Supporters : Pas de retour dans les stades avant l'automne 2021, estiment les scientifiques
Doit-on tirer un trait sur la tenue d’événements sportifs avec des spectateurs jusqu’à l’automne 2021 ? C’est en tout cas ce que nombre de scientifiques du monde entier recommandent depuis plusieurs jours. "Le virus est très contagieux et va continuer à circuler. Il ne va disparaître par magie et tant que nous n'avons pas de vaccin et que nous n'avons pas vacciné tout le monde, on a un risque qu’il redémarre", insiste l’épidémiologiste française Catherine Hill.
Le premier à avoir tiré la sonnette d'alarme, c'est l’oncologue et bioéthicien américain Ezekiel Emanuel, qui, le 9 avril, dans un entretien accordé au média américain ABCnews, indiquait qu’il n’anticipait pas un retour à "la vie normale où l’on part en voyage, où l’on mange au restaurant, où l’on se rend à des concerts (...), tant que nous n’aurons pas de vaccin pour protéger tout le monde. C’est-à-dire dans 18 mois et pas avant". Le lendemain, dans un entretien au New York Times, le chercheur rattaché à l’université de Pennsylvanie précise ses propos et explique que les "grands rassemblements - conférences, concerts, événements sportifs - [seront] les derniers à revenir", ajoutant qu'on peut "raisonnablement parler de l'automne 2021 au plus tôt".
Un même point de vue, mais des nuances
Le 15 avril, Zach Binney, épidémiologiste à l’Université d’Emory (États-Unis), s’est exprimé dans les colonnes du Times, sur la même ligne que Ezekiel Emanuel. "Ce que les gens doivent comprendre, d’un point de vue épidémiologique, c’est que chaque personne en plus ajoute un risque. S’il y a cinq personnes, c’est plus dangereux que s’il y en a deux. Je déteste dire que je suis sûr à 100 %, mais j’en suis plus proche que jamais sur le fait qu’on ne pourra pas remplir les stades tant qu’on n’aura pas de vaccin".
"Miser sur l’automne 2021, c’est une vision particulièrement pessimiste."
Mais pour Michèle Legeas, enseignant à l'EHESP (École des hautes études en santé publique), il ne s'agit pas non plus d'être si alarmiste. "Miser sur l’automne 2021, c’est une vision particulièrement pessimiste. Ceux qui peuvent donner des dates ou des certitudes sont des gens qui savent lire dans des boules de cristal, parce que pour le moment, on a qu'un laboratoire en grandeur nature, c'est la Chine. Et nous ne sommes pas du tout sûrs des informations qu’elle remonte."
L'enjeu de la réduction de l'exposition
Encore aujourd’hui, la Chine a maintenu des mesures de distanciation. Et de "réduction de l’exposition", ajoute Michèle Legeas. "Cette 'exposition' dépend de sa fréquence, son intensité et sa durée. C'est donc l'ensemble de ces éléments-ci qui augmente la probabilité pour une personne, qui n'a pas été encore été en contact avec le virus, de le contracter."
Alors, les rassemblements de masse, sportifs ou autres, pendant lesquels les spectateurs vont être proches les uns les autres et ce pendant une longue durée, soit une ou plusieurs heure(s), paraissent bien compliqués à organiser dans l’état actuel. "Vous avez une probabilité élevée que si jamais, au sein de cette manifestation, il y ait une personne encore porteuse du virus, même si elle n'est pas malade, elle le propage et déclenche de nouveau des clusters (selon le ministère de la Santé, "un cluster est un regroupement d'au moins deux cas en même temps, au même endroit", ndlr)", précise encore Michèle Legeas, de l'EHESP.
Un vaccin comme unique solution ?
Le 20 avril, un infectiologue japonais cette fois, Kentaro Iwata, connu pour ses critiques de la gestion de la pandémie du coronavirus par les autorités locales, s’est dit "très pessimiste" sur la possibilité que les Jeux olympiques de Tokyo, déjà reportés d'un an, puissent avoir lieu en juillet 2021. "Les Jeux olympiques nécessitent deux conditions : contrôler le Covid-19 au Japon et le contrôler partout ailleurs, car il faut inviter des athlètes et des spectateurs du monde entier", a expliqué Kentaro Iwata. La seule éventualité serait selon lui une organisation des Jeux revue à la baisse, par exemple "sans spectateur ou avec une participation très limitée".
