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"Cet EP, et la musique en général, je le prends comme une thérapie", confesse Corentin Moutet

Corentin Moutet, 73e joueur mondial, passionné de musique et de littérature, a sorti un EP intitulé "écorché". Le gaucher, qui a profité du confinement pour avancer son projet, voit la musique comme "une thérapie". Dans son EP ("extended play", c'est-à-dire plusieurs chansons pour un total de 30 minutes ou moins), sorti le 2 octobre, il évoque plusieurs thèmes comme sa solitude et le manque de ses proches, on y découvre un jeune homme touchant. Entretien.
Article rédigé par Hugo Dupriez
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9 min
Corentin Moutet, joueur de tennis français, vient de sortir un EP. (ELSA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Pourquoi avoir choisi d’appeler cet EP "écorché" ?
Corentin Moutet :
"Je trouve que ce titre résumait bien le thème général de l’EP, ce mot était parlant pour moi. Aussi, c’était le nom du premier son que j’ai rendu public durant le confinement, une reprise du titre "écorché vif" de Diam’s."

Quand avez-vous décidé de vous lancer dans la musique ?
CM :
"Disons que j’ai réellement commencé il y a 2 ans et demi, peut-être 3 ans, d’abord par l’écriture de textes. Avant cela, j’ai fait un peu de piano quand j’avais 14-15 ans. Il n’y a pas de réelle date de commencement à proprement parler, dans la mesure où j’ai toujours adoré et écouté de la musique, tout comme j’ai toujours aimé écrire. J’ai choisi de rendre publiques mes productions durant le confinement."

Puisque vous parlez d’écriture, il y a dans cet EP plusieurs références littéraires. C’est une autre passion pour vous ?
CM :
"J’ai toujours adoré lire. Depuis ma plus tendre enfance, j’ai lu beaucoup de livres différents. Hélas, avec le tennis, je lis beaucoup moins. Dans tout l’EP, j’ai essayé de glisser de nombreuses références littéraires. Par exemple, dans la chanson "Rêves", il y a une référence au poème "Demain dès l’aube", c’est un poème de Victor Hugo qui m’a marqué étant petit par la profondeur de son texte."

Vous êtes un grand amateur de musique, quelles sont vos principales influences ?
CM :
"J’ai un problème : quand j’écoute quelque chose, je n’arrive pas à décrocher. J’ai eu une période où j’écoutais beaucoup de musiques françaises. Particulièrement Damien Saez. Durant un ou deux ans je n’ai écouté que lui. Mais aussi Jacques Brel et Barbara qui sont de grandes inspirations pour moi. Après, par la force des choses, je me suis également mis à écouter et à m’intéresser au monde du rap. J’ai écouté beaucoup d’artistes différents, surtout les francophones qu’ils soient Français ou Belges et à appréhender cette culture."

"J’aime écrire la nuit"

Justement, puisque vous avez écouté beaucoup de rap, doit-on voir dans la chanson "Petit frère" une référence à IAM ?
CM :
"Non, d’ailleurs beaucoup d’autres artistes ont également fait des chansons intitulées petit frère, c’est un sujet qui parle à tout le monde. Evidemment il m’arrive d’écouter leur travail, mais je ne considère pas IAM comme l’une de mes références principales car ce n’est pas de mon époque. Mais bien sûr, quand on veut faire du rap, on est obligé de passer par l’écoute de tels artistes car ils ont façonné l’histoire du rap. Rien que pour la culture, je me devais d’écouter leur travail et de m’y intéresser."

On peut ressentir votre amour de la musique dans le choix des sonorités …
CM :
"Lorsque j’écoute une chanson, la partie instrumentale est presque aussi importante que les paroles. Avant de commencer à écrire, je choisis toujours ma musique pour sentir ce qu’elle peut dégager sans parole. J’aime le piano et le violon, ce sont des recettes qui plaisent, et qui me plaisent, à chaque fois. Ce sont des sonorités qui permettent de quitter le monde le temps d’un instant."

