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Pourquoi le patinage français connaît un passage à vide derrière les stars Papadakis-Cizeron ?

L'équipe de France de patinage artistique sort des championnats du monde sans la moindre médaille, en l'absence des quadruples médaillés d'or Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron. Cela fait longtemps que, derrière les deux stars, les Bleus ne tiennent plus la comparaison face aux meilleures nations.
Article rédigé par Jean-Baptiste Lautier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 11min
Les affaires se multiplient dans le patinage artistique (KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP)

Bredouille. Voilà comment est revenue la délégation française des championnats du monde de patinage artistique à Stockholm la semaine passée, en l’absence des quadruples médaillés d’or en danse sur glace, Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron. “On ne peut pas sauter au plafond”, affirme Paul Peret, journaliste spécialiste du patinage à France télévisions. Ce résultat peut paraître décevant, pourtant, l’équipe de France est à sa place. Derrière les deux stars tricolores, le potentiel de médaille était presque inexistant. Après des championnats d'Europe très décevants l'an passé (26e) où il n'était pas parvenu à se qualifier pour le programme libre, seul Kevin Aymoz est reparti de l’avant à Stockholm en accrochant un encourageant top 10 en individuel. Mais depuis plusieurs années maintenant, le réservoir paraît s’être vidé de sa substance.

Largué par la concurrence

En dehors de Kevin Aymoz ou de Maé-Bérénice Méité, blessée au tendon d'achille sur le programme court, la France présentait une équipe de patineurs jeunes et peu expérimentés à ce niveau. “Sur le couple artistique, on est en pleine reconstruction, on prépare l’avenir”, affirme Nathalie Péchalat, présidente de la Fédération des Sports de Glace. Cet exemple décrit assez bien le retard que l’équipe de France accuse sur les meilleures nations. Cléo Hamon et Denys Strekalin participaient à leurs premiers mondiaux. Ils ont fini 20e (144,84 points), à des années lumières du couple russe en or, Mishina-Galliamov (227,59 pts), qui participaient aussi à leurs premiers championnats du monde.

Chez les filles, cette différence se ressent depuis plusieurs décennies. Il faut remonter à 1997 et la médaille de bronze de Vanessa Gusmeroli aux Mondiaux de Lausanne, pour voir la dernière Française sur un podium mondial. La comparaison est très difficile à tenir avec la Russie, auteur d'un historique triplé à Stockholm et qui présente, chaque année, de nouvelles très jeunes patineuses. “C’est quasiment de l’élevage en batterie”, ironise Paul Peret en ajoutant que “la Russie autorise les juniors et les seniors à concourir ensemble, il y a une concurrence directe. Ce qui est dangereux c’est qu’au bout de deux ans, on est jeté comme un mouchoir en papier.”

Un retard en terme d'infrastructures

L’actuelle présidente de la FFSG, ancienne médaillée mondiale en danse sur glace, connaît bien les méthodes d’entraînements russes pour les avoir utilisées. “La culture du patinage change tout", note Nathalie Péchalat. "C’était comme ce qu’on demandait aux danseurs de l’opéra, un travail de passionné où on passe énormément de temps à décortiquer tout ce qu’on fait. On avait des longues plages horaires. On n'a pas la même culture que ces pays là (...). Le patinage pour eux, c'est comme le football chez nous", ajoute l’ancienne partenaire de Florian Bourzat en danse sur glace. “En France, il n’y a pas de patinoires réservées, sans séances publiques ou scolaires", appuie Laurent Depouilly, entraîneur français parti entraîner quelques années à l'étranger. "Aux Etats-Unis, on peut s’entraîner de 4h du matin à 22 heures, voire plus.”

"Aux États-Unis, ce sont des machines à gagner"

De nombreux patineurs et entraîneurs ont quitté la France pour y trouver des meilleures conditions d’entraînements. Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron se sont exilés à Montréal, avec leur entraîneur français Romain Haguenauer, où ils évoluent aux côtés de leurs plus grands rivaux. “Dans les gros centres d’entraînements à Détroit ou Montréal, il y a des intervenants à tous les niveaux : glisse, pirouettes et techniques", explique Paul Peret. "Les patineurs s'entraînent au même moment mais sans se marcher dessus, ça crée une émulation. En France on se demande si c’est sain de s'entraîner avec ses rivaux, mais c’est comme ça qu’on progresse.” Nathalie Péchalat complète : “Aux USA, j’ai eu affaire à des vrais stratèges avec des experts dans tous les segments, ce sont des machines à gagner”.

