Joueurs privés d'entraînement, repas polémiques et colère du circuit… un air de chaos entoure déjà l'Open d'Australie
"Ça a été une journée de merde." Craig Tiley peine à masquer le mélange entre tension et fatigue. Le patron de l'Open d'Australie (AO) est à la barre d'un navire voguant en eaux agitées. La préparation de son Grand Chelem s'annonçait déjà compliquée entre une situation sanitaire très incertaine et la nécessité de maintenir le bon ordre sportif. Elle est désormais encore plus pénible que prévue.
Les participants à l'AO sont arrivés en Océanie pour la longue parenthèse australe du début de saison 2021. Mais à peine le pied posé sur le sol australien, certains ont appris que la moquette de leur chambre d'hôtel serait la seule surface qu'ils pourraient fouler pendant deux semaines. Une quarantaine, obligatoire pour toute personne arrivant en Australie depuis l'étranger, était bien inscrite au programme des joueurs. Mais pour les joueurs à bord des vols où un passager a été testé positif à la Covid-19, ce confinement plus strict les prive des deux heures d'entraînement quotidiennes autorisées.
Samedi 16 janvier, ils étaient ainsi 47, en provenance de Los Angeles et Abou Dabi, cloîtrés de force. Le chiffre est passé dimanche à 72 après qu'un passager du vol depuis Doha, où se déroulaient les qualifications, ait été testé positif. 25 joueurs, dont le Français Alexandre Müller, étaient à bord de cet avion.
"J'y aurais pensé deux fois avant de venir"
Chez les concernés, l'incompréhension et la colère règnent. "Ce que je ne comprends pas, c'est que personne ne nous ait jamais dit que si une personne était positive dans l'avion, tout le monde devrait être isolé, s'est insurgée Yulia Putinseva. J'y aurais pensé deux fois avant de venir." Sorana Cirstea opine dans un tweet : "S'ils nous avaient dit cette règle avant, je serais restée à la maison." La Roumaine s'inquiète du déficit d'entraînement et de travail physique avant l'un des tournois les plus exigeants de la saison. Elle estime à "trois semaines" le temps nécessaire pour revenir en forme après cette coupure imposée.
"Je n'ai aucun problème à rester 14 jours dans ma chambre à regarder Netflix, précise-t-elle. Croyez-moi, c'est un rêve qui devient réalité, des vacances même. Ce que nous ne pouvons pas faire, c'est être compétitif après être restés 14 jours sur un canapé. Là est le problème, ce n'est pas la règle de la quarantaine." Craig Tiley n'est pas de cet avis. L'organisateur du premier Grand Chelem de la saison l'a répété à la télévision australienne samedi soir : "Nous avons été très clair dès le début. C'est pourquoi nous avons regroupé les joueurs par contingents". Ce qu'ont confirmé plusieurs d'entre eux, dont Stéphane Houdet.
"Pas mal de choses ont été dites par certains joueurs mais ils ont manqué de lecture ou de suivi des conférences proposées par Tennis Australia, nous a expliqué le champion français de tennis-fauteuil. On en a eu beaucoup et on n'a pas forcément envie de tout lire. Mais entre les conférences et les écrits, ils avaient été très clairs. S'il y avait des cas contacts, l'officier du ministre de la Santé australien décidait s'ils confinaient ou non l'intégralité de l'avion."
Grosse embrouille et système D
En attendant de pouvoir retrouver les terrains, les joueurs trouvent les seuls substituts qu'ils ont sur la main pour maintenir un semblant d'activité. Dans une chambre avec vue sur les courts, on joue contre la vitre ou contre des matelas pour avoir le droit à quelques échanges. Une chaise devient une haltère pour faire un peu de musculation.
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Mais ces alternatives ne remplacent pas la présence des coaches, interdits pour certains de voir leurs protégés, étant dans le même hôtel mais pas la même chambre. Le matériel sportif n'est lui pas de série et tout le circuit n'est pas encore logé à la même enseigne.
"Nous avons besoin de conditions confortables pour être dans un isolement pareil, a expliqué l'Ukrainienne Marta Kostyuk au site spécialisé Tennis.BTU samedi. "Le Wi-Fi n'est pas très bon et certaines joueuses ne l'ont même pas du tout. Nous avons aussi besoin de tapis de course ou de vélos d'appartement. Je ne les ai pas demandés avant d'arriver ici parce que je ne devais pas rester dans ma chambre tout le temps."
