Roy, au nom dun peuple
Des grands projets naissent parfois sur un tas de ruines. Le 12 janvier 2010, Haïti subit un séisme de magnitude 7 sur léchelle de Richter. Le pays est dévasté, les gens à la rue, lopinion internationale scotchée par les images dramatiques qui inondent les télévisions du monde entier. Neuf mois plus tard, Jean-Pierre Roy, 47 ans, informaticien, dirigeant dune PME en région parisienne, retourne sur son île natale. Le choc est terrible, "jai halluciné du décalage entre avant et après. Rien na été entrepris", regrette-t-il. Son projet dêtre le premier Haïtien à participer aux Mondiaux de skis devient alors une évidence, une nécessité. Se rendre utile, apporter son soutien, via "lor blanc pour Haïti", pour laquelle sa présence en Allemagne est une sacrée publicité. Une vitrine sur le désastre. Accompagné par son ami Thierry Montillet, lhomme se lance bille en tête. Il faut aller vite pour faire homologuer la Fédération Haïtienne de Ski avant le congrès de la FIS (Fédération Internationale de Ski) du 6 novembre 2010. "Pour la petite histoire, Haïti a été acceptée en même temps que les Iles Vierges", se rappelle-t-il. La FHS est dans les traces, le pari est en passe dêtre réalisé. "Jean-Pierre aime faire des choses qui sortent de lordinaire", confirme Thierry qui est investi Directeur Technique National de la FHS et entraîneur de Jean-Pierre, surnommé Rasta Piquett en hommage au film Rasta Rockett. Comme les Jamaïquains au bobsleigh à aux JO de Calgary en 1988, il sapparente à un chien dans un jeu de quilles à Garmisch. Mais lhomme est fonceur, cest mieux quand on est skieur, "bon vivant, qui aime bien faire la fête", ajoute Thierry. Avenant, communiquant, cest un bon client pour la presse du monde entier qui lassaille depuis son arrivée à Garmisch. "Je suis super dispo pour les interviews, jy vais à fond", samuse Jean-Pierre. "Mais avec tout ça, on na pas fait beaucoup de ski" rigole Thierry. A quelques jours des épreuves, le stress na pas encore gagné le clan haïtien.
"Absolument terminer"
Et le ski dans tout ça ? Le porte-drapeau dHaïti, scolarisé à Paris en Métropole, la découvert en classe de neige vers 7-8 ans. "Jai tout de suite aimé ça, jen ai fait en colonie ensuite. Je skiais au moins une semaine par an, précise-t-il. Mes premières pistes, je les ais descendues au col dAllevard, près de Chambéry". Lhomme nest donc pas néophyte, mais cest encore Thierry qui parle mieux du niveau de son élève. "Cest un bon skieur amateur, il a une bonne descente, de laisance. Mais sur des pistes injectées, il tombe à un niveau médiocre" estime Thierry. Suffisant toutefois pour passer les courses de qualifications du 17 pour le slalom géant et du 19 pour le slalom ? "Je suis presque sûr quil y arrivera", se gargarise lentraîneur, aussitôt tempéré par lintéressé : "Fastoche, fastoche Pas du tout, ça va être dur, dur" prévient-il. Alors, alors, Jean-Pierre aurait-il des doutes sur ses capacités ? "Je nai pas peur de la vitesse. Je suis souvent les traces, jai peur de faire un tout droit, de ne pas pouvoir tourner Jinsulte les lisseurs (rires)", déclare linformaticien. Pour linstant, le skieur amateur na pas encore été rattrapé par lévènement, et quand il y pense trop, lentraîneur nest jamais loin pour lui enlever le stress. "Je ne lui laisse pas loccasion de trop réfléchir et de stresser. Je lénerve sur un autre sujet que la glisse, détaille lentraîneur, il est un peu compliqué à coacher, cest un gars des îles, il prend souvent la mouche". Jean-Pierre sappuie aussi sur des séances de coaching mental pour gérer les émotions qui devraient le submerger au moment du départ. "Si je tombe je me relèverai, je veux absolument terminer la course", prévient-il conscient des espoirs quil a suscité et de la portée de son action.
Haïti sur les épaules
En bas des pistes, Jean-Pierre est LA curiosité des médias et des autres skieurs. Sur le plan de la notoriété et de lélan de sympathie, il mériterait presquune médaille. Anecdote : "Jai croisé Lindsey Vonn (championne olympique de descente à Vancouver, ndlr). Il faut savoir que 90% des dons pour Haïti proviennent des Etats-Unis. Je lappelle et lui dis qui je suis, ses yeux se sont illuminés quand elle a appris ce que je faisais", raconte-il fièrement. Lui qui voulait quon rie en parlant dHaïti plutôt que sapitoyer sur le sort de lîle reçoit plein de messages. "On me dit que jai déjà gagné. Les gens ont envie que jarrive en bas. Un jeune skieur de 20 ans que jai croisé à ma première et à ma dernière course ma dit une phrase qui ma touché : +habituellement avec les autres skieurs, on est en concurrence, mais là on parle de toi, il ny avait plus de concurrence+". "Certains se sont même renseignés sur Haïti", dit-il. Là-bas aussi, on parle de lui, en bien évidemment. "Un journaliste dHaïti libre a écrit +Haïti est fier de toi+, jai eu des bouffées de chaleur partout en lisant cela", sémeut-il. Lui le supporter de léquipe de France, qui a vibré pour les footballeurs, les handballeurs va connaître le sentiment unique de représenter un pays. Il ne supportera plus un drapeau, il portera ce drapeau. La différence est énorme. "Porter les couleurs dHaïti, cest un symbole, ça me rappelle tout ce quils vivent. Quand jai le maillot, jai tout un peuple sur mes épaules, cest ce qui me met la pression", concède-t-il. Revient sans doute à sa mémoire son départ en bateau dHaïti alors quil nétait encore quun enfant, un voyage de trois semaines avant son arrivée au Havre, simple étape avant la capitale. Les souvenirs des disparus durant le séisme également seront sûrement présents au moment où Jean-Pierre sortira du portillon de départ, avec une seule idée en tête, franchir la ligne. "Si je termine, je mécroulerai en larmes, je suis quelquun de sensible, je ferai un tour avec le drapeau, peut-être une danse" imagine-t-il. En revanche, il nest pas sûr quil prenne du plaisir à revoir sa course, "quand je me vois skier je trouve ça moche, quand je vois les autres aussi, mais moins que moi tout de même (rires) Enfin, les gens me disent que jai progressé"
Par Benoît Jourdain
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