La présidente de la FFSG, arrivée il y a un an à son poste, tire un constat assez clair de la situation en France. “On manque cruellement d’infrastructures, ce qui freine le développement de notre sport. Si on n’arrive pas à se développer, on ne pourra pas se perfectionner chez nous et éviter la fuite des talents”, reconnaît-elle. “Il n’y a peut-être que quatre ou cinq pistes en France sur lesquelles il y a de vraies possibilités de s’entraîner”, ajoute Laurent Depouilly, revenu apporter son expérience en France, au sein du club de Courbevoie. “Il y a une quinzaine d'années, il existait trois gros centres d’entraînements de danse sur glace mais la présidence de la FFSG a tout fait pour les démanteler. Aujourd’hui, ils n’existent plus”, raconte Paul Peret, huit fois chef de presse de championnats internationaux de patinage.

Un manque de vision de l’ancienne FFSG

Si plusieurs entraîneurs ou patineurs très prometteurs ont quitté l'Hexagone, pensant que la glace était plus accueillante ailleurs, ce n’est pas uniquement en raison des conditions d’entraînements. La Fédération Française des Sports de Glace n’y est parfois pas pour rien.“Il y a une dizaine d’années, on m’a fait comprendre que mon travail au sein de la FFSG n’allait pas être reconduit, j’ai rapidement été contacté pour travailler à l’étranger. Les entraîneurs français sont très reconnus à l’étranger”, confie Laurent Depouilly. 

En 2014, le patineur en couple Bruno Massot, souhaitait travailler avec Aliona Savchenko comme nouvelle partenaire. La FFSG n’a rien fait pour faire venir l'Allemande en France, à l’inverse de son homologue d'outre-Rhin. L'Allemagne a payé Bruno Massot pour qu’il vienne s’entraîner sur son territoire avec Savchenko, lui offrant même un passeport pour qu’il puisse participer aux Jeux olympiques. Les efforts ont payé : le couple a décroché la médaille d’or à Pyeongchang en 2018. “Là on se dit mince, on a fait une grosse con...", affirme Paul Peret. "Pourquoi n’a-t-on pas fait l’effort financier en France ? Y a-t-il eu des querelles de chapelle ? Malheureusement c’est ce qui mine le patinage français.”

"Le patinage français s’est appauvri à cause de cet élitisme"

Selon Laurent Depouilly, le trou d’air vécu cette dernière décennie derrière le phénomène Papadakis-Cizeron, est la conséquence des méthodes mises en place par la Fédération. “Le patinage français a été sur une politique élitiste. Il fallait pouvoir jouer une médaille pour être qualifié pour les grands championnats”, souligne l’entraîneur à Courbevoie. Cette politique est bien différente de la Russie mais aussi des Etats-Unis. “La différence est que l’entonnoir est beaucoup moins large en France pour accéder au haut niveau. Le patinage français s’est appauvri à cause de cet élitisme.”

Le frémissement d’un renouveau

Après une émigration des talents en dehors de l’Hexagone, c'est l'heure des retours. Certains clubs n’hésitent plus à offrir des conditions d’entraînements équivalentes aux plus grandes nations. “Aujourd’hui Courbevoie m’offre des conditions de travail, des heures d’entraînements, une organisation aussi bonnes si ce n’est mieux que ce que j’avais aux États-Unis”, affirme Laurent Depouilly. Il n’est pas le seul à avoir fait son retour en France. Bruno Massot, devenu entraîneur ou encore Florent Amodio, champion d’Europe en 2011, sont également venus apporter leur expérience dans leur pays en créant leur propre structure d’entraînement. Une bonne nouvelle pour le patinage français à en croire Paul Peret :“Il faut avoir les structures, les compétences et l’oeil pour repérer les talents.”

Le frémissement se fait également sentir chez les patineurs derrière les jeunes Français qui ont pu découvrir les Mondiaux à Stockohlm. “La prochaine génération, c’est Adam Siao Him Fa", annonce Paul Peret. "Je l’ai découvert en janvier 2016. Il est deuxième Français mais quand il voit ce que font les étrangers au même âge que lui, il se dit qu’il a du retard. Mais il a un vrai potentiel à 20 ans.” Ce jeune fait partie des pépites de Laurent Depouilly. “Il se prépare, on est dans un renouveau pour les JO," explique son coach qui vise les Jeux de Pékin l'an prochain.

L’hiver prochain va avoir une importance toute particulière côté tricolore avec les Jeux olympiques à Pékin suivis des Championnats du monde organisés à la maison, à Montpellier. “Les Mondiaux en 2022 peuvent créer des vocations mais il faut être réaliste, il ne faut pas vendre ce qu’on ne peut pas vendre. Il n’y aura pas de résultats en dehors de Papadakis et Cizeron”, annonce Paul Peret. “Pour 2022, c’est déjà figé, 2026, c’est déjà peut-être un poil trop tard.” Malgré le contexte, Nathalie Péchalat souhaite garder du positif en vue de ce grand événement : “J’attends une médaille d’or de Gabriella et Guillaume, et que les autres patineurs français montrent leur meilleur niveau.” Un niveau qui ne garantira pas, malgré tout, des breloques.

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