Street golf : "Le green, c'est le rond-point en bas de chez moi"
Troquez le gazon contre le macadam, les trous contre le mobilier urbain, et vous obtenez le street golf. Ce sport était à l'honneur samedi 6 septembre, lors d'un tournoi à Paris. Francetv info est allé voir.
"Mais qu'est-ce que vous faites ? Il n'y a pas de trou ici !" Dans une rue du 13e arrondissement de Paris, un passant interpelle une petite équipe de golfeurs. "Pas besoin, il y a une poubelle." Dans les rues de la capitale, quatre-vingts joueurs se disputent le trophée du Paris Street Golf Open 2014, samedi 6 septembre, cinquième et avant-dernière étape du championnat français de street golf.
15 heures. Le tournoi commence sur une passerelle dans un jardin public. Pour remporter le trou, les équipes d'urban golf doivent atteindre une vieille porte de service, en contrebas, en moins de coups possible. Mais le swing doit être précis pour que la balle ne passe pas à travers les rambardes. "Si elle tombe sur l'un des côtés, elle est out", avertit Magalie, l'arbitre.
Sans problème pour Guillaume et ses coéquipiers de l'association Street golf à l'ouest. Les trois joueurs, originaires de Morlaix (Finistère), bouclent le trou en quelques coups de clubs et topent en signe de victoire. "Ça fait toujours du bien de commencer avec un Birdie [un trou réussi en un coup de moins que le nombre prévu]". La discipline emprunte ses règles au golf conventionnel, avec quelques différences notables : le street golf se joue en équipe de trois, le gazon laisse place au bitume et les trous, eux, sont remplacés par le mobilier urbain. "A chaque étape, c'est une poubelle, un compteur électrique ou un bulldozer qu'il faut toucher avec la balle", explique Guillaume, la trentaine.
"Taper dans la balle sans se prendre la tête"
La discipline est née à Berlin, au début des années 1990. Grâce aux revues de street culture, le sport s'est importé dans différentes capitales européennes, dont Paris, en 2005. Le golf de rue n'est alors que le fait d'un petit groupe de citadins branchés, puis se démocratise. On compte désormais 300 joueurs réguliers en France, selon les intéressés. Il existe des équipes à Lyon, Grenoble, Lille, Nice, Morlaix... Le temps d'un week-end, les clubs organisent des rencontres dans les rues de leurs villes.
Vingt-sept équipes ont fait le déplacement pour ce tournoi parisien. La plupart des joueurs viennent du golf traditionnel. Lassés par les greens ou trop fauchés pour se payer un abonnement dans un club, ils ont préféré le pendant citadin. D'autres ont "simplement envie de taper la balle, sans se prendre la tête, raconte Guillaume. Dès que j'ai envie de jouer, je descends de chez moi avec mes balles et mon club, et je m'éclate. Le green, c'est le rond-point en bas de chez moi."
Au regard des 51 euros pour la licence 2014, sans compter l'abonnement dans un club de golf traditionnel, les street golfeurs font des économies. Mais qu'en est-il du matériel ? "Ce n'est pas un problème, explique Guillaume. On achète des vieux clubs pour quelques euros dans les brocantes ou chez Emmaüs. Pas besoin d'avoir du super matos, le but, c'est de finir les clubs sur le bitume." La petite bande de Street golf à l'ouest a même passé un deal avec un magasin spécialisé pour récupérer les invendus à prix réduit.
"Cette année, c'est la nôtre"
En venant à Paris, Guillaume et ses coéquipiers espèrent bien gagner l'étape, et briguer, par la même occasion, la première place du classement national. "Il y a deux ans, on est arrivé troisième. L'année dernière, second. Cette année, c'est la nôtre", s'exclame le street golfeur devant ses adversaires.
Le parcours est constitué de neuf trous. Pour le deuxième, les équipes doivent toucher une poubelle au bout d'une longue ligne droite. Un point bonus si les joueurs parviennent à loger la balle directement dans le sac à ordures. Le point de départ se fait sur un trottoir entre un siège de banque et un bâtiment du ministère de la Jeunesse et des Sports. Cette fois, il faut taper fort, malgré les voitures qui interrompent régulièrement le jeu. Pas inquiets pour un sou, les joueurs montrent leurs plus beaux swings. Les balles sifflent entre les deux rangées de buildings sous les yeux écarquillés des passants.
Les joueurs font une petite pause autour d'une camionnette transformée en buvette pour l'occasion. Lunettes de soleil, casquettes, cigarettes vertes... l'ambiance est à la détente. En dehors des "street greens", Guillaume est ingénieur et père d'un garçon. "Ce soir, je fais la fête, mais demain, je devrai partir à midi pour rentrer pour le goûter de mon fils." Avec une moyenne d'âge de 30 ans, les street golfeurs profitent des compétitions pour "s'éclater avant de retourner à la vraie vie".
"22 v'là les flics"
17 heures. La partie est soudainement interrompue par les forces de l'ordre. Deux voitures de police et un fourgon ratissent les rues pour s'assurer que les balles ne fusent plus, et que les clubs sont bien rangés. Un riverain, inquiet pour ses carreaux, a appelé le 17. "C'est vrai qu'au début, on a cassé quelques pare-brises", avoue Eric, de l'équipe des Golfos (les vauriens, en espagnol). Cela fait prêt de dix ans qu'il joue au golf dans la rue. Véritable vétéran, il a vu les équipements évoluer : "Aujourd'hui, on utilise des balles en gomme, justement pour éviter la casse. A la base, ce sont des balles d'entraînement. Mais maintenant, les marques ont développé des gammes spécialement pour nous. Le pire qu'on peut avoir, c'est une belle bosse."
David Lardier, président de Paris Street Golf et organisateur du tournoi, panique. Depuis le Ground Control, un bar éphémère devenu le QG des street golfeurs pour la journée, il multiplie les coups de fil à la sous-préfecture. "A 300 euros le week-end en moyenne pour les joueurs, on ne peut pas se permettre de tout interrompre. Si on annule l'étape, c'est tout le championnat qui se retrouve sur les roses", explique-t-il.
Les choses s'arrangent après deux heures de négociations. A 19 heures, le tournoi peut reprendre. Les équipes jouent les derniers trous avant de se rejoindre pour faire la fête. A force de se côtoyer sur les étapes, les différentes équipes ont tissé des liens. "Maintenant, on est tous potes. C'est un peu comme une grande famille", explique Vincent, de Street golf à l'ouest. L'année dernière, le Breton de 28 ans a même rencontré sa moitié sur un tournoi. "Je vais aller la rejoindre à Strasbourg l'année prochaine", planifie-t-il, le sourire aux lèvres.
Et pour l'équipe ? "Je ne sais pas encore comment je vais faire. Peut-être intégrer un club dans la région, ou essayer de lancer une nouvelle association." Ce sera en tout cas une grande perte pour l'équipe de Morlaix. Vincent est sur le point de devenir le meilleur joueur de la saison. Mais pas question d'attraper la grosse tête. Pour lui, le street golf doit rester ludique et surtout festif. "C'est l'occasion d'avoir un beau trophée, et surtout de prendre une belle cuite."
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