ENTRETIEN. Ski de bosses : "Après Pékin, j'étais bonne pour être mise au placard", assure Perrine Laffont, remobilisée pour la reprise de la Coupe du monde
Le changement, c'est maintenant. Pour Perrine Laffont, la prodige du ski de bosses français qui a déjà tout remporté à 24 ans, il fallait passer à autre chose pour remettre le couvert. Championne olympique en 2018 à Pyeongchang, elle avait très mal vécu son échec à Pékin en février dernier, envisageant même de mettre un terme à sa carrière.
Après avoir relevé la tête en remportant le petit globe de la spécialité, Perrine Laffont a également fait évoluer son staff, changeant de coach après presque dix années, fructueuses, au côté de Ludovic Didier. L'Ariégeoise, qui reprend la compétition samedi 3 décembre en Finlande, s'est confiée à franceinfo: sport sur tous les changements qu'elle a opérés et qui lui semblaient nécessaires pour rebooster sa carrière.
Franceinfo: sport : Perrine, comment s'est déroulée la transition entre le départ de votre coach de toujours, Ludovic Didier, et l'intégration de votre nouvel entraîneur en chef, Albert Bedouet ?
Perrine Laffont : Très bien. Cela fait plus de six mois qu'on a repris l'entraînement et chacun a trouvé sa place, avec également Jules [Escobar] à ses côtés, et Anthony Benna, qui me suit en particulier. Maintenant, chacun est rodé, chacun est à sa place. Et là, on l'a vu sur le stage à Ushuaïa, on fonctionne très bien ensemble.
En quoi ce changement a-t-il bouleversé vos habitudes et votre préparation ?
Le programme a énormément changé, donc ça a bougé un peu les codes, ainsi que la manière de fonctionner. On a changé de préparateur physique aussi. J'ai quand même fait huit ans de ma carrière avec les mêmes personnes, avec un mode de fonctionnement qui était le même chaque année. Désormais, les exercices sont différents, les approches de stage sont différentes. C'est vrai que c'est assez perturbant au début parce qu'on ne connaît pas la conséquence de cette préparation. À un moment, je me suis demandé si c'était bien ou pas. Mais pour l'instant, même si on est un peu dans le flou, je me sens hyper en forme et j'essaye de me recentrer sur mes sensations, dans ma tête et dans mon corps.
"Pour continuer de progresser, il fallait aller chercher de nouvelles choses ailleurs"
Vous avez une relation particulière avec Anthony Benna, qui a aussi un rôle de préparateur mental. En quoi est-ce essentiel pour vous ce genre d'accompagnement au quotidien ?
Nous sommes en train de créer de superbes liens avec Antho. C'est un peu mon confident, on a une réelle connexion émotionnelle. Juste en voyant mon visage, il peut voir ce qu'il se passe dans ma tête (rire). Donc Antho, en effet, c'est plus qu'un entraîneur technique, c'est l'entraîneur psychologique. C'est assez difficile d'expliquer cette relation, mais elle est hyper positive pour moi, parce qu'il y a eu cette saison difficile où j'ai énormément perdu confiance en moi. Petit à petit, il me remet en confiance pour que j'arrive prête au début de saison. Ce stage à Ushuaïa a confirmé qu'Antho était le bon choix parce qu'il me comprend et arrive me dire les bonnes choses au bon moment. En plus, ça fonctionne super bien avec Albert, Jules et Yohann [Seigneur], le coach des sauts. Avec ce quatuor autour de moi, nous sommes hyper performants parce que chacun cherche le petit détail. Et ça me fait beaucoup progresser.
Avec Ludovic Didier, vous pensez que vous étiez arrivée à la fin d'un cycle et qu'il fallait changer ?
Je pense qu'avec le staff précédent, on était arrivés au bout de ce qu'on pouvait faire. Déjà, faire huit ans de carrière avec les mêmes entraîneurs, c'est beau. On a fait de belles choses avec Ludo, mais je sentais que c'était le moment d'aller chercher d'autres discours et d'autres programmations. Pour continuer de progresser, il fallait aller chercher de nouvelles choses ailleurs.
Quels sont-ils justement, ces nouveaux éléments avec Albert et son staff ?
