Article rédigé par Camille Adaoust
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Mathieu Bastareaud, Guilhem Guirado et Louis Picamoles réagissent après la défaite (17 - 18) face à l'Afrique du Sud, au Stade de France le 18 novembre 2017. (MARTIN BUREAU / AFP)

Le 20 mars 2010, au milieu d'un Stade de France plein à craquer malgré la pluie, le capitaine Thierry Dusautoir soulève la coupe, tout sourire sous les cotillons. En battant l'ennemi juré anglais 12-10, le XV de France s'offre la victoire du Tournoi des six nations avec, en prime, un grand chelem : cinq matchs disputés, cinq remportés. "L'heure de gloire", commente L'Equipe. Ce début des années 2010 est triomphant pour les Bleus. Un an plus tard, ils atteignent la finale de la Coupe du monde, cédant la victoire d'un seul point face à la Nouvelle-Zélande (7-8). 

Thierry Dusautoir soulève la coupe du Tournoi des six nations, le 20 mars 2010 au Stade de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). (FRANCK FIFE / AFP)

Depuis, pourtant, le XV de France n'a jamais retrouvé ce niveau. Enchaînant les défaites, il dégringole au classement mondial. Récit d'une douloureuse décennie, alors que s'ouvre la Coupe du monde de rugby 2019 au Japon.

2012-2014 : plus de défaites que de victoires

Les saisons qui suivent ces exploits marquent un tournant pour l'équipe de France. Peu à peu, les hommes de Philippe Saint-André, sélectionneur depuis 2011, perdent plus qu'ils ne gagnent. En 2012 déjà, la France arrive quatrième du Tournoi des six nations avec deux victoires seulement et un nul. Un an plus tard, les Bleus arrivent sixièmes et derniers du Tournoi des six nations, "une première depuis 1999", sanctionne le site Rugbyrama. Au total, sur l'année 2013, l'équipe ne remporte que deux matchs et en laisse filer neuf – dont un nul face à l'Irlande. En 2014, la situation s'améliore (cinq victoires pour six défaites), sans toutefois inverser la tendance. Difficile, notamment, de digérer les 50 points concédés à l'Australie pendant la tournée de juin (50-23). "Les Bleus n'avaient jamais autant encaissé de points sur le sol australien", signale le site Rubgynistère.

Quand on lui demande la raison de ce retournement, Cédric Beaudou ricane. "Cette question, tous les experts du rugby se la posent." Le rédacteur en chef du service rugby à France Télévisions, spécialiste de l'ovalie depuis la fin des années 1990, a quelques pistes. "On est passé au rugby professionnel en 1995. La véritable génération pro, qui n'a connu que ça, est arrivée en 2011. A ce moment-là, les Français n'ont pas su anticiper les besoins du haut niveau", avance-t-il.

Les clubs ont du mal à libérer leurs joueurs pour qu'ils s'entraînent avec l'équipe de France. Sur le plan physique, c'est la course à la puissance. "Il y avait un complexe sur les différences physiques par rapport aux Néo-Zélandais, aux Sud-Africains ou aux Australiens. L'entraînement a été axé là-dessus au détriment de la vitesse, et ce qui était une composante du rugby français a été laissé de côté", rapporte Cédric Beaudou. 

2015 : une Coupe du monde expédiée

L'année 2015 arrive et, avec elle, une chance de relever la tête en Coupe du monde. Les Bleus démarrent en beauté, avec trois victoires face à l'Italie, la Roumanie et le Canada. Avec leur première défaite contre le XV irlandais, ils tombent de haut. S'ils accèdent quand même au quart de finale, ils se retrouvent face à leurs bourreaux de la dernière édition : les All Blacks. Le soir du 17 octobre, au Millennium Stadium de Cardiff (pays de Galles), les Néo-Zélandais frappent fort. Résultat : 62-13. "Balayés par des All Blacks supérieurs dans tous les domaines, les Bleus ont renvoyé une image pathétique et pitoyable", décrit sans filtre Le Parisien.

Déprimé après la défaite face à la Nouvelle-Zélande en Coupe du monde, Louis Picamoles rentre au vestiaire le 17 octobre 2015 à Cardiff (pays de Galles). (FRANCK FIFE / AFP)

2016-2017 : une embellie de courte durée

Qui pour sauver l'équipe après ce désastre ? La fédération place au poste de sélectionneur Guy Novès, entraîneur emblématique du Stade toulousain, qui a soulevé avec son club dix boucliers de Brennus. L'équipe semble reprendre le chemin de la victoire : en 2016, la France grimpe sur le podium du Tournoi des six nations pour la première fois depuis 2011. L'année suivante, le bilan est positif, avec trois victoires sur cinq rencontres.

L'embellie est de (très) courte durée. Le XV de France entre dans sa pire séquence de l'ère professionnelle. Trois premières défaites en Afrique du Sud en juin 2017 entament le moral des joueurs, une quatrième face à la Nouvelle-Zélande (38-18) et un nouveau match calamiteux face aux Springboks sud-africains (17-18) viennent les décourager plus encore. C'est face au Japon, le 25 novembre 2017, que les Bleus sombrent. Alors qu'ils ont jusqu'ici toujours surclassé l'équipe nippone, celle-ci arrache un match nul (23-23) à Nanterre (Hauts-de-Seine). "Je pense qu'on a touché le fond. On ne va pas être épargnés, c'est comme ça, c'est mérité. Je pense que l'équipe de France est en danger", réagit le centre Mathieu Bastareaud.

