Stéphane Bullion, danseur "Etoile" de l' Opéra de Paris
"Merci d’avoir pensé à nous..." L’élégance jusque dans les mots, Stéphane Bullion, danseur étoile de l’Opéra de Paris est de cette essence-là. Savoureux mélange de pudeur, de retenue et de simplicité. A 40 ans l’Etoile pose sur sa vie d’ex-confiné un regard lucide et fataliste. "Avec mon épouse (la danseuse de l’Opéra Pauline Verdusen) nous avons décidé de nous occuper, en priorité, de nos enfants de 3 et 6 ans. L’Opéra a proposé des cours en ligne à 11h mais c’était trop compliqué pour nous, avec les enfants à surveiller, les cours de CP à donner. Donc on attendait qu’ils soient couchés, vers 20h, pour faire nos exercices."
Pas simple, pour les meilleurs danseurs du monde, de passer de 8h par jour sur les parquets à 1h30 de leçon. "C’est toute la limite aussi de vivre en appartement, j’allais faire mes sauts dans le parking, histoire de ne pas trop sauter sur la tête des voisins d’en dessous ! Pour les exercices à la barre, j’étais accroché entre le salon et la cuisine. C’était plus de l’entretien que de l’entraînement." En 23 ans de carrière, jamais Stéphane Bullion ne s’est arrêté si longtemps de danser : "J’ai hâte de retourner dans un studio pour travailler."
4 à 6 semaines pour être de nouveau opérationnel
Devant l’exceptionnel de cette situation, l’Opéra de Paris a accompagné du mieux possible ses danseurs. Tous les matins des cours en ligne dispensés, en direct, par un professeur ont été proposés. Préparation physique, soutien psychologique et même des carrés de lino, pour éviter de glisser chez eux, ont été distribué à chaque danseur "Aurélie Dupont (Directrice de la danse de l’Opéra) m’a appelé pour savoir comment j’allais". La Grande institution ne manque jamais à ses devoirs.
"On va revenir en ayant perdu le moins possible", tel est le souhait de ce merveilleux danseur. "En ce qui me concerne, à 40 ans, pour être de nouveau opérationnel, il va me falloir entre 4 et 6 semaines. La forme physique, ce n’est pas le plus difficile à retrouver. Le plus dur, ce sont les sensations pour les pirouettes , les équilibres, la façon de poser un regard, ce sont tous ces petits détails qui vont prendre du temps." Stéphane Bullion aime aussi et surtout ponctuer ses propos d’un "mais nous ne sommes pas les plus mal lotis !", et de renchérir : "L’Opéra a mis beaucoup de choses en place. Nous ne sommes pas maîtres de la situation, on la subit. Avec mon épouse, nous l’avons prise à bras le corps."
Depuis le déconfinement, la Grande maison s’organise doucement. "L’idée est de faire revenir les danseurs pour qu’ils puissent prendre un cours à l’Opéra. Pour chaque séance, le nombre serait limité, en comptant un professeur et un pianiste. C’est compliqué à mettre en place. Chacun des 154 danseurs devrait pouvoir participer à deux cours par semaine. J’espère que cela va aboutir mais c’est un sacré casse-tête !"
"On fait comment pour répéter un pas de deux, ou avec une partenaire ?"
Une année à oublier selon Stéphane. Entre le mois et demi de grève contre le régime des retraites, et plus de 70 représentations annulées, puis le Covid-19, les danseurs de l’Opéra ont relativement peu foulé la scène, cette saison. "J’ai été interrompu en plein Balanchine, en plein spectacle. Je n’ai dansé qu’une seule fois Raymonda et j’étais aussi prévu sur Le Parc, il n’y a pas eu de spectacle. Ce qui est frustrant c’est de ne pas finir son travail." Et toujours d’ajouter, avec cette même humilité : "Mais on ne doit surtout pas se plaindre de notre petit sort de danseur. Je pense que l’on sera les derniers à reprendre, mais impossible de se plaindre compte tenu de la situation actuelle… Aujourd’hui, on fait comment pour répéter un pas de deux, ou avec une partenaire ?"
La proximité des danseurs lors des ballets, l’impossible équation. Comment répéter, interpréter des rôles quand l’Autre est essentiel. Incroyable alchimie et magie de la danse, aujourd’hui réduite à une simple interrogation…sans réponse ! Alors Stéphane s’accroche à sa barre. "Je me raccroche à l’amour pur de la danse, aux plaisirs simples, de faire ce que j’aime faire…" Bien sûr tout ce temps à attendre la fin des tourments. "Ce temps je ne l’ai pas passé à danser ce que j’aurais dû danser." Qu’il soit Ivan le Terrible ou Armand de la Dame aux Camélias, Stéphane Bullion se nourrit de la scène, de cet espace de liberté ou l’on s’oublie soi-même : "J’adore travailler des rôles, des personnages, être quelqu’un d’autre que Stéphane."
Etoile dans un ciel d’incertitudes, le danseur aurait dû être, ces jours-ci, sur scène pour interpréter Mayerling, une entrée au répertoire de l’Opéra de Paris : "Pour moi, c’était LE moment de la saison. C’était un objectif dans l’année. Le grand ballet que j’avais toujours rêvé de danser. C’est une immense déception. On ne peut pas tout avoir. J’ai la chance d’avoir beaucoup dansé. J’arrive au bout de ma carrière…Il sera dansé par d’autres, c’est sympa aussi..." Lumineuses paroles d’une bien belle "Etoile" !
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.