On a complètement changé, avec une programmation beaucoup plus ciblée sur l'acrobatie. On a fait énormément de water jump et de trampoline notamment. On a été voir l'équipe de France de "trampo" à Antibes. J'ai adoré ! On est un peu liés parce que c'est ce monde de l'acrobatie, mais c'est quand même très différent de notre sport. Du coup, ils nous ont énormément apportés pendant une semaine. Cela nous a changé pas mal de repères. Ça nous a dégourdis aussi parce qu'ils nous ont fait faire des choses qu'on n'avait pas l'habitude de faire. C'était très enrichissant.
C'est un mode de fonctionnement qui est complètement nouveau pour moi. C'est génial parce que je vais à l'entraînement sans trop savoir ce qui va se passer, c'est excitant.
On a l'impression que tous ces changements arrivent au bon moment pour vous, quelques mois après votre échec à Pékin. C'est aussi un moyen de retrouver le plaisir ?
Oui, clairement. En fait, peu importe ce qui allait se passer cette saison, si je continuais, de toute façon, il aurait fallu des changements. Je pense qu'on était un peu tombés dans une routine. Il fallait bouger les choses pour continuer d'évoluer et ne pas rester sur ses acquis.
Vous aviez donc vraiment pensé à prendre votre retraite ?
Oui, parce que ça a été dur. Et je pense que j'aurais sûrement arrêté si j'avais gagné les Jeux.
Là, vous êtes totalement remobilisée pour partir sur un nouveau cycle de quatre ans ?
Franchement, oui. Plus les jours passent, plus je me dis que je suis heureuse dans ce que je fais. Je suis épanouie dans mon travail de tous les jours, ça me plaît et je ne me verrais nulle part ailleurs. Et plus on avance, plus je me dis que je pourrais faire plus que quatre ans.
Après le petit traumatisme des Jeux, c'est cette victoire en Coupe du monde en fin de saison dernière qui a été salvatrice et qui a tout changé ?
C'est sûr que si j'avais fini la saison sans globe, ça aurait été plus difficile. Reprendre ce globe à la fin de l'hiver, ça m'a remis un bon coup de cravache et ça m'a surmotivée.
"Pour moi, le monde s'est écroulé à Pékin, et je n'avais plus ma place dans le ski de bosses."
Perrine Laffontà franceinfo: sport
J'étais bonne à être mise au placard et finalement, Megève [où elle a remporté la dernière course de la saison 2021-2022 et le petit globe de la spécialité] me prouve le contraire. Je me dis que j'ai encore de belles choses à faire.
Pour cette saison 2022-2023, on imagine que vous avez revu votre travail des sauts, le domaine dans lequel votre marge de progression est la plus importante...
C'est vraiment le but de cette saison, c'est nécessaire pour venir titiller la concurrence. Il y a des filles qui font de nouveaux sauts, alors on est obligé d'en passer par là. En ski, on me dit quelque chose, je le capte tout de suite, ça va très vite. En saut, parfois, ça prend un peu plus de temps. Mais c'est comme ça, je ne vais pas me plaindre. Il faut de la répétition, encore et encore. Avec le changement de staff, il y a de nouvelles méthodes. On a fait une préparation vraiment ciblée sur les sauts. On a fait le double, voire le triple de ce qu'on faisait les saisons précédentes. Tout a été fait pour qu'on progresse sur ce point.
Enfin, durant cette intersaison, avez-vous gardé un œil sur la concurrence qui est de plus en plus dense ?
Non, pas du tout ! Pour être honnête, j'ai viré les filles de mes réseaux sociaux parce que je souhaite me concentrer sur ma préparation. Ça fait très égoïste, mais c'est vrai que cela peut provoquer un climat anxiogène. On voit les autres beaucoup progresser, et comme je n'ai pas vraiment confiance en moi, en les regardant, je me dis "merde, je suis vraiment nulle à côté, je ne fais pas les choses bien". Alors que je progresse tout autant !
J'essaye donc de rester dans ma bulle et de mettre toute mon énergie sur ma préparation. Ca me fait du bien parce que je ne vois pas ce qu'elles font. Et en réalité, je m'en fiche. Je prends confiance en ce que je fais grâce à mes progrès. Et on verra le résultat en début de saison.
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