DECRYPTAGE. Mondiaux de ski alpin 2023 : neige artificielle et écologie, un mariage impossible ?
Un an après avoir vu le pire du milieu en Chine, aux JO de Pékin, le ski alpin retrouve des paysages plus adaptés à sa pratique à l’occasion des championnats du monde 2023, organisés à Courchevel-Méribel. Cette fois, la neige sera bien au rendez-vous. Mais flocons naturels ou pas, la neige artificielle est toujours présente sur les compétitions internationales, ne serait-ce que dans les couches inférieures. Son utilisation permet, entre autres, de solidifier le manteau neigeux et de garantir la qualité des pistes, et donc l’équité sportive. Indispensable pour les athlètes, elle l'est devenue également pour le grand public, ce qui divise les massifs à l’heure du dérèglement climatique, en l'absence d'instance réunissant tous les acteurs pour des débats apaisés.
L'eau, la goutte de trop
D’abord, parlons vocabulaire avec Samuel Morin, directeur du centre national de recherches météorologiques (CNRM) : "Neige de culture, artificielle, à canon… Je parle généralement de production de neige, un terme plus neutre", pose le chercheur. Il reprend : "Les domaines skiables l'utilisent depuis quarante ans pour limiter les variations du taux d'enneigement. Elle couvre de 30 à 40 % des pistes du pays. Aujourd’hui, ces outils sont de plus en plus présentés comme un moyen de réduire l’impact du changement climatique."
Dans les faits, "ces outils" ne sont ni plus ni moins que de l’eau propulsée par des canons dans l’air froid. En 2006, la France a interdit l’usage de produits chimiques dans ce cadre précis, rappelle Carlo Carmagnola, chercheur associé au centre d’étude de la neige de Météo France, "parce qu'on n’a pas de données sur leurs conséquences écologiques à long terme, même s’ils sont toujours massivement utilisés en Europe du Nord ou aux Etats-Unis". Alors, quel est le problème à vaporiser de l’eau dans l’air pour produire de la neige ?
"L’impact principal, c'est la consommation d’électricité et surtout d'eau", explique Carlo Carmagnola. "On parle de 25 à 30 millions de mètres cubes par an en France, sachant qu'EDF raisonne en dizaines de milliards de mètres cubes par an", relativise-t-il. Le chercheur ajoute : "Des stations ont des disponibilités en eau très supérieures à leurs besoins, mais certaines sont à la limite. Tout cela est régi par la loi sur l’eau, et on ne peut pas faire n’importe quoi". Directeur général de Sata Group (responsable de l’enneigement des Deux Alpes et de l’Alpe d’Huez), Fabrice Boutet explique : "On utilise l’eau récupérée de la fonte des glaciers, de la neige, des pluies grâce auxquelles on remplit nos retenues collinaires. On ne puise pas dans les nappes phréatiques."
Un impact contesté sur la faune et la flore
Pourtant, du côté des associations écologistes, on ne se satisfait pas de ces lois. "Cette neige occasionne aussi beaucoup de travaux de canalisations, de retenues d’eau", dénonce Frédi Meignan, vice-président de Mountain Wilderness, association nationale de protection de la montagne, conscient que son argumentaire est contesté : "Les stations disent qu’elles rendent l’eau à la nature, mais elles dérèglent l’horloge naturelle en la retenant plusieurs mois, et une partie de cette eau s’évapore. C’est, a minima, une fragilisation de l'écosystème". Ce que contredit Fabrice Boutet : "Nos canalisations, on les enterre et on remet du gazon au dessus. En ville sur 5 L d’eau, 1 L n’arrive pas au robinet. On est plus respectueux des réseaux d’eau que dans les villes."
“C’est exagéré, c’est de la méconnaissance. Une retenue d'eau n’alimente pas que les canons. L’été, elle nous sert à engazonner nos pistes, pour stabiliser la terre. On a des vaches et des moutons, on peut les approvisionner en eau comme cet été pendant la sécheresse.”
Fabrice Boutet, DG Sata Groupeà franceinfo: sport
Fabrice Boutet va même plus loin, puisque, selon lui, cette neige artificielle lutte contre le réchauffement climatique : "Elle forme une couche entre la terre et la neige naturelle, qui permet de faire refroidir la terre et de faire respecter les rythmes des saisons d’il y a 20-30 ans, ce qui permet à la faune et à la flore de se réveiller au bon moment".
"Une roue de secours crevée"
Mais selon Corentin Mele, président de France Nature Environnement 74, "cette couche est un risque : elle imperméabilise les sols et en augmente la température, ce qui gêne la microfaune du sol. On observe, par exemple, un développement accru des champignons à la place des bactéries nécessaires". La couche de glace artificielle étant, par définition, plus difficile à percer, elle retarde aussi l’éclosion d’une partie de la flore.
“Cette imperméabilisation du sol réduit surtout l’infiltration vers les nappes phréatiques. Dire que les impacts sont limités, on peut l’entendre. Mais dire qu’il n’y a pas d’impact sur le cycle de l’eau, c’est faux.”
Corentin Mele, présidente de France nature environnement 74à franceinfo: sport
Alors, neige de culture amie ou ennemie de la montagne et de son écosystème ? "C’est du cas par cas. Ceux qui disent que ça ne sert à rien mentent. Ceux qui disent que ça va sauver les stations après 2050 mentent aussi. Il y a des nuances selon les altitudes, les orientations, la région", tempère de son côté Carlo Carmagnola.
“La neige artificielle n’est pas un ennemi, c’est une roue de secours. On ne se bat pas contre, mais pour un usage raisonné. Cette roue de secours est utile pour tout le monde, mais on s’aperçoit qu’elle ne peut pas suffire. C’est une roue de secours crevée.”
Frédi Meignan, Mountain Wildernessà franceinfo: sport
Finalement, ce n’est pas tant la neige artificielle que les associations écologistes combattent, mais la vision de la montagne qui se cache derrière. "La question c’est surtout l’utilité. En termes économiques, on investit beaucoup dans une roue de secours de moins en moins efficace", image Frédi Meignan, "C’est un piège pour les petites stations, qui prennent les subventions pour les canons en sachant que ça servira de moins en moins, puisque la période de neige se réduit. On fait prendre du retard à la vie de nos montagnes".
Un ski bashing ?
A la place du "tout ski à tout prix", les associations militent pour une transition vers de nouveaux modèles économiques. "Nous accuser de ski bashing, c’est très réducteur de notre propos. L’idée est de poser les choses, mais comme le débat public est très compliqué, on en vient à des situations d’oppositions totales, mais tout le monde défend le ski", clarifie Corentin Mele. D'autant que dans l'environnement montagnard, premier témoin du réchauffement climatique, tout le monde se sent concerné par le réchauffement climatique.
"Les enneigeurs sont devenus le symbole de cette controverse. Produire de la neige, symboliquement c’est très fort", analyse Samuel Morin, qui replace cet impact à l’échelle de la montagne : "On sait que les remontées mécaniques, la production de neige, le damage ou encore la préparation des pistes représentent moins de 5% des émissions de CO2 de la destination touristique, les 95% restants sont liés à tout ce qui concerne le transport et le chauffage des bâtiments." Carlo Carmagnola ajoute : "Une journée de raquettes dans la nature est aussi polluante que 8 heures de ski alpin sur domaine."
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