Mondiaux de biathlon 2023 : "Jamais personne n'a fait une telle différence", souligne l'entraîneur français de tir de Johannes Boe
Arrivé dans l’équipe de Norvège en 2016, Siegfried Mazet a vu l’éclosion de Johannes Boe, jusqu’à cette saison où le numéro 1 mondial enchaîne les performances stratosphériques. Le cadet des frères Boe a déjà remporté cinq médailles d’or en autant de courses aux mondiaux d’Oberhof en Allemagne. Il lui reste à disputer samedi 18 février le relais masculin et la mass dimanche. Johannes Boe peut réaliser le grand chelem, ce que personne n’a fait dans l’histoire de ce sport, pas même les plus grands noms, comme le Français Martin Fourcade ou le Norvégien Ole Einar Bjoerndalen. Siegfried Mazet, actuellement au côté du Norvégien et ancien entraîneur de Martin Fourcade, a accepté pour franceinfo d’évoquer la personnalité du phénomène norvégien.
franceinfo : Tout le monde est impressionné par les performances de Johannes Boe. Comment les vivez-vous de l’intérieur ?
Siegfried Mazet : Comme tout le monde, je suis moi aussi bluffé. Quand je suis sur le pas de tir, je ne vois pas ce qui se passe sur la piste. Et les témoignages que j'ai eus après l'individuel [mardi 14 février], tous les entraîneurs m’ont dit qu’il est vraiment au-dessus du lot, jamais personne n’a fait une telle différence.
"C'est vrai que cette année, il a encore passé un cap durant ces championnats du monde. Tout ce qu’il fait ici, il le construit depuis le mois de janvier."
Siegfried Mazet, entraîneur français de Johannes Boeà franceinfo
Comment vit-il cette situation ? On a l’impression qu’il est presque gêné d’être aussi fort.
En fait ce qu'on pourrait se poser comme question, c'est pourquoi les autres sont aussi loin. Je pense qu’il a juste une technique que les autres n'ont pas. Il a des mensurations qui font que ça lui convient. Il peut exactement faire son ski même dans de mauvaises conditions. Si on enlève Johannes sur l’individuel, ça donne au classement un Norvégien à la première place, un Suédois à la deuxième et un Français à la troisième. Et là tout est normal.
Pouvez-vous nous parler un peu de lui ? Comment est-il au quotidien ?
C'est quelqu'un qui est très famille. Il va toujours privilégier sa vie de famille avant sa vie de sportif. Il a organisé son entraînement pour pouvoir vivre en famille le plus de temps possible. Et pour cette raison, ça a été difficile avec lui ces dernières années. Depuis qu'il a eu son fils et qu’il a emménagé dans sa nouvelle maison, il avait toujours un truc mieux à faire que de s'entraîner. On l'a vu l'année dernière, au bout d'un moment, ça ne marche plus.
"Cette année Johannes Boe s'est beaucoup mieux entraîné. Cela ne veut pas dire s’entraîner beaucoup plus, mais mieux s’entraîner. Il est à optimiser les choses pour pouvoir être le plus régulier possible dans son sport et pour pouvoir aussi avoir du temps pour sa famille."
Siegfried Mazet, entraîneur français de Johannes Boeà franceinfo
C'est un moteur dans l'équipe bien sûr, par ses résultats et par son charisme. Mais le vrai moteur de notre équipe, le vrai capitaine, notre Deschamps à nous, c'est Vetle Christiansen. Johannes, si on enlève ses résultats sportifs, il est un parmi les autres. Ce n'est pas quelqu'un qui va toujours se mettre en avant parce qu'il est brillant dans le sport. Il assume ses responsabilités de leader sportif quand il le faut, et ça se passe très bien.
Il a l’air d’être quelqu’un qui se marre beaucoup. C’est la réalité ?
Les frères Boe [Tarjei et Johannes] ce sont des déconneurs. Quand je suis arrivé dans l’équipe de Norvège, Johannes m’a demandé comment battre Martin Fourcade et comment être le numéro un mondial. Je lui ai répondu : déjà tu arrêtes de faire la bringue, ça va quand même aider un peu ! Martin était bien plus professionnel que les frères Boe, il y a sept ou huit ans. C'est quelqu'un qui est toujours de bonne humeur et honnête. Quand il y a une mauvaise course, ça va se voir sur son visage, il va être fâché pendant une heure mais après il passe à autre chose.
Est-ce que Johannes Boe est animé par cette chasse aux records ?
Oui. Il faut se concentrer sur chaque course parce que dans ce sport, il y a tellement d'éléments extérieurs qui peuvent venir corrompre un objectif. On n’est pas en salle, on est en extérieur. Je pense qu'il est vraiment en mesure de le faire.
"Jusqu'à maintenant, marquer l’histoire n'était pas un ressort, mais c'est en train de le devenir. Et quelque part, ça va devenir une source de motivation à un moment donné car Johannes Boe est en train de faire ce qui n’a jamais été fait."
Siegfried Mazet, entraîneur français de Johannes Boeà franceinfo
On peut donc être un grand champion, tout gagner, sans être un stakhanoviste de l’entrainement ?
Oui, on en a un exemple. Je me suis posé beaucoup de questions depuis que je suis avec Johannes. On entend toujours parler des athlètes surentraînés. Le surentraînement, c’est un sujet dans le sport. Parfois, on est dans une espèce de fuite en avant : le nombre d'heures, l’intensité, la data, etc… Avec Johannes, on est dans le contre-pied de ça. Je vous le dis en toute franchise, c’est incroyable.
Je ne dis pas qu’il ne fait rien. Mais il est capable après un stage de rentrer chez lui et de ne rien faire pendant une semaine. On a peut-être trouvé l’optimisation parfaite entre ces temps de repos et ce qu’il a réellement besoin de faire. Je reste persuadé qu’autour de moi, il y a des gens qui en font trop à certains moments. Parfois, le trop devient l'ennemi du bien. J'en tire beaucoup de leçons.
Johannes Boe aura 30 ans en février prochain. Après une telle saison où il peut tout gagner, à quoi peut ressembler la suite de sa carrière ?
Je pense qu'il aura envie de continuer. Il a pour objectif d'aller jusqu'en 2026 [et les prochains Jeux olympiques]. S’il gagne tout, peut-être va-t-il se dire : je vais peut-être prendre une année un peu cool. Après, on l’a vu en 2022, quand tu ne t’entraînes pas, ça limite les choses. On va voir comment les choses évoluent.
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