: Interview "Grimper le K2 sans oxygène, c'est un challenge monumental" : pourquoi l'alpiniste Benjamin Védrines se lance dans ce défi inédit
Il y a deux ans, lors d’une première tentative, Benjamin Védrines avait connu avec le K2 une mésaventure qui aurait pu lui être fatale. A bientôt 32 ans, il assure cette fois être "plus mature" et "mieux préparé" pour une ascension hors-norme du sommet le plus difficile au monde. Il s’envole le 9 juin prochain pour la frontière sino-pakistanaise. Il a répondu à franceinfo avant son départ.
franceinfo : pourquoi ce K2 fascine-t-il autant les alpinistes, selon vous ?
Benjamin Védrines : Le K2, c'est la deuxième plus haute montagne du monde après l'Everest. Sa forme aussi est impactante pour l'œil de l'alpiniste et même l'œil de n'importe quelle personne qui regarderait cette montagne. Elle a une forme pyramidale incroyable. Elle est élancée, elle en impose. Et puis, il y a son histoire : depuis l'ouverture par les Italiens il y a 70 ans, il y a eu beaucoup de péripéties : plein de tentatives et beaucoup d'échecs. Le K2, c'est peut-être plus dur que l'Everest d’un point de vue technique.
En 2022, lors de votre première tentative sur le K2, ça ne s'était pas très bien fini pour vous. Pour autant, ça ne vous a pas refroidi de retenter l’ascension ?
C’est vrai que ça ne s'était pas bien passé du tout. Il y a 2 ans, j'ai eu une grosse hypoxie sévère à partir de 8 300 m. Mon corps a été comme un robot, il a voulu continuer vers le haut, aimanté par le sommet. J'ai atteint 8 400 m mais sans avoir aucun souvenir. J'ai une amnésie totale, je ne me souviens pas de ce passage entre 8 300 et 8 400. J'ai des copains qui m'ont dit qu'ils m'avaient vu. J'ai réussi à redescendre, aidé par des alpinistes qui étaient là, heureusement. J'ai créé une histoire particulière avec cette montagne. J'ai envie de retourner sur les pas que j'ai pu faire et cette expérience très intense, même si je ne m'en souviens pas.
C’était la première fois que vous souffriez d’une hypoxie aussi forte ?
A ce degré-là, avec une altération totale de la conscience, avec une fatigue extrême, je ne l'avais jamais vécu. C'était la première fois. J'espère que ce sera la dernière (rires). Le but, c'est de revenir sur cette montagne plus préparé, plus mature. Je pense qu'à l'époque, je n'avais pas le recul nécessaire pour parfaire mes ascensions. Je ne connaissais pas vraiment les ascensions à 8 000 m, j'en avais fait 2 auparavant mais ça n'était pas assez. J'étais très ambitieux, avide de de sensations, avide d'expériences à ces altitudes et c'était trop.
Vous allez refaire cette ascension dans des conditions particulières : sans oxygène. Qu'est-ce que ça implique quand on est à ces altitudes ?
Grimper une montagne comme le K2 sans oxygène, c'est sûr que c'est un challenge monumental du point de vue physiologique. Le corps n’est pas du tout adapté à monter là-haut à ses altitudes. Mais pour autant, on peut le faire grâce à l’acclimatation. Le faire avec ou sans oxygène, ce n'est pas du tout le même défi, c'est évident. C'est comme la plongée : descendre sous l'eau à 100 mètres sans bouteille d'oxygène et imaginer le faire avec une bouteille d'oxygène, ça n'a rien à voir. Ça ne demande pas la même préparation, ce ne sont pas les mêmes enjeux.
"Sans oxygène, on a beaucoup plus froid, on a des risques de gelures beaucoup plus importantes."
Benjamin Védrinesà franceinfo
On va beaucoup plus lentement parce que le corps reçoit moins d'oxygène. Il faut vachement bien se connaître, être extrêmement bien entraîné physiquement pour pouvoir compenser ce manque d'oxygène. C'est quand même une prise de risque qui est inhérente à haute altitude.
A ces altitudes de plus de 8 000m, comment ça se passe pour la respiration ?