J’imagine qu’une période comme le confinement a été bénéfique dans la production de votre EP ?
CM :
"Forcément, j’avais beaucoup plus de temps. C’est peut-être un peu cliché mais j’aime écrire la nuit, une chose qui n’est pas forcément possible sur le circuit même si ça m’arrive. Durant la saison, je me mets beaucoup de limites, je ne commence pas à écrire tard même si l’inspiration ne se contrôle pas. Le confinement m’a aidé à ne pas avoir de lendemain, à pouvoir saisir l’inspiration lorsqu’elle arrivait. J’ai eu l’occasion de travailler un maximum sur la musique et les paroles. Cet EP, et la musique en général, je le prends comme une thérapie. Durant le confinement, je me suis replongé dans mon passé, dans ce que j’avais pu vivre depuis mon enfance, pour l’écrire."

J’ai cru comprendre que vous emportiez toujours un micro sur le circuit, c’est vrai ?
CM :
"La technologie est formidable (rires). J’ai, en effet, acheté un petit micro USB que je peux emporter partout pour faire des maquettes. Ce n’est jamais les versions finales, mais cela permet de passer le temps durant les tournois et de mettre en musique mes idées. Je fais souvent ça pendant les jours d’entraînements quand je finis vers 18h ou 19h, il m’arrive de prendre une heure avant d’aller manger pour composer. Souvent, j’essaie de composer en une fois, car c’est dur de se replonger dans la même émotion."

Aviez-vous parlé de votre projet aux autres joueurs du circuit ? Les retours sont-ils positifs ?
CM :
"Pas tellement car je voulais garder l’EP secret. J’ai travaillé dessus depuis longtemps et je ne savais pas quand il pourrait réellement sortir avec la saison qui reprenait, d’autant plus qu’il fallait tourner les clips. J’ai eu la chance de discuter avec certains joueurs à la sortie de certains titres, tous m’ont félicité. J’ai eu de nombreux retours positifs, c’est plaisant car je me lançais dans l’inconnu. Pour moi, l’image du tennis, très conservatrice, n’est pas forcément compatible avec le rap et pourtant il y a de nombreux amateurs de rap dans le tennis. Je ne savais pas comment mon projet allait être pris, si l’accueil allait être chaleureux ou si au contraire il serait critiqué. Mais, pour tout vous dire, je fais de la musique pour moi-même, je ne fais pas de la musique pour plaire. Si ça marche tant mieux, cela voudra dire que mon message aura parlé à plein de gens."

"Je ne fais pas de la musique pour faire de l’argent, ce n’est pas mon métier"

Vous faîtes référence aux clips, c’est une part importante de votre projet ?
CM :
"La musique est devenue un art visuel. Il suffit de regarder les artistes qui marchent en ce moment, comme PNL par exemple, pour le comprendre. Ils font un énorme travail visuel et je pense que c’est important pour toucher les gens. Pour ma part, j’ai toujours aimé mettre des images sur une histoire, sur mon histoire, c’est important et ça facilite la compréhension du message."

Est-ce que vous pensez qu’il existe un lien entre la musique et le tennis ?
CM :
"Forcément, il y a un lien dans le travail. Pour produire de la musique de qualité, il faut beaucoup travailler. Au tennis, pour bien jouer, il faut s’entraîner dur. Mais, à mes yeux, la musique est différente du tennis. Je ne fais pas de la musique pour faire de l’argent, ce n’est pas mon métier. S’il existe quelques similitudes, il y a également de nombreuses différences. Il n’y a pas de notion physique et le regard des gens est externe, il n’y a pas de jugement immédiat du public comme cela peut-être le cas sur un court de tennis."

