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"Je me rendais bien compte que le gamin avait du talent" : le jour où John McEnroe est entré dans la cour des grands

C'est contre son compatriote Jimmy Connors, sur le gazon de Wimbledon, que l'Américain a livré l'un de ses premiers matchs d'exception. Et qu'il a développé son caractère volcanique et son tennis conquérant.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
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John McEnroe lors de sa demi-finale de Wimbledon contre Jimmy Connors, le 30 juin 1977. (FOX PHOTOS / HULTON ARCHIVE)

Eté 1977. Les Sex Pistols sont à leur sommet et John McEnroe débarque dans la vie des amoureux du tennis. Pas lors de son match le plus connu – la finale de l'édition 1980 de Wimbledon face à Borg, assurément l'un des plus grands matchs de l'histoire, adapté au cinéma, mercredi 8 novembre. La rencontre où tout a commencé a eu lieu le 30 juin 1977, contre Jimmy Connors, en demi-finale du tournoi britannique, quand la version punk de God Save The Queen caracole en tête des charts.

"Rétrospectivement, je me vois comme un produit de la révolution punk, commentera l'Américain dans The Irish Times. J'avais cette attitude punk qui mettait les gens hors d'eux." Quelques Wimbledon plus tard, McEnroe sera qualifié de "pire publicité pour les valeurs américaines depuis Al Capone" par le New York Times et fera l'objet d'un essai, dont le titre est longtemps resté John McEnroe et le déclin de la civilisation, sur l'influence du tennis au XXe siècle. Anarchy in the UK, on vous dit.

Tensions dans le vestiaire

S'ils viennent du même pays, McEnroe, l'enfant du Queens, et Connors, natif de l'Illinois, se rendent compte dès le premier regard qu'ils n'ont pas d'atomes crochus. Ce n'est qu'à l'occasion de son accession en demi-finales que McEnroe s'est vu autoriser à accéder au vestiaire A, celui des champions, mitoyen du Centre court. Jusque-là, le jeunot, 18 ans, du poil au menton et une place au-delà du 200e rang au classement ATP, est relégué dans le lointain vestiaire B. Son entrée dans le grand monde coïncide avec sa première rencontre avec Jimmy Connors. Le joueur à l'éternelle coupe au bol ne daigne pas lever un sourcil quand le morveux se présente. "Ça a été très bref", se souviendra McEnroe dans sa biographie.

Connors n'a même pas envisagé que je puisse exister.

John McEnroe

dans "You Cannot Be Serious"

Pourtant, Connors a "beaucoup entendu parler du gamin" mais il ne laisse rien transparaître. "Il est venu vers moi, s'est présenté, racontera avec délectation Connors dans son autobiographie, The Outsider. J'ai rangé mes raquettes dans mon sac et je suis parti, sans dire bonjour, sans sourire, comme s'il n'y avait personne." Des méthodes de boxeur qui font de l'effet au rookie"A ce moment-là, j'ai décidé que je ne voulais pas gagner ce match", écrit, vingt ans plus tard, un McEnroe qui redoutait à l'époque de rencontrer Borg en finale. Car un poster du Suédois figure en bonne place dans sa chambre d'ado, "à droite d'une affiche de Farah Fawcett", confiera-t-il au Washington PostPire, s'il bat Connors et se hisse en finale de Wimbledon, McEnroe devra faire une croix sur son entrée dans la prestigieuse université de Stanford. "Je n'étais pas prêt à faire le grand saut" chez les pros.

John McEnroe pose pour les photographes dans la rue de la maison familiale, dans le quartier du Queen's, à New York. (GETTY IMAGES)

Un public hostile après une raquette brisée

C'est un McEnroe tétanisé qui entre sur le court. Sa première sur le saint des saints, le Centre Court. Un nom ronflant, où s'est écrit l'histoire du tennis, et où la révérence est de rigueur devant la Royal Box même quand seul un duc de second rang l'honore de sa présence. Pas pour McEnroe, qui avait fait savoir que Wimbledon ne lui évoquait que la pluie, le froid, des courts mal tondus, une programmation biaisée et des spectateurs bouffis de leur propre importance. Un journaliste du Washington Post qui a déjeuné avec lui racontera en 1979, horrifié, sa façon de s'enfourner des fraises à la crème sans la sacro-sainte cuillère. Shocking !