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Alors, l'agacement grimpe et la colère gronde. Et des éléments d'ordinaire anecdotiques deviennent sujet à tensions. Comme Yulia Putintseva, contrainte d'attendre des heures – quarantaine oblige - pour changer de chambre en pleine nuit à cause d'une souris. Ou encore pour des plateaux repas pas à la hauteur ou à la convenance des habitudes de certains joueurs. "Nous avons des plateaux-repas et Tennis Australia nous a mis à disposition un coupon de 100 dollars australiens (63 euros) par jour pour équilibrer, tempère Stéphane Houdet. Il y a 28 restaurants ou supermarchés possibles pour compléter, il y a même un restaurant français hyper côté."
Ces livraisons pourraient aussi donner lieu à des crispations puisque plusieurs joueurs ont déjà enfreint les règles sanitaires en ouvrant la porte de leur chambre de manière prolongée. La sanction peut aller d'une amende salée (près de 12 750 euros) au déménagement dans un hôtel avec une sécurité renforcée. "Le protocole est hyper strict pour les repas, nous rappelle Houdet. On frappe à notre porte pour la livraison, on ouvre et on récupère notre repas. Et voilà fin de l'histoire. Les joueurs n'ont pas tout lu."
Melbourne les nerfs à vif, Djokovic s'en mêle
Les traits tirés devant la caméra de la chaîne Channel 9 dimanche 17 janvier, Craig Tiley l'assure, il est bien conscient de ces difficultés. "Nous continuerons à faire de notre mieux pour assurer aux joueurs qui ne sont pas dans une bonne situation une solution quelque peu acceptable" a-t-il insisté. Mais les couacs ont commencé dès la préparation du voyage en Australie. "Globalement, c'est carré et la plupart des joueurs l'ont salué. Là où je ne suis pas content, c'est sur l'organisation des voyages," clame toutefois Stéphane Houdet.
"On nous a demandé de faire un test 72 heures avant de partir mais on ne savait pas quand on partait ! J'ai appris le dimanche que je partirais le mercredi, j'ai eu le billet la veille pour le lendemain. Heureusement grâce à la Fédération française de tennis, j'ai pu passer un test le lundi. Et encore je suis sur Paris, pas en province… J'ai aussi évité la solution qui a été proposée de faire Paris – Londres, rester dix heures là-bas alors que la Covid-19 y fait rage pour ensuite faire Londres – Abou Dabi, et Abou Dabi – Melbourne. Des bagages ont été perdus, les compagnies étant différentes, l'acheminement n'a pas été géré. Un joueur belge n'avait même pas son billet ! Il a dû prendre l'Eurostar pour arriver en dernière minute à l'aéroport."
Ces inégalités de traitement et ces plaintes font autant grincer des dents au sein de la "bulle" tennis qu'au sein de la population australienne. Le protocole sanitaire exceptionnel pour la tenue de l'Open d'Australie a été obtenu après d'âpres négociations avec les autorités. L'île avait fait le choix stratégique de mesures drastiques pour lutter contre la Covid-19, avec des résultats probants. De quoi soulever la crainte d'une nouvelle contagion après l'arrivée sur son sol d'un millier de sportifs. Et ce ne sont pas les propositions adressées, selon le média Punto de break, par Novak Djokovic aux organisateurs du tournoi qui risquent de mesurer les craintes.
Le numéro un mondial, ouvertement critiqué pour sa gestion de l'Adria Tour face à la pandémie en juin dernier, milite en faveur d'une réduction des jours d'isolement pour les cas contact contre plus de tests, d'une autorisation de sortie pour retrouver son entraîneur ou son préparateur physiques en cas de test PCR négatif ou encore pour le déplacement d'un maximum de joueurs vers des résidences privées munies de courts de tennis. Pendant ce temps, une partie des Australiens n'a toujours pas pu rejoindre son domicile depuis des mois à cause du coronavirus. Et l'Open d'Australie doit débuter vaille que vaille le 8 février prochain comme l'a confirmé son grand patron, malgré le bazar général qui l'entoure.
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