"Je craignais vraiment qu'elle ne s'en sorte pas" : le sauvetage hors norme de l'alpiniste française Elisabeth Revol sur la "montagne tueuse"
Un équipage polonais dépêché depuis un sommet voisin, le K2, est parvenu à retrouver l'alpiniste française au terme d'une incroyable course contre la montre. Récit.
Elisabeth Revol a survécu. La Française a été secourue sur le neuvième plus haut sommet du monde, le Nanga Parbat (Pakistan), samedi 27 janvier. Après avoir gravi 8 125 mètres avec son coéquipier Tomek Mackiewicz, l'alpiniste de 37 ans s'est retrouvée coincée sans vivres et sans oxygène. Un équipage polonais dépêché depuis un sommet voisin, le K2, est parvenu à la retrouver au terme d'une incroyable course contre la montre. Franceinfo fait le récit de cette opération de secours au sommet de la "montagne tueuse", où plus de 30 alpinistes ont déjà perdu la vie.
"Née dans une famille d'alpinistes"
Elisabeth Revol, professeure d'EPS dans la Drôme, est "née dans une famille d'alpinistes", précise son petit-cousin Noé Michalon, contacté par franceinfo. Le jeune homme reconnaît "ne pas être très proche" de la sportive, qu'il a "croisée à quelques fêtes de famille". Mais il "connait les histoires incroyables qu'elle a derrière elle". "Son père et son frère sont de très bons grimpeurs, souligne-t-il. Lorsqu'elle s'entraîne, elle gravit des sommets drômois réputés difficiles en courant. Elle est impressionnante, mais reste modeste." Dès 2008, Elisabeth Revol réalise des exploits à plus de 8 000 mètres. Elle devient la première femme à réussir l'ascension de trois sommets de l'Himalaya, le Broad Peak (8 051 mètres) et les deux Gasherbrum (8 068 et 8 035 mètres), en seulement seize jours. L'année suivante, Elisabeth Revol doit renoncer au K2. Elle vit surtout un drame lors de l'ascension de l'Annapurna. Son coéquipier, le Tchèque Martin Minarik, trouve la mort sur la grande arête, raconte Le Dauphiné.
La Drômoise attend 2013 pour s'attaquer de nouveau à un sommet de plus de 8 000 mètres. Elle décide cette fois de tenter l'ascension du Nanga Parbat, en hiver. Personne n'a encore réussi à atteindre ce sommet dans des conditions si extrêmes. Elisabeth Revol échoue trois fois. Sa dernière tentative, en 2016, s'arrête à 7 500 mètres. Elle et son coéquipier polonais, Tomek Mackiewicz, doivent renoncer à cause des températures qui descendent à -50°C. La Française poste toutefois une vidéo sur YouTube pour relater leur expédition.
"Sans corde fixe, ni sherpa, ni oxygène"
Mais les deux compagnons de cordée s'accrochent à leur objectif. Ils tentent une nouvelle fois d'atteindre le sommet de la "montagne tueuse", jeudi 25 janvier, par le versant du Diamir, sa face ouest. Selon Le Dauphiné, ils choisissent de monter en style alpin, "sans corde fixe, ni sherpa, ni oxygène". Le duo réussit l'exploit mais rencontre des difficultés sur le chemin du retour, à 7 450 mètres d'altitude.
Elisabeth Revol donne l'alerte jeudi, à 19 heures. Tomek Mackiewicz, très mal en point, ne parvient plus à avancer. Le Polonais souffre de graves gelures et de cécité des neiges, un trouble de la vision causé par la forte luminosité en haute montagne. La jeune femme parvient à descendre son coéquipier un peu au-dessus de 7 200 mètres d'altitude et à l'abriter sous une tente. Tentant le tout pour le tout, elle décide de poursuivre la descente du Nanga Parbat pour préparer l'arrivée des secours. Elle doit redescendre un véritable mur de glace, sans tente, sans oxygène et sans vivres.
[#NangaParbat] Sauvetage périlleux à 7.400m : l'hélicoptère pakistanais ne devrait pas intervenir avant demain matin : https://t.co/9fza36p9eJ pic.twitter.com/m3VnEKdj9l
— Altitude_News (@Altitude_News) 26 janvier 2018
Des alpinistes héliportés en renfort depuis le K2
Au même moment, les proches des alpinistes entament une course contre la montre. Avec l'aide des ambassades française et polonaise au Pakistan, ils tentent d'organiser une opération de secours héliportée, vendredi 26 janvier. Mais les autorités pakistanaises se montrent réticentes. "Nous avons besoin d'argent pour mobiliser un hélicoptère", explique Ludovic Giambiasi, un ami d'Elisabeth Revol, sur Facebook. Masha Gordon, une alpiniste britannique proche de la Française, organise une levée de fonds en ligne pour récolter les 50 000 dollars nécessaires à l'opération. La somme est récoltée en quelques heures.
Une expédition polonaise, qui se trouve au camp de base du K2, un autre sommet de l'Himalaya, propose d'intervenir. L'opération est incertaine : ils doivent effectuer un peu plus d'une heure de vol en hélicoptère, être déposés à plus de 6 000 mètres d'altitude et effectuer le reste de la distance à pied. Mais c'est la seule solution pour venir en aide à Elisabeth Revol et Tomek Mackiewicz. La Française, elle, est bloquée juste avant le passage le plus technique de la "montagne tueuse".
