Mondiaux de ski alpin : quand le savoir-faire français se met au service des équipes étrangères
Dans l’univers du “monde blanc”, sur les glaciers, au plus près des pistes, tout le monde le connaît. Son surnom - “la Machine” - colle aussi bien à son palmarès XXL qu’à sa passion pour un sport qu’il a embrassé tout gamin. Thierry Meynet, 62 ans dont 40 sur le circuit, est l’entraîneur (encore en activité) le plus titré du ski alpin tricolore. Mais il ne s’embarrasse pas avec le clinquant : “Ce n’est pas le coach qui est champion du monde ou olympique, ce sont nos athlètes”, précise-t-il.
Thierry Meynet, le précurseur
Celui qui a toujours été impressionné par l’illustre entraîneur autrichien Karl Frehsner a été l’un des premiers à s’exporter à l’étranger au milieu des années 1990. Sur les bons conseils de Théo Nadig, ex-directeur de l'équipe de France, il rejoint la Suisse en 1994 pour prendre la responsabilité de l’équipe féminine de slalom en Coupe du monde. Thierry Meynet y passera quatre années jusqu’aux Jeux de Nagano avant d’aller vivre une nouvelle expérience au Canada, jusqu’en 2003. De retour en France, il contribue à l’éclosion de pépites comme Jean-Baptiste Grange avant de revivre une nouvelle aventure en Suisse pour s’occuper des jeunes. Depuis 2015, cette figure du milieu unanimement reconnue par ses pairs coache toute une génération de talents helvètes en Coupe du monde : Ramon Zenhaeusern, Loïc Meillard, Daniel Yule, Tanguy Nef…
“Je suis fier de mon parcours, d’avoir travaillé dans trois pays différents et aujourd’hui je vis une belle aventure humaine avec les gars”, avant d'ajouter avec lucidité : “Ces opportunités à l’étranger m’ont appris ce qu’était le métier d’entraîneur, que ce n’était pas toujours facile. C’est aussi grâce à elles que j’ai pu durer dans le temps.”
Italie, Suisse, Suède : Jacques Théolier le voyageur
Lui aussi est une véritable figure du ski alpin français. Jacques Théolier a également franchi le pas de l’expatriation à la fin des années 2000. Après dix ans dans l’Hexagone, il est contacté par le chef de l’équipe d’Italie de slalom en 2010. Il décide de traverser les Alpes et d’apporter sa pierre à l’édifice pendant cinq saisons. Un break et une expérience rapide en Suisse plus tard, il est contacté par la Suède. Il découvre alors une autre culture, une autre mentalité et une autre organisation.
“La France et l’Italie c’est assez similaire, la Suisse c’est un peu différent mais la Suède c’est un autre monde”, détaille-t-il. “Depuis des années, il y avait un système où les enfants étaient rois. Cela se poursuivait à l’adolescence et même après lorsqu’ils étaient devenus des athlètes. On m'a demandé d'arriver avec ma façon de faire, pendant deux ans ça s'est bien passé et à la fin c'était un peu tendu, ils en avaient marre que je sois directif. Mais ça a payé, on a fait deux très belles saisons (avec une médaille d’or olympique obtenue par André Myhrer en 2018, NDLR). Ça a été une super belle expérience de travailler là-bas.”
Aujourd’hui, le Savoyard de 59 ans a retrouvé les slalomeurs italiens (Manfred Moelgg, Alex Vinatzer, Stefano Gross, Giuliano Razzoli (champion olympique avec Jacques Théolier en 2010) avec qui il espère bien décrocher une médaille lors de ces Mondiaux.
Raphaël Burtin et la Belgique, “un concours de circonstances”
À la différence de Thierry Meynet et Jacques Théolier, rien ne prédestinait Raphaël Burtin à devenir entraîneur. Skieur en équipe de France jusqu'en 2009, il se retire du circuit et reçoit à l'automne 2010 une proposition d'encadrement de stage au ski club de Malmedy, en Belgique. Parmi les enfants qu'il est amené à faire progresser durant ces dix jours de stage, l'un d'entre eux lui tape dans l'oeil.
"Il s'appelait Armand, il avait 12 ans à l'époque. Ses parents ont fait le maximum pour que je devienne son entraîneur à temps plein. Je quittais le haut niveau, je voyais qu'il pouvait être aussi bon que les meilleurs français alors qu'il skiait 25 jours par an. À partir de là on s'y est mis sérieusement."
En 2016, Armand Marchant devient le premier skieur né en 1997 à marquer des points en Coupe du monde lors d'un slalom à Val d'Isère, devançant les Clément Nöel ou Albert Popov. Trois semaines plus tard, une lourde chute à Adelboden entraînera une très grosse blessure au genou. Opéré sept fois pour réparer son plateau tibial, il restera à l'écart de la compétition pendant deux ans avant de revenir l'année dernière en Coupe du monde et gratter une 5e place à Zagreb au bout de sa 4e course.
