En pleine ascension, la salle d'escalade nouvel eldorado des citadins et des entrepreneurs
Les salles d’escalade ont la cote auprès des sportifs de l’hexagone et les franchises privées françaises sont devenues les leaders mondiaux du secteur. Mais derrière cet essor, la communauté de la grimpe se divise.
En quelques années la grimpe est devenue tendance. L'escalade, apparue au programme olympique à Tokyo et popularisée sur les réseaux sociaux, a vu son nombre de licenciés doubler en quinze ans pour atteindre les 160 000 dans l'Hexagone. Un chiffre "pas représentatif de l'ampleur de la pratique en France", selon Ghislain Brillet, président de l'Union des salles d'escalade (UDSE) et directeur de la franchise Roc en Stock.
À Lille, Strasbourg, Caen, Nantes, Marseille, les salles poussent comme des champignons et revendiquent 10 millions d'entrées annuelles, hors du giron de la fédération. À côté, le nombre d'enceintes, portées par des collectivités, progresse, lui, de 4% par an. Illustration de cet engouement : la plus grande salle d'escalade privée d'Europe ouvre, jeudi 21 avril, à Aubervilliers. 200 lignes de corde, 170 mètres de linéaire en bloc, 5 000 m² de surface grimpable : un véritable temple de la grimpe.
La star des salles : le bloc, de la grimpe fun et accessible
"On ne court pas après les records mais le bâtiment s'y prêtait. On va pouvoir accueillir du public sans que les gens s'entassent les uns sur les autres", explique François Petit, fondateur du réseau Climb'Up, qui ouvre cette salle, et triple champion du monde d'escalade. Ici, on grimpe jusqu'à cinq mètres de hauteur maximum, sur des blocs aux devers saillants, constellés de prises colorées. Il n'y a besoin ni de baudrier, ni de corde, ni de connaissances techniques. Simplement de chaussons et d'un brin de magnésie.
Si le bloc est le format privilégié dans les salles privées, face à l'escalade de difficulté (cordes) ou à la vitesse, c'est qu'elle nécessite moins de matériel, moins de technique et est surtout moins gourmande en espace. Mais à Aubervilliers, le gigantisme du site permet de s'essayer à la difficulté. D'immenses arches en résine s'élèvent jusqu'à 15 mètres de haut. "Sept ouvreurs se sont relayés pendant trois mois pour imaginer ces voies, 10 autres se sont occupés du bloc et 10 stagiaires nous aidaient", explique Ryan Henderson qui s'active comme ouvreur dans la salle. Sept couleurs de circuits, pour autant de niveaux de difficulté, ont été mis en place "du niveau enfant jusqu'à l'équipe de France". De quoi se démarquer, fidéliser, mais aussi diversifier le public, en rendant accessible l'escalade aux plus de 40 ans ou aux personnes en situation de handicap.
Les franchises françaises sont devenues les leaders mondiaux de l'escalade indoor. Avec 27 salles d'escalade, Climb'Up détient le record mondial de salles pour une franchise. Arkose, une autre enseigne, génère quant à elle le plus grand chiffre d'affaires (19 millions en 2019 avec ses 20 salles et 300 salariés). En tout, 170 salles ont ouvert leurs portes en France et une vingtaine d'autres devrait suivre cette année.
Des grimpeurs jeunes, aisés et urbains
Les réseaux de franchise et les salles privées ont misé sur un concept "haut de gamme". Des services à forte valeur ajoutée (sauna, yoga, espace fitness, salle de réunion, restaurant et bar) côtoient les blocs de prises dans des lofts urbains soignés. Les tarifs, une entrée en accès libre en moyenne à 15 euros la session et à une cinquantaine d'euros au mois, attirent. "85% des clients deviennent fidèles et reviendront dans la salle ou prendront un abonnement l'année suivante", se félicite Ghislain Brillet. De quoi répondre à une clientèle urbaine, à la recherche de bien plus qu'un simple mur.