[#NangaParbat] Demain 8h (4h en FR), 2 hélicoptères décolleront de Skardu pour récupérer 4 alpinistes et du matériel de secours au #K2 et les emmener sur les lieux du sauvetage de Mackiewicz et Revol. On croise les doigts ! Derniers updates : https://t.co/IAMJzbRwZh #K2dlaPolakow pic.twitter.com/nAK2mdb7sG
— Altitude_News (@Altitude_News) 26 janvier 2018
"Les derniers messages que j'ai reçus d'Elisabeth ce matin indiquaient qu'elle a des gelures sévères sur [les] cinq orteils du pied gauche, rapporte Ludovic Giambiasi sur Facebook samedi 27 janvier. Elle est entièrement lucide. Et nous échangeons des messages continuellement. Là où elle se trouve, il n’y a pas de vent ni de nuage."
Huit heures pour gravir 1 200 mètres dans le noir
Sur les réseaux sociaux et les sites spécialisés, des centaines d'internautes suivent minute par minute l'avancée de la situation et encouragent les alpinistes. Noé Michalon est de ceux-là. "C'est incroyable, cette volonté de rester en vie, martèle le petit-cousin de la Dromoise. Tellement d'histoires d'alpinisme se terminent de façon dramatique… Je craignais vraiment qu'elle ne s'en sorte pas." Mais Elisabeth Revol tient bon. Elle continue de donner des nouvelles à Ludovic Giambiasi. "Ça va, hyper soif et faim et dodo 5 minutes", écrit-elle brièvement samedi après-midi.
L'équipage polonais du K2 arrive enfin au Nanga Parbat. Mais l'hélicoptère ne peut atteindre la Française à cause du brouillard. Le temps presse pourtant : les prévisionnistes annoncent cinq jours de tempête sur le versant du Diamir. L'opération de secours sera bientôt impossible. L'expédition du K2 se pose au camp 1, à 5 200 mètres d'altitude, et décide d'entamer l'ascension de nuit et sans corde fixe. Adam Bielecki et Denis Urubko partent en tête, pour rejoindre les alpinistes le plus rapidement possible. Leurs deux coéquipiers, chargés de remonter le matériel de secours, suivent quelques dizaines de mètres plus bas.
Sur Whatsapp aussi, j'échange avec mes frères. Allez Elisabeth ! Allez Bielecki, le Polonais qui envoie ses coordonnées GPS ! Des internautes compilent une carte, qui permet de suivre en quasi-direct l'avancée de l'équipée... pic.twitter.com/BOKpx5Dzqc
— Noé Michalon (@nmchl) 28 janvier 2018
Plus haut, Elisabeth Revol "essaie de descendre tant qu'il y a des cordes". Elle perd tout moyen de communication vers 21 heures, sa batterie ayant rendu l'âme. Adam Bielecki et Denis Urubko continuent de grimper à toute allure. En à peine huit heures, ils gravissent 1 200 mètres de dénivelé. Du jamais-vu dans l'histoire de l'alpinisme. "La plupart des gens mettent deux ou trois jours pour le faire et ils ont mis huit heures dans l'obscurité", souligne le Pakistanais Karim Shah, en contact avec l'équipe polonaise. Les sauveteurs finissent enfin par retrouver Elisabeth Revol dans la nuit de samedi à dimanche, à plus de 6 100 mètres d'altitude. Elle "souffre de gelures et un peu de cécité des neiges", explique Asghar Ali Porik, de l'organisme Jasmine Tours, qui a participé à l'organisation de l'opération.
Une nouvelle victime de la "montagne tueuse"
Les deux alpinistes polonais prodiguent les premiers secours à Elisabeth Revol. Impossible en revanche de monter chercher Tomek Mackiewicz. "A cause de la météo et de l'altitude, ce serait mettre la vie des sauveteurs en très grand danger, écrit Ludovic Giambiasi sur Facebook, dimanche matin. C'est une décision terrible et douloureuse. Nous sommes profondément attristés. Toutes nos pensées vont à la famille de Tomek et à ses amis." Lorsqu'Elisabeth Revol a quitté son coéquipier, jeudi soir, il se trouvait en très grande difficulté. "Pour Tomek, je pense qu'il n'y a plus beaucoup d'espoir. C'est une tragédie", regrette Ludovic Giambiasi.
Après une descente de cinq heures et demie, Elisabeth Revol et ses sauveteurs parviennent à regagner une altitude suffisamment basse pour être évacués par hélicoptère, dimanche matin. La Française est transportée jusqu'à Islamabad, où elle doit recevoir de premiers soins. Sur les images tournées par Pakistan Mountain News, elle semble affaiblie, mais marche seule. La Drômoise doit encore être rapatriée en France, pour être admise dans un hôpital spécialisé dans le traitement des gelures. "Un énorme merci et un profond respect à Denis Urubko, Adam Bielicki, qui ont effectué une performance hors norme. Merci également aux autres secouristes, Jarek et Piotrek", salue Ludovic Giambiasi, soulagé.
Les proches des alpinistes tentent d'organiser une ultime mission pour secourir Tomek Mackiewicz. Mais la tempête fait rage en haut du Nanga Parbat, empêchant l'hélicoptère d'atteindre 7 400 mètres. Il ne reste désormais plus aucune chance de survie au Polonais, resté prisonnier de la "montagne tueuse". Sur Facebook, Ludovic Giambiasi lui adresse un ultime message. "Nous avons une profonde pensée pour Tomek, dont le nom restera à jamais gravé dans l'histoire du Nanga Parbat et du monde entier."
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