Paris 2024 : "Les gamins tiennent leur raquette comme Félix !" L'engouement sans précédent autour du tennis de table et des frères Lebrun
Ce dimanche matin là, Tommy n'a presque pas changé ses habitudes. Après un petit-déjeuner costaud puis un jogging musclé, cet étudiant en droit s'est allongé devant son ordinateur aux douze coups de midi. Mais cette fois-ci, pas d'épisode de One Piece ou de vidéo de football. Comme nombre de ses congénères, le Francilien s'est connecté sur Twitch pour suivre un match... de tennis de table. "Si on m'avait dit ça il y a encore quelques mois..., en rigole-t-il. Mais avec les frères Lebrun, je me suis pris au jeu." Malgré la défaite des Français en finale des Mondiaux par équipe contre la Chine, dimanche 25 février à Busan (Corée du Sud), il a vibré comme rarement pour Alexis et Félix Lebrun ou Simon Gauzy.
Des Tommy, il y en a eu 470 000 ce matin-là, en cumulant les chaînes YouTube et Twitch de RMC Sport. "On était très loin, mais on sentait bien qu'il se passait quelque chose que l'on n'avait pas vu depuis très longtemps", illustre Simon Gauzy. Télégénique, accessible et porté par deux génies à la tête bien faite et aux bras en acier, voilà la recette de la hype sans précédent du tennis de table, à quelques mois des Jeux olympiques de Paris.
Derrière cette réussite, il y a une conjonction de facteurs. "C’est d'abord une activité très populaire, tout le monde y a déjà joué et donc se reconnaît", embraie Gilles Erb, président de la Fédération française de tennis de table. Mais malgré les générations successives d'écoliers biberonnés aux tournantes ou montées-descentes en cours d'EPS, il manquait une tête d'affiche. "Les Lebrun ont boosté tout ça, poursuit le président. C'est une belle histoire : ce sont deux frères issus d'une famille de pongistes, qui ont gravi les échelons très vite." Jusqu'à atteindre la sixième place mondiale pour Félix, le cadet (17 ans). "Personne n'a jamais eu ces résultats en France, à part Jean-Philippe Gatien (médaillé d'argent aux JO 1992)", poursuit Gauzy.
"Je sais que les médias aiment bien mettre les deux frères dans le même panier, mais il y a une différence. Félix, c'est un ovni !"
Simon Gauzy, 27e mondial et membre de l'équipe de Franceà franceinfo: sport
La Lebrun-mania dépasse très largement les frontières traditionnelles du tennis de table. Les prodiges ont ainsi signé, récemment, des partenariats avec Carrefour ou l'agence de tourisme d'affaires VIParis. "Mais cela reste des gens très accessibles, ils sont capables de passer deux heures à signer des autographes", indique Claire Chevassus, présidente de l'Alliance Montpellier-Nîmes. C'est là, dans l'Hérault, que tout a commencé pour les deux prodiges. Là, aussi, que l'engouement autour du ping se matérialise le plus.
La naissance d'une génération Lebrun
Promu en Pro A dans le sillage de sa famille en or, le club local attire les foules. "On pourrait facilement accueillir 1000 ou 1500 personnes", jure la présidente, sommée, pour l'heure, de se contenter d'une salle de 300 places. Les matchs à l'extérieur affichent eux aussi complet, même lorsque les Lebrun sont retenus avec l'équipe de France. À La Romagne, petite bourgade d'à peine 2 000 âmes dans le pays choletais, les 200 billets grand public pour le match de l'équipe locale contre Montpellier-Nîmes ont été écoulés en un quart d'heure. Pour satisfaire tout le monde, il a ainsi fallu retransmettre la rencontre sur un écran géant dans une salle annexe.
Cet intérêt soudain crée des vocations. "En termes de licences, on est très largement en avance par rapport à 2019, la dernière année avant le Covid", indique le président Gilles Erb. Au dernier pointage, la France comptait ainsi 210 000 licenciés. "Lorsque je fais des interventions dans des écoles pour motiver des jeunes, les clubs me disent 'calme-toi, on n'a plus assez de place !'", illustre Jérôme Besset, du comité Loire Haute-Loire de tennis de table.
De Pont-L’Évêque à Aix-les-Bains en passant par Saintes, de nombreux clubs battent ainsi leurs records de licences. "On l'attribue à 80% aux frères Lebrun, explique Besset. Maintenant, les gamins jouent en porte-plume dans les écoles. Ils tiennent leur raquette comme Félix !" Un succès tel que le ping français fait face à une pénurie d'entraîneurs pour encadrer cette génération Lebrun, que les clubs n'avaient pas anticipée.
Un engouement parti pour durer
Faut-il voir cet engouement insoupçonné comme une revanche d'un sport longtemps méprisé ? Pour le président de la Fédération, ce combat est "derrière nous". De même, les temps où l'on s'évertuait à bannir le terme "ping-pong" pour un "tennis de table" aux allures plus sérieuses sont révolus. "Tout le monde comprend la double identité du tennis de table : à la fois son volet convivial et populaire, mais aussi la pratique olympique très exigeante", poursuit Gilles Erb.
De même, la difficulté de la pratique professionnelle, avec ses échanges à près de 100 km/h, saute aux yeux. Autrement dit, il existe un monde entre les coups de raquette au fond du jardin et les performances des plus grands champions. Leur médiatisation croissante permet de mieux le mesurer, et donc de mieux considérer leurs prouesses. "Les gens se détachent de plus en plus de l'image de sport de camping, appuie Simon Gauzy, 27e joueur mondial. C’est au contraire très mental, on sait que si on est absent une minute, on prend 5 ou 6 points et c’est rédhibitoire."
Le soufflé n'est pas près de retomber, alors que se profilent les JO à domicile. "Si on est dans le coup et qu’on joue la médaille, ça va continuer à augmenter l’attractivité et l’exposition", espère Gilles Erb. D'autant que de nouveaux défis s'offrent à la Fédération. "On a un très bon vivier, mais on n'a que cinq joueurs dans le top 100 chez les hommes, ce n'est pas assez, nuance Gauzy, monté jusqu'à la 8e place mondiale en 2018. On pourrait se rapprocher du Japon et de la Corée du Sud (7 joueurs dans le top 100 pour les deux pays), sachant que la Chine (12 joueurs dans le top 100) est pour l'instant inatteignable."
C'est tout le paradoxe de la discipline : même si sa tête de gondole, pas encore majeure, est à l'aube de sa carrière, elle a tout intérêt à diversifier ses champions pour ne pas en être dépendante. Dans le milieu du ping français, personne n'a oublié que le précédent âge d'or, incarné par Jean-Philippe Gatien dans les années 1990, avait été suivi d'un long déclin faute de relève.
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