Dans ce contexte, alors même que pour certains scientifiques les JO ne pourraient se tenir sans médicament ni vaccin, quid du Tour de france reporté à fin août ? "On peut certes imaginer que les cyclistes réaliseront les gestes barrières, porteront des masques, et que seule une diffusion télévisée sera autorisée. Mais connaissant l’essence du Tour de France, c’est tout simplement invraisemblable", affirme l’épidémiologiste Viviane Kovess-Masfety.
La commercialisation d’un vaccin serait-il donc la solution, comme le préconisent Ezekiel Emanuel et Zach Binney notamment ? "Oui, il faut un vaccin, rétorque Catherine Hill. On peut être optimiste et l’espérer pour automne 2021. De nombreux chercheurs planchent dessus. On peut espérer que la bureaucratie ne sera pas trop pénible, et qu'on pourra faire les études assez rapidement."
Le huis clos comme possible alternative
Face à ces questionnements nombreux, et ces risques bien réels, le huis clos pourrait être une manière de concilier sécurité sanitaire et maintien des événements sportifs en attendant l’arrivée de vaccin et de médicaments. "Une infection, c'est bête comme tout, c'est par contact. Plus il y a de gens, plus vous avez une chance de tomber à côté d'un porteur asymptomatique du virus, qui ne se sait pas contaminant, et qui infecte les gens autour de lui. Les événements sportifs rassemblent des spectateurs de tout horizon. Une fois contaminés, ils repartent chez eux avec le virus et le propagent", détaille Catherine Hill.
"ll va falloir raisonner au cas par cas, au fur et à mesure de l'avancée des connaissances."
"On pourrait mettre en place un système où l’on autorise dans les tribunes un spectateur, portant un masque, tous les quatre ou cinq sièges pour avoir une distance suffisante. Mais c'est difficilement imaginable d'organiser des événements importants en respectant ces conditions, reconnait Michèle Legeas. ll va falloir raisonner au cas par cas, au fur et à mesure de l'avancée des connaissances."
Les tests à l'entrée des stades, une solution irréaliste
Et tester massivement toutes les personnes avant leur accès au stade serait-il envisageable ? Une solution irréaliste pour l’épidémiologiste Catherine Hill. "Tout d’abord, nous n’avons pas assez de tests à l’heure actuelle et cela coûterait très cher. Ensuite, leur fiabilité est encore imparfaite. Enfin, une personne testée négative le lundi, peut être positive le lendemain."
Pour Michèle Legeas, enseignante à l'École des hautes études en santé publique, il n’y a pas seulement la question de la fiabilité. "Si on voulait tester pour remettre toute une partie de la population complètement en situation antérieure, on ne pourrait libérer que ceux qui répondant à deux tests. Il faudrait qu'ils soient négatifs sur la présence du virus dans les prélèvements de gorge et de nez, et qu'ils soient positifs sur la sérologie covid." Autrement dit, il faut démontrer qu'ils ont bien été en contact avec le virus par le portage des anticorps, et qu'ils prouvent qu'ils ne sont plus exposant. Mais tester à grande échelle est aujourd'hui tout simplement impossible.
L'OMS silencieuse
Pour l’heure, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a pas préconisé de recommandations générales visant à interdire les rassemblements de masse. Une prise de décision délicate à trancher pour l'organisation internationale, puisqu'elle se doit de tenir compte des contextes et des réalités de plusieurs milliards d’habitants. Car si les pays riches peuvent continuer de contraindre leurs modes en suivant ces recommandations, les pays les plus pauvres pourraient avoir de grandes difficultés à se nourrir. "Si on en arrivait à interdire tous rassemblements au niveau global de plus de X personnes, ou à le recommander, il est probable que dans les pays les plus pauvres, cela serait inacceptable et impossible", analyse Michèle Legeas.
En France, les grands événements avec "public nombreux" sont interdits jusqu'à mi-juillet. Pour la suite, il faudra encore patienter pour savoir à quoi s'en tenir, tant la situation évolue vite. De plus, aujourd’hui, il est encore difficile de comptabiliser réellement le nombre de personnes ayant été en contact avec le virus. Un manque de données qui ne permet pas pour le moment d'opter pour un modèle en particulier. "Quand nous aurons des chiffres précis, souligne Michèle Legeas, cela nous permettra sans doute de moduler la perception du niveau de risque."
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