Dans les gradins, un public qu'il sait hostile. Pour sa première participation à Wimbledon, "Big Mac" ne s'est pas fait que des amis. En quarts de finale, face à l'Australien Phil Dent, qui l'avait sorti au deuxième tour de Roland-Garros quelques semaines plus tôt, il essaye de briser sa raquette, de rage, à la fin du premier set. Le public de Wimbledon est médusé par cette entorse aux règles de courtoisie en vigueur au All England Club. La raquette résiste. Quelques sifflets descendent des tribunes. McEnroe insiste, le cordage cède. Là, ce sont des milliers de personnes qui le huent.

John McEnroe fracasse sa raquette lors de son quart de finale victorieux contre Phil Dent, le 28 juin 1977 à Wimbledon. (BETTMANN / BETTMANN / GETTY IMAGES)

"J'ai trouvé ça drôle, se rappellera "Big Mac", bravache. Je me suis dit : 'Mais que ces gens sont prétentieux !' Rétrospectivement, je pense que c'est là que la boîte de Pandore s'est ouverte..." Après le match, la mauvaise graine est convoquée chez le superintendant pour une remontrance. "Il m'a promis de ne plus recommencer", confiera, plein de candeur, Sir David Mills, qui lui a expliqué que garder le contrôle de ses nerfs lui permettrait de mieux maîtriser ses matchs. "J'aurais dû me douter de quelque chose. Il ne m'a pas remercié", soufflera-t-il dans le livre Borg versus McEnroe, publié 25 ans plus tard.

Un mauvais clone de Björn Borg

En débarquant à Londres, McEnroe ne paie pas de mine. Dans une de ses premières interviews, il la joue profil bas quand on l'interroge sur la possibilité de rencontrer Connors. "J'aurais de la chance si je gagne quelques jeux", répond-il, modeste, au New York Times. Complexe d'infériorité ou pas, McEnroe se fait balader sur le court. Mais "Jimbo" ne prend pas ce match à la légère.

Je me rendais bien compte que le gamin avait du talent et était là pour un bail.

Jimmy Connors

6-3, 6-3 pour Connors. L'affaire semble entendue. Pendant ces deux sets, McEnroe n'est qu'un mauvais clone de Björn Borg, dont il a copié les vêtements, les cheveux longs et le bandeau sur le front pour maîtriser un tant soit peu sa tignasse. Si son tennis est déjà là, son look ne va pas tarder à changer. Un certain Phil Knight, le patron de Nike, flashe en effet sur lui dans les tribunes.

A sa décharge, la préparation de McEnroe a été tout sauf optimale. La fédération américaine lui avait alloué un pécule de 500 dollars pour sa tournée en Europe. Un budget calculé au dollar près, entre colocation dans des hôtels sordides et des pizzas tous les soirs. "Je suis venu avec mes joues de poupon, mes longues chaussettes blanches et quelques barres de Snickers", résumera-t-il. La veille de son troisième tour de qualifications, programmé tôt le matin, le concierge de son bouge refuse de lui prêter un réveil ou de frapper à sa porte à six heures.

Qu'à cela ne tienne, McEnroe opte pour la nuit blanche. Et se défera d'un anonyme tennisman au terme d'un match accroché sous la pluie. Pas question de suspendre la partie en attendant la fin de l'averse pour du menu fretin. "Si je perds contre ce mec, j'arrête le tennis", grommelait McEnroe dans les vestiaires lors des premiers tours, d'après le livre High Strung. Sa carrière s'est peut-être jouée à une poignée de points, sur les courts anonymes de Roehampton.

