Roland-Garros : protecteur ou inégalitaire ? On vous explique pourquoi le gel des classements ATP fait débat
Si la modification du système de calcul de l'ATP a permis de protéger le classement du top 100, elle a aussi créé des inégalités avec les joueurs les moins bien classés.
Protéger les stars au détriment des joueurs du circuit secondaire ? Le gel des classements mis en place depuis mars 2020 par l'ATP, l'association des joueurs de tennis professionnels, fait débat. S'il a permis à certains joueurs majeurs du circuit d'éviter de dégringoler dans la hiérarchie, il a aussi créé une forme d'inégalité entre les joueurs les mieux et les moins bien classés.
Alors que les qualifications pour Roland-Garros ont débuté lundi 24 mai, et après les trois semaines de Masters 1000 sur terre battue (à Monte-Carlo, Madrid et Rome), franceinfo: sport fait le point sur un système qui ne fait plus l'unanimité auprès des principaux concernés, tant sportivement qu'économiquement.
Le gel des classements, c'est quoi ?
Le 16 mars 2020, alors que de nombreux pays dans le monde se confinaient, l'ATP a instauré le gel des classements. Le circuit étant à l'arrêt, cette décision a d'abord été saluée par les joueurs et les joueuses. "C'était une bonne idée au début, car de mars à août 2020 il n'y avait aucun tournoi à jouer. On ne pouvait pas gagner de points donc ça aurait été injuste qu'on puisse descendre, mais pas monter", explique Marine Partaud, joueuse professionnelle sur le circuit secondaire (448e joueuse mondiale) et consultante de franceinfo: sport à Roland-Garros.
Le classement ATP fonctionne en effet d'une année sur l'autre : les points gagnés lors d'un tournoi disparaissent un an plus tard et sont remplacés par ceux gagnés lors de l'édition suivante. Sans tournoi après mars 2020, les joueurs auraient pu perdre leurs points acquis un an plus tôt et, pour certains, reculer au classement.
Le 24 août 2020, soit cinq mois après le début de la pandémie de coronavirus, l'ATP "dégèle" le classement mais modifie son système de calcul pour le classement technique des joueurs, qui permet d'établir la hiérarchie mondiale et de définir les têtes de série dans les tournois du Grand Chelem et les Masters 1000, notamment.
Basé d'ordinaire sur les résultats de l'année écoulée (sur 52 semaines), le nouveau fonctionnement prévoit ainsi de ne prendre en compte que la somme des 18 meilleurs résultats de chaque joueur lors des tournois s'étalant sur les 22 derniers mois (de mars 2019 à décembre 2020). Autrement dit, un joueur qui a remporté un tournoi en mai 2019 et qui n'a pas pu défendre son titre, conservera ses points acquis. Une subtilité toutefois : si lors de cette nouvelle période de comptage, un joueur a disputé deux fois le même tournoi, seul le meilleur résultat des deux sera retenu. L'ATP a d'ailleurs prolongé ce mode de calcul "jusqu'à la semaine du 9 août" 2021.
Mais si ce fonctionnement exceptionnel a protégé le top 100, il a en revanche créé une forme d'inégalité entre les joueurs. Alors que les mieux classés ne perdent pas leurs points acquis précédemment, ceux du circuit secondaire restent bloqués en bas de l'échelle et ne peuvent pas intégrer les principaux tournois du calendrier, quels que soient leurs résultats de ces derniers mois.
Qui sont les grands gagnants de ce gel ?
Avec la pandémie de coronavirus et ce gel de l'ATP, les classements actuels ne sont donc plus forcément en accord avec les performances des joueurs sur le terrain. Roger Federer est le meilleur exemple de cet écart entre classement gelé et officiel. S'il est en effet encore huitième mondial à l'ATP, le Suisse devrait être... 315e au classement hors gel !
Sa place protégée dans le top 10 n'est pas étrangère à ses choix tennistiques depuis la reprise du circuit. C'est en effet grâce à ce gel, et la préservation de ses points, que l'ex-numéro 1 mondial a pu bâtir un programme sur-mesure, faisant l'impasse sur de nombreux grands rendez-vous depuis la reprise de la compétition en août dernier. En 2021, le Suisse n'est apparu qu'à Doha en février, où il n'a passé qu'un tour, et à Genève la semaine passée, où il a été éliminé dès son entrée en lice.
Autres exemples très parlants, ceux des Français. Plus aucun des Mousquetaires ne devrait encore apparaître dans le top 100, selon les calculs de Jeu, set et maths. Gaël Monfils, qui conserve une avantageuse 15e place mondiale obtenue après un début d'année 2020 où tout lui souriait, est en réalité 376e mondial après un début de saison 2021 très difficile (une victoire en cinq matchs).