Dans votre EP, le thème de la solitude est très présent. Par exemple, dans la chanson "Rêves’", vous dîtes "je me sens seul souvent, même entouré de 1000 personnes"...
CM :
"Je suis quelqu’un d’assez solitaire dans la vie de tous les jours. Pour moi, l’être humain est contradictoire. Parfois, on aime être entouré, parfois on apprécie la solitude. Il y a même des moments où l’on se rend compte que les gens qui nous entourent ne sont pas forcément là pour nous. C’est ce que j’essaie de résumer par cette phrase. Dans la vie, comme sur le court, nous sommes la seule personne à pouvoir nous aider. Toutes les personnes autour de nous, même si physiquement elles sont là, ne franchiront pas les obstacles pour nous."

L’éloignement avec votre famille est également largement évoqué. Votre EP était-il un moyen de le combattre ?
CM :
"C’était surtout un moyen de l’exprimer. C’est un peu plus facile d’exprimer cet éloignement derrière un micro. Je pense que c’est l’un des thèmes majeur de l’EP tout simplement car c’est l’un des thèmes majeurs de ma vie. Je suis parti de chez moi à 12 ans pour le tennis, ce n’est pas quelque chose de commun et d’évident pour un jeune de cet âge. J’ai dû l’affronter, je n’ai pas eu le choix pour continuer à progresser, je l’ai subi mais surtout j’ai accepté de faire ces concessions. Avec les années, ça ne change pas trop, on finit par s’y habituer, mais j’avais besoin de l’exprimer dans l’EP plus que tout."

"La douleur est plus présente lorsque l’on est jeune"

Vous pensez que cet éloignement peut avoir des conséquences sur votre jeu ?
CM :
"Non, comme je vous le disais, à mes yeux le tennis est tellement important que je suis prêt à faire ces concessions. C’est quelque chose d’obligatoire, on n'a pas le choix et on est tous dans le même cas. Surtout, aujourd’hui ça va mieux. La douleur est plus présente lorsque l’on est jeune, lorsque tous les copains restent à Paris alors que je dois partir pour le sport. À ce moment-là, oui, c’était plus compliqué, mais avec le temps, j’ai réussi à m’y faire."

Dans la chanson "au pays des étoiles", vous chantez "je ne ressens plus la pression, je suis à deux doigts de la dépression". Ce sont des mots forts, c’est un sentiment réel ?
CM :
"C’est plutôt une phrase à prendre à la légère, à relativiser, même si les mots utilisés sont assez forts. Mais, bien sûr, dans le tennis la pression est constante car le regard des gens est très présent et très important. Avec les réseaux sociaux, on peut vite sentir le jugement, ou le soutien, d’une personne que l’on ne connaît pas très rapidement. C’est cette partie de la vie de joueur de tennis qui est compliquée, celle d’être une personne comme les autres et dans le même temps de voir nos paroles, nos faits et nos gestes constamment jugés."

Dans le morceau "psychanalyse", vous chantez "pour pouvoir vaincre il faut être prêt à vivre le pire", ne serait-ce pas la métaphore parfaite d'un match de tennis ?
CM :
"Si, mais c’est également la métaphore de toute personne qui cherche à avancer dans la vie et atteindre le sommet dans son domaine. On est obligé de passer par des défaites, et des doutes, pour parvenir à ses objectifs. Comme cette phrase le dit, quand on a réellement envie de réussir, on est prêt à vivre le pire."

"Un match ne représente qu'une partie mineure de la personne que je suis"

On connaissait le Corentin Moutet, joueur de tennis, après l’écoute de cet EP, on découvre un homme touchant, mature...
CM :
"Les gens qui me connaissent réellement, me connaissent pour ce que je suis. Les gens qui me jugent sur le terrain, jugent ma personne et ma valeur pour ce que je représente sportivement. J’ai toujours trouvé ça un peu bête car les matches ne représentent qu’une partie mineure de mon année et de la personne que je suis. Sur le terrain, il y a beaucoup d’émotions qui sont dures à gérer, le tennis étant un sport qui demande beaucoup d’efforts émotionnellement parlant. En dehors du terrain, je suis un humain avant tout. Un humain avec ses peurs, ses passions, ses travers. Si cet EP peut permettre à certaines personnes de cesser de juger sur un match, alors je pourrais me féliciter d’avoir contribué à leur ouverture d’esprit."

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