La sanction tombe : Bernard Laporte, président de la fédération, décide de limoger Guy Novès en plein milieu de son contrat. "Jamais un président n'avait licencié un sélectionneur du XV de France", précise La Dépêche. L'affaire divise le monde du rugby et des clans se forment dans les instances dirigeantes, comme l'explique L'Equipe. Si Bernard Laporte défend un licenciement "au nom de l'intérêt général", prononcé après un audit interne, les prédécesseurs de Guy Novès s'inquiètent. "L'erreur est de croire qu'un homme peut être le messie, qu'il va résoudre tous les problèmes. On ne pose jamais les bonnes questions, celles qui fâchent : quelle est la vraie économie du rugby français ? Où en est notre formation ?" regrette par exemple Pierre Berbizier auprès du Monde. Guy Novès, lui, garde un souvenir très amer de cette période. "Je n'oublierai jamais ce que j'ai vécu. Je suis rancunier envers ceux qui m'ont fait du mal", lance-t-il dans Le JDD. Il poursuit la fédération devant les prud'hommes et remporte le bras de fer en avril 2019. Hors des terrains, c'est la tourmente.

2018-2019 : "une équipe de seconde zone"

Ces deux années sont marquées par des défaites assommantes. Le 3 février 2018 d'abord, le XV de France perd face à l'Irlande sur un drop dans les toutes dernières minutes. "On a cru qu'on avait gagné ce match, depuis si longtemps on attendait une victoire", commente le soir même l'ancien international Fabien Galthié, alors que la France n'a pas gagné un seul match depuis près d'un an. Le moral des joueurs en est affecté. "Ce genre de scénario, c'est le plus dur psychologiquement. Le match était à leur portée, ils menaient, étaient maîtres des débats, et ils laissent filer la victoire", se souvient avec amertume Cédric Beaudou. Le résultat fait plonger le XV de France à la 10e place du classement mondial des nations, une première depuis la création de ce dernier.

En fin d'année, nouveau coup dur : les Fidji, nation du second échelon, s'imposent pour la toute première fois contre la France (21-14). "On ne peut qu'avoir honte de notre prestation ce soir. On est encore des petits garçons", déplore après le match Mathieu Bastareaud. Lors du dernier Tournoi des six nations, enfin, les Anglais infligent aux joueurs tricolores une défaite qui résonne encore dans la tête de tous les supporters. Avec un score à 44-8, ce 10 février 2019, le rugby français touche le fond et n'est plus invité au bal des grandes nations. 

Dans les tribunes, le XV tricolore ne fait plus rêver. Face à l'Afrique du Sud, alors cinquième nation au classement mondial, "j'ai vu seulement 50 000 personnes au Stade de France [dont la capacité dépasse les 80 000 spectateurs]. Ça a été une gifle énorme. Je ne veux pas faire le vieux con, mais quand je jouais les tournées du mois de novembre, c'était blindé, c'était la fête. Pendant trois semaines. Là, ça m'a fait vraiment de la peine. J'ai eu mal à mon rugby", déplore Fabien Galthié auprès du Parisien

On perd, il n'y a pas de spectacle, donc c'est normal que les gens ne viennent pas. C'est à nous de redonner envie aux gens de venir au stade, de se déplacer, de crier, pousser derrière nous. C'est d'abord faire de bonnes performances sur le terrain.

Teddy Thomas, ailier

à l'AFP

"Le XV de France, équipe de seconde zone", titre Le Monde. Pour incarner ce triste bilan, toujours un même visage : Guilhem Guirado. Surnommé "capitaine déprime" par les uns, "capitaine courage" par les autres, le talonneur mène l'équipe sur le terrain depuis 2016. "A chaud, on le voit toujours Guilhem : il a du mal à trouver les mots dans ces circonstances, témoigne Cédric Beaudou. C'est difficile d'expliquer l'inexplicable."

Guilhem Guirado voit la défaite arriver à quelques minutes de la fin du match France-Angleterre, le 10 février 2019 à Londres. (ADRIAN DENNIS / AFP)

"On n'est pas tout seuls dans ce naufrage", défend le demi d'ouverture Camille Lopez. "On ne travaille pas assez à l'entraînement les choses du haut niveau", accuse le demi de mêlée Morgan Parra. Eric Blanc, ancien champion de France interrogé par France 2, pointe, lui, "un manque de vision, un manque d'autorité, un manque, je dirais, au niveau fédéral, de constance, de continuité".

Depuis quelques années en effet, le XV de France subit une valse de ses entraîneurs. En sept saisons, trois sélectionneurs se sont succédé. En mai dernier encore, Bernard Laporte a imposé à l'équipe actuelle Fabien Galthié en tant qu'entraîneur adjoint, lequel deviendra sélectionneur après le Mondial 2019 au Japon. De quoi faire renaître l'espoir de certains. "Aujourd'hui, le travail sur la rapidité avec Galthié peut être une clé de réussite du rugby de demain pour le XV de France", estime Cédric Beaudou, qui se réjouit aussi de l'entente plus forte entre clubs et fédération. "Le XV de France a de beaux jours devant lui." Il ne peut en tout cas pas faire pire.

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