La pression atmosphérique est divisée par trois. On est bridé, c'est comme si on faisait par exemple du tapis roulant dans un congélateur, on va vite sur le tapis tout en respirant par une paille, une toute petite paille. On n’a pas assez d'oxygène, on va plus doucement et évidemment le cœur bat plus fort. Il faut faire attention parce que si on accélère trop, il peut justement arriver ce qui m'est arrivé il y a deux ans, c'est à dire une hypoxie sévère. On va consommer trop d'oxygène par rapport à ce que l'air peut nous donner. Il faut donc aller plus doucement.
Mais en même, vous voulez faire l’ascension le plus rapidement possible, peut-être en moins de 20 heures !
C'est le paradoxe. C'est un rythme qui doit être équilibré entre les déchets que mon corps va générer pendant l'effort, le recyclage de ces déchets et un rythme pas trop lent pour faire un bon temps d'ascension. C'est un degré de perception de l'effort qui est assez subtil et pour ça il faut se connaître.
A quelle météo allez-vous être confronté à cette période de l’année ?
Ce sera l'été. C'est déjà un avantage pour nous les alpinistes, parce qu'on a des grandes journées avec les amplitudes horaires qui sont très larges. En termes de température, je me souviens que le routage météo annonçait souvent -20° à 8 100 m, sans compter le vent. On peut vite tomber à -30. Finalement pendant un effort, c'est relativement supportable, c'est un air qui est souvent sec.
Vous ajoutez une difficulté à votre projet : une fois le sommet atteint, vous voulez redescendre le K2 en volant. C’est quoi cette histoire de parapente ?
Je trouve que le parapente apporte quelque chose d'extrêmement esthétique à ce projet. J'ai vachement de plaisir à le faire dans les Alpes, ça combine à la fois l'effort et une manière de redescendre qui est de toute beauté. On est dans les airs, on est face à des paysages qu'on n’a pas depuis le sol, des angles de vue qu'on n’a pas depuis le sol. Et puis, c'est fun aussi, c'est marrant.
"Quand je serai au sommet, j'étalerai ma voile, je la mets au-dessus de ma tête, je décolle et normalement en 30-35 minutes, j'arriverai directement au camp de base."
Benjamin Védrinesà franceinfo
Alors que vous aurez peut-être mis pas loin de 20 heures pour réaliser l’ascension !
Le contraste entre la montée et la descente est assez saisissant, oui.
Est-ce que c'est une contrainte supplémentaire dans votre ascension ?
Avec Jean-Baptiste Chandelier, un célèbre parapentiste, on a développé une voile spéciale qui pèse moins d’un kilo. Pour autant effectivement, il y a des contraintes parce que je suis au gramme près en fait. Faire cette ascension sans oxygène impose d'être le plus léger possible parce que chaque gramme va être un poids, un lest. Ensuite, il faut réussir à décoller tout simplement. Pendant le décollage, il peut se passer plein de choses. Il se peut que la voile se mette à droite, à gauche, qu’elle nous fasse tomber. Et si je n’arrive pas à décoller, qu'est-ce qu'on fait de moi ? Je n’ai pas choisi la facilité !
Est-ce que dans votre quête de défis toujours plus poussés, vous êtes amenés à prendre de plus en plus de risques ?
Sur cette expédition-là, le but est justement de limiter la prise de risque par rapport à ce que j'ai pu vivre il y a 2 ans. Je ne veux surtout pas revivre la même expérience. Il ne faut pas confondre danger et prise de risque. J'estime que ma prise de risque est limitée. Le danger est important parce qu’il y a des choses que je ne vais pas pouvoir maîtriser, la chute de blocs de glace, la chute de pierre… Personnellement, en tant qu’alpiniste puriste, j'aime bien faire faire face à ce genre de challenge, avoir une approche performante de l'alpinisme. On ne sait pas si c'est possible de gravir le K2 en 14 heures sans oxygène. Pour l'instant ça n’a pas été fait et ça peut ouvrir des portes à l'avenir sur d'autres projets. On peut imaginer ouvrir des voies sur des sommets très hauts en très peu de temps. Et en allant vite, on réduit considérablement la prise de risque. Parce que statistiquement, plus on passe de temps en montagne, plus c'est dangereux.
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