On peut aussi évoquer l'expérience de l'aîné de la fratrie Burtin, Nicolas, qui a probablement permis d'orienter son cadet. L'ancien descendeur français aux 98 courses en Coupe du monde est en charge de l'équipe de Finlande, petite fédération qui accueille une épreuve de Coupe du monde (Levi). "Ce n'est pas un entonnoir énorme, confie Raphaël, il n'y a pas beaucoup d'habitants. Mais ça ne l'empêche pas lui aussi de pouvoir compter sur des talents." L'exemple le plus récent est celui de Rosa Pohjolainen, 17 ans, qui s'est illustrée en début de saison à Levi, justement.
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Technique, formation, expérience : une recette made in France ?
Mais qu'est-ce qui fait, en réalité, la spécificité de l'entraîneur français par rapport à ses rivaux mondiaux ? Pour le dernier skieur tricolore à avoir remporté le gros globe de cristal en 1997, Luc Alphand, le travail technique y est pour beaucoup : "Dans les clubs, les comités régionaux et en équipe nationale, on bosse beaucoup cet aspect-là, comment bien se positionner etc. Ce n'est pas du tout la même école que les Nordiques où il faut aller le plus vite possible."
L'organisation de la formation dans les sports de haut niveau en France est également saluée et bien distincte de pas mal de pays européens. En Suède par exemple, ce sont les parents qui forment les jeunes, sans aucun diplôme. En Autriche, il n'y a pas de cursus d'entraîneur à proprement parler, les profils de préparateurs physiques vont être privilégiés.
"Il y a plein de facteurs qui rentrent en compte, notamment sur le côté logistique", ajoute Luc Alphand. "Avoir le nez creux pour trouver les bonnes pistes, faire des programmes de stage, être un meneur d'hommes en sachant motiver les coureurs... Je me rappelle d'Honoré Bonnet, qui a entraîné Jean-Claude Killy. Il a été l'un des premiers vrais entraîneurs qui a lié le physique, le mental, le groupe etc. C'est une des références." Aujourd'hui, plusieurs noms perpétuent la tradition sur le circuit : Lionel Finance, Rudy Soulard, David Chastan... Liste non-exhaustive.
"Pour une équipe, c'est très important d'avoir quelqu'un qui vient de l'extérieur, apporte une autre vision et une autre idée de l'entraînement"
À l'image des gros pays alpins, la France réussit avec ses structures territorialisées à fonctionner en entonnoir et donc à repérer plus vite les talents, qui seront ensuite pris en charge par des moniteurs. Mais l'écart diminue : depuis l'avènement des Kostelic, la Croatie a par exemple vu progresser son nombre de skieurs et a mis en place des structures adaptées. D'autres nations comme la Norvège peuvent, elles, profiter d'une situation géographique exceptionnelle : les enfants ont la chance de sortir de l'école, pouvoir enfiler les skis et aller s'entraîner dès le plus jeune âge avec leurs parents. Enfin, de plus en plus d'entraîneurs d'étrangers sont venus et viennent encore apporter leur expérience en France, à l'image de l'Italien Simone Del Dio, en charge des slalomeurs tricolores.
Selon Jacques Théolier, c'est surtout l'adaptabilité qui prime chez le coach français. "On ne choisit pas son staff dans le ski. Il faut parvenir à être à l'aise dans plusieurs langues (anglais, allemand, italien) afin de pouvoir travailler tous ensemble. Pour une équipe c'est très important d'avoir quelqu'un qui vient de l'extérieur, apporte une autre vision et une autre idée de l'entraînement. Et c'est peut-être là qu'on est bons je dirais."
"L'entraîneur français est très respecté dans notre métier et il est très compétitif"
Les coachs français se nourriraient ainsi de leurs expériences à l'étranger ou de celles de leurs collègues d'autres nations. Raphaël Burtin souligne, quant à lui, l'importance de la passion qui nourrit le moteur et crée le savoir-faire. "Le ski repose sur des sensations, c'est de la glisse, il y a l'expérience de la course... C'est assez abstrait, avec des neiges différentes, des types de glisse différents. Tout ça tu ne peux le partager que si tu l'as vécu je crois. Si aujourd'hui il y autant de coureurs français, ça veut dire qu'il y a une bonne école, mais aussi qu'il y a beaucoup de passionnés chez les coachs français."
Premier d'entre eux à donner de la voix à proximité des tremplins de départ, Thierry Meynet se rappelle avec émotion du complexe d'infériorité qui habitait le clan français il y a trente ans en arrière par rapport aux entraîneurs suisses ou autrichiens. "Ils n'avaient rien de plus que nous, seulement la matière première". Aujourd'hui, plus question de se morfondre, bien au contraire. "Il faut sortir de chez soi, voyager... Je trouve que c'est plus facile d'avoir des opportunités (quand tu es mobile) que lorsque tu restes ancré dans ton pays. Quoiqu'il en soit, l'entraîneur français est très respecté dans notre métier et il est très compétitif."
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