Blessures, victoires, rivaux : retraité depuis le 26 janvier, Julien Lizeroux ouvre sa boîte à souvenirs
Quand vous regardez en arrière, êtes-vous fier de ce que vous avez accompli ?
Julien Lizeroux : "Je suis fier des résultats que j’ai pu faire et, surtout, de la manière. Le ski de haut niveau est tout sauf un long fleuve tranquille. Il y a pas mal d'adversité, de blessures, qui font partie intégrante de la vie de tous les skieurs. L'important, c'est de se relever à chaque fois et de croire en ses chances. Si je devais ne retenir qu'une chose, ce serait ça : mon abnégation et mon envie de toujours repousser les limites."
Vous avez gagnĂ© Ă KitzbĂĽhel, vous avez remportĂ© des mĂ©dailles aux Championnats du monde en France, quel est votre meilleur moment?Â
JL : "On dit souvent que la première victoire est la plus belle. Elle m'a marquĂ© d'autant plus que c'Ă©tait une victoire Ă Â KitzbĂĽhel (en 2009), pour mon premier podium en Coupe du monde. Surtout, c'Ă©tait un doublĂ© avec Jean-Baptiste Grange qui terminait deuxième. On a pu partager cette journĂ©e avec toute l'Ă©quipe. On fait un sport individuel mais les sensations sont dĂ©cuplĂ©es quand on peut les partager. Ce jour-lĂ c’était vraiment magique."Â
Revenons justement sur votre duo avec Jean-Baptiste Grange. À cette époque, vous étiez parmi les meilleurs slalomeurs du circuit. Qu’est ce que ce duo a apporté à votre carrière ?
JL : "JB c’est plus qu'un coéquipier, c'est un très bon ami. On a passé beaucoup d’années ensemble. Je crois que sans lui, ma carrière aurait vraiment été différente. C'était lui le leader en termes de résultats, mais c’est une personne très gentille, qui permet aux autres de s’exprimer. On a passé de très très bons moments ensemble. D'autres un peu plus difficiles, comme les blessures. On n'a pas été épargnés tous les deux. On a le même sens des valeurs, du respect. On ne s'est jamais engueulés, on n'a jamais été jaloux l'un de l'autre. On s'est plutôt entraidés pendant nos carrières respectives et je me suis beaucoup inspiré de lui. Je pense qu’il s’est un petit peu inspiré de moi aussi. Le medley des deux fait qu’on a passé une grande partie de notre carrière ensemble. Pour lui, elle n'est pas encore terminée. Je me suis transformé en son premier supporter."
Durant votre carrière vous avez finalement traversĂ© pas mal de gĂ©nĂ©rations. Comment avez-vous vu Ă©voluer le ski ?Â
JL : "Il y a déjà eu l'évolution du matériel. Dans mes premières années, en slalom, j’utilisais des skis qui faisaient plus de deux mètres. Aujourd’hui ils sont beaucoup plus courts, 1,65 m. Ça a été la vraie révolution du slalom. Sur l'évolution des générations de skieurs, il y a de grands champions dans chacune. Mais la densité est plus importante et impressionnante aujourd'hui. Le niveau ne monte pas forcément chez les meilleurs. Par contre, les 'seconds couteaux' ne sont plus des seconds couteaux. Ils sont capables de gagner des courses. Ça ne laisse pas trop le droit à l'erreur."
Quel adversaire vous a le plus impressionné ?
JL : "Marcel Hirscher. Même si on a 10 ans d’écart, on est arrivé sur le devant de la scène ensemble. J'ai toujours été épaté par sa gestion des courses, des attentes... il n'a quasiment jamais été blessé ! Dominer le circuit comme il l’a fait pendant dix ans, c’est exceptionnel. C'était cool d'en être témoin. Et puis, de temps en temps, d'être devant lui."
Vous avez connu quelques blessures durant votre carrière dont une qui vous a Ă©cartĂ© du circuit pendant deux saisons. Comment avez vous rĂ©ussi Ă surmonter cela et revenir Ă 34 ans ?Â
JL : "Quand je suis revenu c’est vrai que c’était tard. Ce n'était pas gagné d'avance. Ça a vraiment été le challenge le  plus difficile que j'ai eu à relever pendant ma carrière. Il y avait énormément d'interrogations, je ne savais pas trop où j'allais. J’avais envie de me remettre d'aplomb physiquement pour pouvoir continuer à faire du sport en général. J'ai cru en mes chances. Je n'ai pas abdiqué, rien lâché. Si, en 2011, on m'avait dit que je pourrais de nouveau marquer des points en Coupe du monde, refaire des tops 10, je n’y aurais pas forcément cru. C'est une leçon de vie que je me suis donnée."