Dans ces salles, des hommes et femmes âgés majoritairement de 18 à 35 ans, évoluent avec souplesse entre les différents espaces. "Nos salles ne sont pas destinées aux grimpeurs traditionnels. C'est plus une nouvelle forme de fitness avec plus de défi", abonde Ghislain Brillet, le président de l'UDSE. On a des médecins, des cadres, des professeurs, plutôt milieu CSP+, qui y voient un lieu de sociabilité et partagent un mode de vie sain et dynamique. On vient rencontrer des gens après le travail", ajoute-t-il. Un entre soi revendiqué par les salles privées. Climbing District, une autre enseigne, résume ainsi l'esprit "bloc" : "De la bonne grimpe, un social club et du coworking".
500 salles d'escalade d'ici 2025
Depuis l'ouverture de la première salle française de bloc indoor en 1995, à Aix-en-Provence, les lieux de pratique en milieu urbain se sont multipliés. "On se concentre dans les 20 plus grandes villes de France avec des gros investissements", explique Steve Guillou, d'Arkose. Il faut compter entre 1,2 et deux millions d'euros pour effectuer les aménagements d'une salle classique. Le secteur est en pleine expansion : "Les grandes villes ont encore un gros potentiel. On vise ainsi 200 salles en 2022, et 500 d'ici 2025", décompte Ghislain Brillet.
Dans un pays de montagnes, la culture de l'alpinisme et de l'escalade n'est pas étrangère au grand public, ce qui peut expliquer cette forte adhésion. Le modèle français s'exporte désormais en Europe : la franchise Altissimo s'est implantée à Lisbonne, Arkose à Bruxelles. "L'idée c'était de développer une pratique dans des régions qui ne connaissaient pas l'escalade, qui n'ont pas de reliefs. Le modèle français est plébiscité pour ses prestations haut de gamme", explique Ghislain Brillet.
La Fédération française d'escalade et de montagne (FFME) entend aussi profiter de l'engouement : "Nos clubs sont complets et refusent des adhérents, établit Alain Carrère, son président. Il y a 1 000 clubs qui ont accès aux salles d'escalade publiques des collectivités, mais on manque d'infrastructures toutes régions confondues. Aujourd'hui on a trois projets de très grandes salles portées par des collectivités à Troyes, Chamonix et au Bourget."
"Historiquement, il y a beaucoup de murs à cordes dans les collectivités. Ça fait très longtemps qu'on construit des murs dans des gymnases avec beaucoup de hauteur et ca progresse de 4% par an"
Alain Carrère, président de la FFMEà franceinfo: sport
La fédération s'est également lancée dans l'exploitation de salles indoor. L'émergence du public sur le secteur n'a pas été sans générer des tensions avec les salles privées.
Une coopération entre la fédération et les salles privées en développement
Les relations se sont depuis apaisées et le dialogue s'est institutionnalisé, tant que chacun reste dans son domaine. "Nous n'avons pas les mêmes objectifs. Nous nous tournons vers le loisir, le bien-être, nous ne sommes pas des clubs. Mais la FFME ne doit pas nous faire concurrence, chacun son domaine", tranche l'UDSE.
Les deux publics ciblés ne se rencontrent d'ailleurs pas ou peu. "Pour le moment il n'y a pas de pont entre les deux publics, la clientèle privée n'a pas de licence", corrobore Alain Carrère, le président de la fédération. S'il espère que le temps aidera à créer une synergie entre salles privées et salles publiques, la voie semble encore manquer de prises à entendre les frères Mawem. Forts d'une aventure olympique à Tokyo été très suivie l'été dernier, ils ont lancé leur salle privée à Colmar il y a neuf mois. Mickaël Mawem, voulait associer une partie des adhérents de sa salle à la fédération. "Ils nous ont envoyé un énorme dossier et on n'avait pas le temps pour ça", explique-t-il.
Pourtant, le sportif de haut niveau en est certain, une coopération pourrait s'avérer fructueuse. "Dans le cadre du développement de l'escalade, c'est intéressant pour la fédération qu'il y ait un maximum d'abonnés. (...) Ça pourrait apporter des milliers de licenciés en plus. Donc plus de poids à la fédération et plus d'investissements dans l'escalade." Avec ou sans baudrier, l'escalade en France cherche encore son équilibre.
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