Papa et maman dans les tribunes

Face à Connors, la différence est criante entre un professionnel aguerri et un ado de 18 ans encore mal dans son corps, qui se définit comme "un garçon timide". Un gamin perfectionniste, qui tire la tronche quand son coup sort des limites du court, "comme quand je n'avais pas A à mes examens à l'école". Quand McEnroe, plus jeune demi-finaliste en un siècle de tournoi, traverse une mauvaise passe, il ne fait pas semblant. "La tête d'un nourrisson sevré de lait", décrit Tennis Magazine"Du pain béni pour les photographes", renchérit le New York Times. 

John McEnroe avec ses parents devant leur maison du Queens, à New York, le 2 juillet 1977. (NEW YORK DAILY NEWS ARCHIVE / NEW YORK DAILY NEWS / GETTY IMAGES)

John McEnroe n'a jamais raconté s'il avait cherché ses parents du regard dans ce match mal embarqué. Pas forcément un bon signe. Sa mère "ne se déplace que quand c'est un match que je suis sensé perdre", confiera-t-il. Maman McEnroe, ainsi que son père et le frère cadet Patrick, ont traversé l'Atlantique la nuit précédente. "Jamais nous n'aurions pensé qu'il irait aussi loin", se défendra McEnroe senior, avocat à la ville, dans le New York Magazine. Entre le père et le fils a été forgé un pacte : "Ne m'embête pas avec la place de n°1 mondial avant que j'ai fêté mes 18 ans", a édicté John.

"Big Mac" se rebiffe

Troisième manche. McEnroe sent la colère bouillir en lui, son jeu se fait plus agressif, les points défilent. 6-4 pour l'enfant du Queens. Déjà cette attitude conquérante. Déjà les prémisses de ce drôle de service dos au court, qui inspirera plus tard Sampras et Federer. "Son jeu et sa précision étaient impressionnants, et j'ai dû m'employer pour plier l'affaire en quatre sets", reconnaîtra Connors. Qui hausse son niveau de jeu pour s'adjuger le match. 6-4 dans la quatrième manche, devant un public qui a pris fait et cause contre McEnroe après une énième colère. "Un match insipide, tranchera Herbert Wind, auteur du livre The Tennis Boom of the 1960s and '70s. McEnroe avait perdu son élan, et Connors s'était contenté de déployer le jeu haché et indigeste qu'il avait adopté pendant tout le tournoi."

John McEnroe (à gauche) serre la main de Jimmy Connors, en demi-finale de Wimbledon, le 30 juin 1977. (FOX PHOTOS / HULTON ARCHIVE)

Après le match, "Big Mac" laisse tomber sa modestie de façade. "Jimbo" l'a de nouveau royalement ignoré dans les vestiaires. Le match est fini, pas la rivalité entre les deux Américains, qui va s'éterniser sur plusieurs décennies. Plein de morgue, "Big Mac" rétorque à un journaliste qui le félicite d'avoir fait bonne figure face à Connors : "Je n'étais pas venu pour faire bonne figure, j'étais venu pour gagner !" Ce que confirmera dans le journal de la fac son amie Mary Carillo, avec qui il a gagné Roland-Garros en double mixte chez les juniors quelques semaines plus tôt : "Quand on avait 10 ans, moi je jouais au tennis, lui, il allait à la guerre."

"Je n'ai probablement jamais était aussi heureux qu'en 1977 quand tout était encore nouveau", soupirera John McEnroe interviewé par Sports on Earth. Encore amateur, il n'a pas le droit de toucher le chèque qui lui était dû pour son bon parcours. Pas encore majeur dans son pays, c'est son père qui encaissera ses premiers gains... pour un montant total de 120 000 dollars. Contrairement à ce qu'il attendait, son classement de 21e mondial ne fait pas oublier son physique de crevette auprès de la gent féminine. Celui qui a repris le chemin de la fac préfère voir le bon côté des choses : "90% des Californiennes sont jolies, les 10% restant font Stanford", lance-t-il à Sports Illustrated dans un grand éclat de rire.

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