Pendant ces deux années, vous n’avez jamais pensé à tout arrêter ?
JL : "Si j’y ai pensé très régulièrement. Ça me faisait un peu peur parce que ça m'embêtait d'arrêter comme ça. Le fait de connaître ce genre de blessure à cet âge-là , avec la maturité et l'expérience, m'a permis d'être plus calme, plus serein. De laisser le temps à mon corps de récupérer, de faire les choses comme il faut. Si j'avais eu ça plus jeune, ça aurait été beaucoup plus compliqué. J'aurais peut-être abdiqué plus vite."
On voit souvent des skieurs plus âgés dans les disciplines de vitesse, beaucoup moins en technique. Qu’est ce qui vous a poussé à continuer jusqu’à 41 ans ?
JL : "Ce n'était pas du tout planifié, je n'ai jamais eu de plan de carrière. L'année dernière, j'ai eu 40 ans et je me suis dit que c'était quand même cool de pouvoir continuer faire du slalom. Mais l’objectif c’était quand même de marquer des points et ça n'a pas été simple. Avec les années, l’explosivité à tendance à baisser. En slalom comme en géant il faut être très explosif. Ce sont des qualités qu’on essaye de travailler à l'entraînement mais qui ne sont pas simples. Je les ai bien vues décliner. Ce qui m’a guidé c'est le plaisir, la passion du sport,  de la compétition, de la vie en équipe. Il y a toujours eu une super ambiance dans notre groupe de slalom et c’est aussi ce qui m’a poussé à continuer dans cette vie."
Pourquoi cette décision d’arrêter est-elle venue à ce moment précis ?
JL : "C’est un ensemble. L’aspect physique parce que les qualités avaient tendance à baisser, je sentais que sur les skis c'était moins explosif. Les résultats ont découlé de tout ça. Petit à petit, il y a une certaine lassitude. Le besoin d’aller à 100% pompe énormément d’énergie et de concentration. J’étais beaucoup moins performant le jour des compétitions. C'était bien clair dans ma tête que le jour où j'allais commencer à décliner, je devais arrêter."
Le jour de votre dernier slalom à Schladming, votre compagne Tessa Worley s’est imposée sur le géant de Kronplatz deux ans après sa dernière victoire. Un bel hommage ?
JL : "C'était surtout un bon résultat (rire) ! C’était un beau petit clin d'oeil. Mais plus que la victoire de Tessa, à la veille de mon dernier slalom, j’avais dit à mes coéquipiers que mon plus beau cadeau de départ à la retraite ce serait qu'ils soient performants ce jour-là . Et Clément (Noël) et Alexis (Pinturault) ont été sur le podium de ce slalom à Schladming. C'était vraiment une journée joyeuse qu’on a pu partager ensemble. Que, ce jour-là , le ski français soit performant, c’était mon plus beau cadeau."
Vous avez passé une bonne partie de votre carrière aux côtés de Tessa Worley, qu’est ce que cela vous a mutuellement apporté au niveau sportif ?
JL : "Je ne pense pas que ça ait eu un impact sur nos carrières respectives. Après, ce qui est plutôt bien quand on est en couple avec quelqu’un qui fait le même sport que nous, c’est qu'on a la même vie. On comprend les réactions de chacun. C’est un peu plus simple que quand il y en a un qui reste à la maison et l’autre qui ne fait que partir. Il y a des périodes où on se voit beaucoup, des périodes où on ne se voit pas du tout. Notre manière de gérer notre carrière, notre façon de fonctionner à l'entraînement est complètement différente. Ça ne veut pas dire qu’on n’en discute pas. Mais, à la maison, c’est important de pouvoir décompresser."
À l’avenir, est-ce que vous allez vous impliquer d’une manière ou d’une autre au sein de l’équipe de France ?
JL : "Pour l’instant je me laisse une période tranquille pour récupérer après toutes ses années passées sur le qui-vive et la performance. C’est important pour moi de couper un peu et de prendre le temps de la réflexion. De savoir ce que j’ai envie de faire ou pas. Je reste le premier supporter de cette équipe de France de ski. J’ai fait du ski toutes ces années parce que c’était vraiment ma passion. Je n’ai pas envie de m’en écarter définitivement, mais je n'ai pas envie de mener la même vie que pendant 25 ans. Être tout le temps sur la route, en déplacement ou en voyage. Je vais avoir besoin de me poser. Je vais prendre le temps de la réflexion au printemps et puis je prendrai une décision mûrement réfléchie quant à mon futur."
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