Même son de cloche pour Jo-Wilfried Tsonga, qui pointe à la 433e place quand l'ATP lui protège son 72e rang. Quant à Lucas Pouille et Gilles Simon, respectivement 85e et 68e au classement gelé, ils devraient être eux aussi bien en-dessous, à la 193e et 127e place. Ainsi, seulement huit Français devraient faire partie du top 100, contre 11 actuellement.
Ce gel a d'ailleurs suscité de nombreuses critiques et polémiques ces dernières semaines. Dernière en date, celle née des déclarations du Français Benoît Paire. "Quand tu vois que j'ai gagné deux matchs en deux ans et que je suis toujours 35e du classement, ça va. Je profite du système", a-t-il assumé, cité par L'Équipe le 10 mai, lors de son élimination au premier tour du Masters 1000 de Rome. Celui qui enchaîne frasques et polémiques sur les courts depuis plusieurs semaines conserve en effet sa 36e place (mise à jour au 21 mai) alors qu'il n'a gagné que deux matchs en 2021. Au classement hors gel, Paire aurait dû descendre à la 151e place.
Le top 3 mondial est-il avantagé ?
Dans le top 3 mondial en revanche, il n'y a pas vraiment de différences entre les deux classements. Novak Djokovic et Daniil Medvedev sont les numéros 1 et 2 à l'ATP dans les deux cas de figure. Seul leur nombre de points diffère et ainsi leur proximité. En effet, au classement gelé Djokovic surclasse ses rivaux avec 11 463 points, suivi de Medvedev à 9 780.
Mais la donne est quelque peu différente au classement hors gel, puisque le Serbe ne possède "que" 6 010 points. Medvedev, avec 5 765 points, le talonne ainsi davantage. Quant à Rafael Nadal qui complète le trio en tête de la hiérarchie, il redescend à la sixième place mondiale dans le classement hors gel.
Qui sont les grands perdants ?
Qui dit gagnants dit aussi perdants. Ce classement gelé fait en effet aussi du tort à certains joueurs qui enchaînent les bons résultats. L'Italien Jannik Sinner et le Russe Aslan Karatsev, tous deux auteurs d'une très belle saison jusqu'à présent, auraient intégré le top 10 dans un classement non-gelé. Mais dans la hiérarchie officielle, ils doivent se contenter respectivement d'une 17e et 25e place. Des écarts certes moins importants mais tout aussi défavorisants pour ces nouvelles têtes d'affiche en plein envol.
Côté français, trois joueurs sont particulièrement pénalisés. Si, au classement officiel, Benjamin Bonzi (137e), Arthur Rinderknech (125e) et Hugo Gaston (151e) sont au-delà du top 100, le classement hors gel les positionne respectivement à la 59e, 84e et 98e place. Ugo Humbert, officiellement 33e mondial, devrait lui être 27e mondial et ainsi devenir le numéro 1 français.
Un autre Français, Arthur Rinderknech, peine lui aussi à sortir du circuit Challenger malgré ses bons résultats et regrette ce gel des classements. "Évidemment que c'est un peu gênant quand on voit, pas forcément Benoît [Paire], mais certains joueurs qui ne jouent pas ou qui n'ont pas une grande motivation ou qui sont sur la fin qui en profitent pour continuer à aller juste sur les gros tournois et empocher les gros prize money. On se dit que ça fait des places perdues", a-t-il confié à L'Équipe il y a deux semaines.
Et selon notre consultante, ce gel a suffisamment duré. "Ils ont peut-être gelé le classement un peu trop longtemps, surtout que tous les tournois ont repris, reconnaît Marine Partaud. C'est injuste pour les joueurs et joueuses du circuit secondaire qui ne peuvent pas monter au classement et donc atteindre certaines places qui leur permettraient d'accéder à des tableaux finaux d'entrée. Et financièrement aussi, ces joueurs perdent de l'argent chaque semaine."
À tel point que la conséquence indirecte de ce gel est l'arrêt de nombreux joueurs du circuit secondaire, qui se découragent de stagner en bas de l'échelle. "Je connais de nombreux joueurs et joueuses du circuit secondaire qui ont arrêté car ils n'avaient plus assez d'argent pour voyager, regrette Marine Partaud. D'autres veulent arrêter, car cela les dégoûte de ne pas pouvoir monter. Pour grimper dans le classement, c'est deux fois plus dur qu'avant."
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