Yannick Noah: "Il y a urgence"
Yannick Noah a toujours eu ce côté magnétique. Lorsqu'il parle, tout le monde l'écoute. Lors de cette conférence de presse si attendue à Roland-Garros, le dispositif était forcément adapté pour lui. Après quinze jours de rumeurs, et au lendemain de sa nomination, il a parlé de sa vision de son rôle. "Je suis honoré, plein d'espoirs, extrêmement motivé", a-t-il dit. "J'ai le sentiment qu'on peut s'améliorer, et le sentiment que cela fait des années que les joueurs ne sont plus à leur meilleur en Coupe Davis. Mon rôle est de faire jouer de très bons joueurs, et faire en sorte quand ils jouent en équipe de France d’être les meilleurs possibles." Avec un objectif clair et assumé: "Donner du bonheur aux gens. Cela fait dix ans qu'on pleure de tristesse." Voilà pour les paroles de principe. Mais il est allé bien au-delà, après avoir rappelé qu'il avait "l'impression que je ne suis jamais vraiment parti. J'ai toujours eu des contacts avec les joueurs, les capitaines, les membres du staff."
"Cette génération est en train de passer"
Pour préparer son mandat, Yannick Noah a beaucoup discuté. "Après avoir parlé aux joueurs, c'est clair que tout était en place pour y aller", a-t-il résumé. "Je ne demandais pas seulement l'unanimité des joueurs, mais plus que ça." Et d'enchaîner: "Les discussions ont été très riches, intéressantes. C’est vraiment possible." Possible de gagner ce Saladier d'Argent, avec cette équipe élargie: "Je suis en contact avec tous les joueurs: Gilles Simon, Richard Gasquet, Jo-Wilfried Tsonga, Gael Monfils, Nicolas Mahut, Pierre-Hugues Herbert, Julien Benneteau, Lucas Pouille, Benoit Paire. Je veux que tous soient concernés par l’équipe de France. Je veux qu'ils sachent comment on fonctionne. A un moment ou à un autre, chacun pourra jouer en Coupe Davis." Et il avertit: "On est dans l’urgence. Il y a beaucoup d’espoir avec cette équipe, cette génération, mais elle est en train de passer. C’est aujourd’hui qu’il faut bien travailler. Les joueurs assez doués sont nombreux. On avait le sentiment qu’à un moment ça passerait comme ça. Mais ça ne l'a pas fait."
Yannick Noah sait que la tâche est grande. Son staff n'est pas encore formé, mais il promet que cela le sera dans les jours qui viennent, et assurément avant le tournoi de Bercy. C'est à cette occasion qu'il pourra voir le plus de joueurs, point essentiel pour viser plus loin. "Il faut apprendre à connaître les joueurs, les hommes. Ils réagissent tous différemment. Ce qui compte, ce n’est pas ce que je viens de dire, mais ce qu’ils comprennent. On ne parle pas de la même manière à Gilles qu’à Gaël. Gilles est très intéressant, mais avec sa façon de fonctionner et il ne comprend pas de la même manière que Jo, Gaël et Richard. On a 4 joueurs qui se tiennent. Quand j’envoie un message, il faut qu’ils le comprennent individuellement."
Celui qui sort du cadre, "c'est dehors"
Il a aussi énuméré les points qui pourraient bien changer. "Il faut définir le cadre. Une fois que c'est fait, c'est le début de l'aventure. Celui qui en sort, c’est dehors. On est des hommes, on se dit les choses. Il faut prendre des décisions parfois douloureuses. C’est à ce moment là qu’il faut faire preuve d’autorité." Et lorsqu'on lui parle d'un passé récent, où tel ou tel joueur avait fait l'impasse sur une rencontre en raison de la surface, de son mal-être, d'une petite blessure, il répond: "Vous avez sans doute encore quelques exemples. Moi j'en ai des centaines. Dans ce cas là ils seront plus dans l’équipe. C’est pas très compliqué. Il suffit de définir le cadre avant, définir le critère de sélection." Et le nouveau capitaine n'a pas mâché ses mots sur ce passé très récent: "Cette génération n'a connu qu'un mode de fonctionnement. C'est ce qui a fait qu'on est arrivé à ces résultats aujourd'hui. Si on avait eu des résultats, je ne serais pas là. Il va falloir travailler, changer certains fonctionnements. Ca va peut-être être des sacrifices. Quand j’expose ce plan là, ils adhèrent. Mais pour eux, c’est nouveau" , glisse-t-il presque avec surprise. Il prévient, dans une forme d'avertissement: "Il ne faut pas qu'on triche."
