Mondiaux de ski alpin 2023 : de la recherche d'adrénaline à la maîtrise de sa peur, comment devient-on un "fou de la descente" ?
Dans le portillon de départ, le temps s'arrête l'espace d'un instant qui peut durer une éternité. Les mains cramponnées aux bâtons, la tête alignée avec le dos, une longue et puissante inspiration par le nez, puis une vive expiration par la bouche. Cette fois, plus question de reculer, il est prêt à risquer sa vie. Car se mesurer à une vraie descente en ski alpin, c'est aussi ça : affronter les risques, et surtout les maîtriser, pour transformer sa peur en une allié incontournable.
Si les descendeurs appartiennent à une "espèce" à part dans le milieu, c'est autant pour leur dimension physique que psychologique. Pour s'élancer dans une pente verglacée à plus de 30 % de moyenne et dépasser parfois les 140 km/h sur des spatules d'une vingtaine de centimètres de large, "il faut poser le cerveau, ne plus trop réfléchir et tout envoyer", prévient notre consultant et triple vainqueur du globe de la spécialité, Luc Alphand, particulièrement enjoué au sujet de l'expression des "fous de la descente".
"Un chromosome vitesse"
Aujourd'hui, descendeuses et descendeurs donnent tous cette impression de lâcher-prise lorsqu'ils dévalent les pistes du circuit mondial. Toujours aussi engagée, Sofia Goggia, la double tenante du titre du globe de la spécialité, a d'ailleurs payé encore une fois sa "folie", samedi 11 février, à l'occasion de la descente féminine des Mondiaux à Méribel. Si l'Italienne est réputée pour être l'une des skieuses les plus engagées du circuit, c'est aussi parce qu'elle est, comme ses rivales ou homologues masculins, en perpétuelle recherche d'adrénaline, tout comme Marco Odermatt, sacré dimanche chez les hommes.
"Parce que tu aimes la vitesse, justifie simplement notre consultante et championne olympique de la descente en 2002, Carole Montillet. Moi, je m'emmerdais un peu sur les petits virages du slalom. C’est pas du tout les mêmes sensations. Cette sensation incroyable du vent sur toi, celle de déséquilibre et de vibrations que tu ressens à 130 ou 140 km/h." Cet amour pour la vitesse, il provient souvent de l'ADN de l'athlète, "d'un chromosome vitesse" comme aime l'appeler Luc Alphand. "Cela dépend des profils, il en existe plusieurs", tranche davantage Xavier Fournier-Bidoz, le responsable de la vitesse masculine des Bleus.
"Il y a ceux qui aiment aller vite, ils ont ça dans le sang. Pour d’autres, cela vient un peu plus sur le tard. Mais une chose est sûre : pour faire de la vitesse, il faut un état d’esprit et ne pas avoir peur. Il y a toujours des gamins plus calus et casse-cous que d’autres."
Xavier Fournier-Bidoz, chef de la vitesse hommes de l'équipe de Franceà Franceinfo: sport
Ce n'était pas forcément le cas du vétéran du circuit Johan Clarey, cinq podiums à Kitzbühel (Autriche) et une médaille d'argent olympique à Pékin l'hiver dernier, "parti du slalom à la base" et qui n'était " pas du tout un kamikaze". A 42 ans, il continue de "prendre beaucoup de plaisir", grâce au public notamment, mais cette saison sera bien sa dernière.
Si Xavier Fournier-Bidoz explique son incroyable longévité par "sa force mentale exceptionnelle", le "papy" des Bleus admet que contrôler sa peur "est devenu super difficile". "Certains jours, c'est super dur, je n'arrive pas à passer outre. Des matins, je me suis déjà demandé ce que je faisais là à 42 ans, avoue même Johan Clarey. Ces jours-là, je vais y aller un peu plus 'piano'. Cela me demande énormément en fait ! Et c’est pour ça d’ailleurs que j’arrête en fin de saison."
La peur, l'ami qui peut devenir le pire ennemi
Ici, l'expérimenté skieur français met en évidence une problématique qui provoque de nombreux maux de tête aux descendeurs tout au long de leur carrière : comment maîtriser sa peur ? Quand tout va bien, "la peur tu l’acceptes, ça fait partie du lot", rappelle Carole Montillet. Bien plus facile à dire qu'à faire. "Il y a eu des moments, dans l’hiver, sur certaines courses, je n’ai pas réussi à passer au-delà de tout ça", confie l'autre vétéran des Bleus, Adrien Théaux (38 ans), médaillé de bronze en super-G aux Mondiaux de Beaver Creek (Etats-Unis) en 2015.
"Cela dépend de comment se passe la course. S’il y a de nombreuses chutes, j’ai beaucoup plus de mal à l’encaisser. C’est un travail mental qui me demande beaucoup, et souvent c’est juste au moment où je suis dans le portillon."
Adrien Théaux, membre de l'équipe de France de vitesseà Franceinfo: sport
Car finalement, c'est souvent dos au mur – sans mauvais jeu de mot – et face au danger, que peuvent représenter des pistes comme la Streif (à Kitzbühel, en Autriche) ou le Stelvio (à Bormio, en Italie), que ces amoureux de la glisse parviennent à trouver les ressources mentales nécessaires pour passer outre, et dévaler la pente à vive allure. "On a tous peur, toujours, mais plus on a peur, plus c'est bon, affirme Luc Alphand, triple vainqueur de la descente de Kitzbühel. Ce qui nous fait aller vite, c'est quand on envoie tout sans se poser de questions. On va chercher nos limites. Côtoyer le risque, c'est quelque chose qui nous maintient."
La difficulté, ou le bon équilibre, se situe donc dans le curseur de cette limite recherchée. "Tu ne penses pas au truc fatal, assure notre consultant. Tu penses à la chute. Car nous, on ne chute pas souvent, mais quand on tombe, ça fait mal. Donc tu as peur de la douleur. Mais jamais tu ne commences à penser que tu vas y rester, ce qui est très rare dans notre sport, heureusement." Depuis 1959, quatre descendeurs français ont trouvé la mort en compétition ou à l'entraînement, le dernier étant David Poisson, le 13 novembre 2017, à 35 ans.
"Il faut une peur qui ne va pas jusqu'à te paralyser. La peur est importante et elle est humaine. Et c'est ce jeu-là qui est intéressant pour un descendeur. C'est de 'dealer' avec tes émotions et apprendre à apprivoiser tout ça."
Luc Alphand, consultant France Télévisions et ancien descendeurFranceinfo: sport
Quand tout est réuni – la confiance, la forme physique et les conditions météorologiques – un descendeur peut bel et bien paraître fou au premier abord. Les vitesses atteintes par les Johan Clarey, Aleksander Aamodt Kilde ou encore Vincent Kriechamyr, qui se disputeront probablement le titre mondial dimanche 12 février après trois jours de reconnaissance et d'entraînement sur l'Eclipse, sont aussi impressionnantes qu'elles peuvent sembler dangereuses. Mais derrière cet effort brut, ce ne sont en aucun cas "des inconscients", ceux-là "ne faisant pas long feu", comme aime le rappeler le vétéran de l'équipe de France.
C'est donc avant tout par la maitrise totale de ses émotions et de sa peur, complétée évidemment par "des années d'entraînement et de travail physique", qu'un skieur peut devenir un grand descendeur. Ensuite, pour aller chercher la performance et la médaille d'or qui les feront toucher le ciel, c'est sans aucun doute celle ou celui qui mettra le plus de folie dans son ski qui lèvera les bras à l'arrivée. La délivrance ultime qui leur fait oublier à quel point ils ont pu avoir peur.
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