Alexis Pinturault : "Sans les douanes, je n'aurais pas eu la même carrière"
Alexis, depuis quand êtes-vous engagé dans les douanes ?
Alexis Pinturault : "Précisément je ne sais plus, ça doit faire à peu près neuf ans. Je pense que j’ai été engagé en 2012. Il y avait un intérêt réciproque. En fait, dans le ski alpin, il y a deux employeurs majeurs pour les athlètes professionnels : l’armée et les douanes. Ce sont les deux possibilités principales pour les skieurs et biathlètes, pour nous permettre de vivre de notre sport. Du coup je m’étais renseigné, j’avais fait une demande et, en parallèle, les douanes s’étaient penchées sur moi. L’opportunité s’est présentée au bon moment. Je me projetais plus aux douanes qu’à l’armée, ça correspond plus à ma mentalité. D’ailleurs on se chambre pas mal avec les skieurs et skieuses de l’armée, mais ça, ça reste entre nous (rires)".
"La génération Killy avait un vrai rôle sur les frontières alpines"
Connaissiez-vous beaucoup de choses sur les douanes au moment d’y signer ?
AP : "Evidemment, on sait un minimum où on met les pieds. Et puis il faut savoir qu’entre les douanes et les skieurs, c’est une relation historique, comme entre d’autres institutions et le sport de façon générale. Cela a commencé avec la génération Killy qui avait un vrai rôle sur les frontières alpines, comme pour les skieurs engagés aux chasseurs alpins. Eux étaient vraiment en poste sur les frontières. Ce n’est pas anodin quand on voit le nombre de kilomètres de frontières montagneuses en France. J’en parlais aussi avec Luc Alphand à l’époque. Donc forcément, on sait comment ça se passe, les possibilités que ça offre".
Qu’est-ce que cet emploi vous apporte ?
AP : "J’y ai signé en début de carrière, et je peux vous dire que c’était une sacrée aide qui permet de se concentrer à plein temps sur notre activité de sportif, d’avoir l’esprit libre, d’être serein. Quand on voit le nombre de sportifs qui sont obligés de travailler à droite ou à gauche pour subvenir à leurs besoins, on se sait chanceux. Si on se blesse en étant sans contrat, aujourd’hui c’est très compliqué en France. Pareil pour les cotisations, les assurances... En plus, nous athlètes, on fait plus de bilans médicaux que la moyenne. Sans cette aide, je n’aurais pas eu les mêmes perspectives, pas la même carrière. On signe aux douanes pour ne penser qu’au ski, dans un sens. Et puis, après, ça offre aussi des possibilités de reconversion. C’est un sujet peu abordé dans le monde du sport, mais c’est important d’y penser. Enfin, quand on skie pour les douanes, on fait partie d’une famille".
A 29 ans, vous avez d’autres plans de reconversion. Mais vous avez envisagé cette possibilité ?
AP : "Quand on est jeune, oui on y pense. J’ai envisagé de me reconvertir dans les douanes, ça m’intéressait. D’autant que j’ai été assez précoce sur les skis, donc niveau études je n’ai que mon bac et avec ça on ne fait pas grand chose. L’avantage, c’est qu’on est préparé pour le concours interne, pour passer officier. Ce sont des belles perspectives d’avenir qui permettent de se projeter. Sinon pour un skieur, le parcours le plus simple est de faire un beau diplôme de moniteur, surtout qu’en fonction des résultats en carrière, le cursus est raccourci. Mais le parcours dans les douanes est aussi intéressant, à l’image de François Simond [ex-skieur alpin, devenu directeur technique et sportif de l’équipe de France douane], qui est le parfait exemple de reconversion".
Pinturault a participé à des patrouilles
Concrètement, ça représente quoi dans votre quotidien ?
AP : "D’abord, on passe tous par un stage de formation au centre de La Rochelle. Evidemment ça reste très général parce que ça ne dure qu’une semaine, mais on a des cours le matin puis on part sur le terrain l’après-midi. J’ai participé à des patrouilles, notamment aux douanes maritimes. Je me souviens aussi de la formation avec les chiens. Après on approfondit surtout quand on discute avec les douaniers lors d’interventions qu’on peut faire dans des séminaires. Le gros moment, c’est le tournoi international des douanes en fin de saison".
Justement, ce tournoi international représente quoi pour vous ?
AP : "C’est d’abord une compétition avec un niveau relevé, parce que les autres nations aussi ont des athlètes de la coupe du monde engagés. Pour schématiser, on retrouve 10 des 15 meilleurs mondiaux, donc ça envoie quand même sur les skis. Après c’est aussi un moment convivial, où on essaye de briller au maximum. Le but est de passer du bon temps avec nos officiers français et de partager des choses avec les étrangers, de faire entendre la Marseillaise. Ce sont des moments très conviviaux en dehors, avec les biathlètes et les fondeurs, avec un vrai esprit d’équipe qui se crée sur quelques jours".
Être employé par les douanes, c’est aussi avoir un soutien médical. Vous y avez eu recours ?
AP : "En tant qu’athlète, c’est hyper précieux. Par exemple une année j’ai eu un traumatisme crânien aux Etats-Unis, sans gravité, mais il a fallu me transporter en ambulance, me faire passer des scanners... Là-bas, ce n’est pas le super système de santé français : j’en avais pour 7 000 euros à l’époque, sinon je ne quittais pas l’hôpital. Heureusement que j’étais couvert à ce moment. Je me souviens aussi de Pierre-Emmanuel Dalcin, qui avait chuté en 2009 à Beaver Creek, il en avait pour des dizaines de milliers d’euros".
Aujourd’hui, vous êtes un des cadors de votre sport. Vous avez encore besoin des douanes ?
AP : "Non, je n’en ai plus besoin mais j'ai un rôle à jouer. Et si le salaire n’est pas très élevé, j’aimerais bien le baisser au minimum justement. Les douanes m’ont beaucoup donné, aujourd’hui je suis dans une logique de retour. C’est à moi de leur donner de mon temps. Je suis aussi très reconnaissant envers toutes les institutions qui m’ont aidé, comme la Fédé, le club, le comité. Maintenant je suis de ceux qui plébiscitent les douanes. J’en parle beaucoup aux jeunes".
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