Sans partir à l'abordage d'Arnaud Clément, "une personne très bien humainement qui incarne l'esprit Coupe Davis", dont il comprend qu'il soit "blessé" par son éviction, il a taillé quelques "costards" à son prédecesseur. Sur la finale de la Coupe Davis perdue contre la Suisse en 2014, à laquelle il n'avait pas assistée: "On a tous vu ce qui s’est passé sur le terrain. Il faut juste voir comment rentre le joueur, comment se comporte le box, comment la communication se fait. Ca me suffit." Et d'asséner avec sa conviction habituelle: "Je sais qu’on aurait pu faire mieux en finale. Je sais qu’on aurait pu faire mieux contre les Anglais. Je ne pense pas, je sais ! J’ai bien compris que les jeunes n’arrivaient pas à s’épanouir depuis longtemps en Coupe Davis. C’est mon travail de trouver pourquoi. On a des idées. On est déjà à fond. Quand on a gagné l'épreuve, on a gagné des doubles, des simples, des grands matches, et on en a perdus aussi. Mais on a perdu en donnant le meilleur de nous-mêmes." Ces défaites demeurent dans sa mémoire: "On a de très bons joueurs de simple, de très bons joueurs double, et on a perdu des simples qu’on n’aurait pas dû perdre, pareil en double. Le double est le point important. Je garde en mémoire les différentes campagnes : les doubles ont été décisifs. Il faut qu'ils en aient conscience."
"Tant que l'aventure sera belle, on sera ensemble"
Le fonctionnement de l'équipe de France de Coupe Davis risque de changer. Celui du capitaine également. Pas de déplacement pour Yannick Noah, ou peu. "J'ai toujours eu pour priorité de garder mes discours pour la semaine de préparation à la Coupe Davis, pour qu'ils soient plus intenses. Des gens de mon staff le feront, comme le faisait à l'époque Patrice (Hagelauer)." A 55 ans, il a aussi répondu aux risques de décalage de discours avec cette jeune génération: "Je n'ai pas senti ça lors des premières conversations. Des mots ont peut-être disparu, mais c'est très bien qu’ils reviennent : solidarité, esprit d’équipe, union sacrée. J'ai beaucoup discuté avec Boris (Becker), Stefan (Edberg), Michael (Chang). Ca fait longtemps qu'ils ont arrêté le tennis. Les anciens connaissent le tennis. Si vous vous souvenez, Roger (Federer) était sur une pente descendante. Je pense sincèrement qu’Edberg lui a fait beaucoup de bien. Amélie a aussi fait beaucoup de bien à Murray", rappelle-t-il. Il espère que son come-back en équipe de France ressemblera à leur retour sur le circuit, dans le box des meilleurs joueurs du monde.
Il a aussi balayé l'image de chanteur qu'il pourrait véhiculer: "Je n'arrive pas avec une image", a-t-il coupé. "Il y a un contenu, un fond. L'image, c'est la forme, c'est rien. L'important, c'est ce qui se passe dans le vestiaire, dans la préparation. C'est là qu'on gagne." Quant à sa carrière de chanteur, il la met entre parenthèses, sa tournée d'après-album s'étant achevée voici quelques jours: "Je suis à 100% tennis, à 100% capitaine. Je pars sur cette année, puis une autre, puis une autre... On verra, tant que l’aventure sera belle, on sera ensemble."
Sa première échéance officielle, c'est mercredi avec le tirage au sort du 1er tour de Coupe Davis 2016. Ensuite, il a encore six mois pour préparer cette première rencontre. Et il rappelle: "Federer a gagné sa première Coupe Davis à 34 ans. Donc on a encore un peu de temps", pour cette génération de presque trentenaires.
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