ENTRETIEN. "Je veux dépoussiérer le patinage artistique" : comment le Français Adam Siao Him Fa entend faire évoluer sa discipline
Il y a un petit air de rébellion qui souffle lorsque l'on parle à Adam Siao Him Fa. Le patineur de bientôt 23 ans (il les aura le 31 janvier), déjà double champion d'Europe, a envie de faire évoluer son sport. Dernière preuve en date : un backflip – salto arrière – lors du programme libre des championnats d'Europe de Kaunas (Lituanie), vendredi 12 janvier dernier. Une figure interdite, mais qui ne l'a pas empêché de remporter le titre.
Franceinfo: sport : comment vous sentez-vous après ce deuxième titre de champion d'Europe ?
Adam Siao Him Fa : Je me sens bien, je suis soulagé et vraiment content. Toute la pression est redescendue. C'était une première pour moi de venir, en tant que favori, de défendre mon titre. C'était très stressant.
Vous allez désormais faire partie des favoris aux Mondiaux de Montréal (18-24 mars), c'est une pression supplémentaire ?
J'en ai conscience, je sais qu'il y aura un stress. Mais je n'y suis pas encore, donc je ne le ressens pas trop et je n'y pense pas pour l'instant.
Il y a eu quelques petites erreurs aux championnats d'Europe, notamment une petite chute dans chaque programme, avez-vous cerné pourquoi ?
Dans le court et dans le libre, je pense que ce sont des petites erreurs d'inattention, qui sont aussi dues au stress. J'aurais pu les éviter, mais ça arrive, et ça fait partie de la compétition.
Sur quoi allez-vous travailler pour les éviter aux Mondiaux ?
Je vais travailler sur les répétitions, et m'entraîner à prendre plus confiance en moi. Il y a de petits moments où je ne me fais pas assez confiance, alors que je devrais.
Vous avez tenté un backflip à la fin du programme libre, pourquoi ?
Je me suis dit que c'était le bon moment pour le mettre dans le programme. Je trouve dommage que cette figure soit interdite, d'autant plus qu'elle est spectaculaire et pas si compliquée à exécuter. Elle paraît plus dangereuse à voir qu'à faire. Le but en faisant ce salto arrière, c'était de dire qu'il faudrait faire évoluer notre sport, et rendre cette figure autorisée.
Ca avait coûté une médaille à Surya Bonaly en 1998…
Effectivement, cela avait coûté une médaille à Surya. Mais le contexte n'est plus le même entre les Jeux de Nagano et maintenant. Notre sport a beaucoup évolué. Que ce soit sur la technique, les sauts, la partie artistique ou l'originalité de la musique. C'est dommage que sur ce point-là, ça ne soit pas le cas. Je pense qu'en l'autorisant, on ouvrirait de nouvelles portes. Mais je ne prétends pas être le nouveau Bonaly. Surya reste Surya, et moi, je suis Adam.
Je pense que le fait que personne n'ait osé la tenter en compétition a joué sur son interdiction. Et j'espère que cela va faire réfléchir. Avoir fait ce backflip, je pense que cela va faire parler et motiver beaucoup de patineurs. Pas forcément pour le faire aussi, mais pour essayer d'innover.
Dans une interview accordée à Olympics, vous affirmiez votre volonté que vos programmes apportent "de la nouveauté et de la créativité". Faut-il dépoussiérer un peu le patinage artistique ?
Totalement. Je veux dépoussiérer ce sport. Notre discipline est impressionnante, elle combine le côté athlétique avec les figures – il y a beaucoup de puissance – et le côté artistique. On peut danser, on combine l'art et le sport. Je trouve qu'on a tellement de possibilités que ce serait dommage de se limiter.
D'où vient cette volonté de faire bouger votre sport ?
Travailler avec mon staff et mon chorégraphe m'a fait ouvrir les yeux sur le fait que je ne veux pas ressembler à un patineur. Il y en a qui m'ont inspiré et qui m'inspirent toujours, mais je veux avoir mon style à moi. Je veux dire : "Je patine comme Adam Siao Him Fa". Je veux vraiment être unique.
"Je veux essayer d’apporter constamment de la nouveauté et de l’originalité dans mon patinage."
Adam Siao Him Fa, double champion d'Europe de patinage artistiqueà franceinfo: sport
Au micro de France Télévisions, vous disiez également que vous vouliez "faire exploser les réseaux sociaux", pourquoi ?
On est tous connectés, on vit avec les réseaux sociaux. Ils sont une vitrine. Notre sport n'est pas assez valorisé en termes de médiatisation, et c'est aussi une manière d'essayer de lui donner de la visibilité. C'est dommage qu'il n'y ait pas suffisamment de personnes qui s'y intéressent. Si on y contribue tous d'une certaine manière, on y arrivera. Le but, c'est aussi de donner du spectacle au public et au jury.
Votre programme libre aux Europe est un condensé de figures parmi les plus techniques – les quatre quadruples sauts, les Lutz. Pour gagner à Montréal, allez-vous tenter de monter encore d'un cran ?
Je sais qu'ajouter un cinquième quadruple saut – j'ai essayé aux championnats de France – c'est très risqué. D'autant plus que c'est dur physiquement, il faut pouvoir l'encaisser. Et je pense qu'avec ces quatre quadruples sauts, si je patine propre, ce sera beaucoup plus sûr.
Donc pas de backflip…
L'enjeu est différent. Je savais que sur le programme libre, je prendrais de l'avance, donc je me suis permis de le faire. Là, sur les championnats du monde, c'est assez serré avec les autres participants et le moindre point compte.
On lit beaucoup que vous êtes un "grand cérébral", comment le gérez-vous au quotidien et surtout en compétition ?
Je pense à beaucoup de choses quand je patine. J'aime faire les choses bien, qu'elles soient planifiées comme il faut. Là-dessus, je suis très pointilleux, parfois un peu trop, et il faut que j'arrive à laisser faire le naturel.
Vous êtes suivi par un préparateur mental. La santé mentale est une thématique qui prend de l'ampleur dans le monde du sport. En quoi était-ce essentiel pour vous ?
Ça m'aide beaucoup. Il m'aide à me laisser aller, à patiner sans vraiment réfléchir, mais en ayant conscience de tout ce que je fais. On travaille beaucoup là-dessus, et je sais que je peux encore faire des progrès.
Avec le préparateur mental, je me suis rendu compte de plein de choses dans ma manière de patiner. Cela me permet de travailler plus méthodiquement. Il m'apprend aussi à faire abstraction de beaucoup de choses et à me concentrer sur l'instant présent.
On a vu que vous êtes rapidement capable de prendre sur vous et de vous remettre dans le programme, même si quelque chose ne s'est pas bien passé. C'est grâce à cette préparation mentale ?
C'est un travail que je fais au quotidien. Je ne me dis pas : "J'ai raté là, il faut que j'assure la suite." Je me dis plutôt : "Ce n'est pas grave, on oublie, le programme n'est pas terminé, je dois me battre jusqu'au bout".
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