Open d'Australie 2025 : d'un Grand Chelem isolé à un Majeur reconnu... Pourquoi le tournoi australien a eu du mal à conquérir le cœur du circuit
Il n'a pas toujours été le Grand Chelem paradisiaque qu'il est aujourd'hui. Né en 1905 et reconnu officiellement comme un Majeur en 1924, l'Open d'Australie, surnommé le "happy slam" ("joyeux chelem") a connu des débuts difficiles aux côtés de ses trois comparses que sont Roland-Garros, Wimbledon et l'US Open. "Pour nous, ce n'était pas un tournoi du Grand Chelem, nous ne le considérions pas comme tel", se souvenait au micro d'Eurosport en janvier 2023, le Suédois Mats Wilander, joueur entre 1981 et 1996.
"Croyez-le ou non mais, pour moi, il y avait beaucoup d'évènements qui n'étaient pas des Grands Chelems mais que je plaçais bien au-dessus de l'Open d'Australie, expliquait à son tour l'Américain John McEnroe (1977 – 1992) dans le même article. Le Masters, surtout au Madison Square Garden, ou le WTC à Dallas étaient des rendez-vous beaucoup plus importants que l'Open d'Australie dont, pour être franc, je n'avais strictement rien à faire." Pendant une décennie, entre les années 1970 et 1980, soit au début de l'ère Open (débutée en 1968) et de la professionnalisation du tennis, le Grand Chelem est boudé par les meilleurs joueurs mondiaux, à l'image des deux anciens numéros 1, cités plus haut.
Le Grand Chelem des antipodes
Ce manque de reconnaissance s'explique d'abord par l'éloignement de ce tournoi situé aux antipodes. "Ce dont il a pâti, ce n'est pas tellement un déficit d'image, mais d'une problématique de distance", met en lumière Philippe Tétard, maître de conférences en histoire contemporaine au Mans Université et spécialiste de l'histoire du sport.
Si aujourd'hui il faut une journée de voyage, "en 1947, il fallait quatre jours et neuf escales pour y aller en avion, poursuit ce spécialiste. Avant la guerre, il fallait même deux mois pour rallier l'Australie en bateau, à l'époque où il n'y avait pas les liaisons transcontinentales aériennes. L'autre côté de l'Atlantique était accessible en paquebot en une semaine environ dans l'entre-deux-guerres." Ainsi, peu de joueurs effectuaient le déplacement, qui n'était pas à la portée de toutes les bourses.
"Quand ils s'y rendaient, ils le faisaient une fois dans leur carrière", assure François Thomazeau, écrivain, journaliste, ancien chef de presse à Roland-Garros, et auteur en octobre dernier de Rafael Nadal, Le Plus grand de tous les temps (En exergue Editions).
"La plupart des grands joueurs et des joueuses d'avant-guerre jouaient régulièrement les trois grands tournois et ne jouaient pas forcément en Australie."
François Thomazeau, écrivain et journaliste, spécialiste tennisà franceinfo: sport
Ce fut d'ailleurs le choix du joueur Suédois, Björn Borg, qui n'a participé qu'une fois à l'Open d'Australie en 1974, où il atteint les huitièmes de finale. "Certains joueurs comme Borg voulaient gagner les quatre Grands Chelems la même année. Mais, comme il a toujours perdu aux Etats-Unis, il n'allait jamais en Australie pour jouer ce quatrième Grand Chelem, qui était loin et qui ne lui servait à rien entre guillemets", raconte François Jauffret, ancien 20e mondial, et demi-finaliste à Roland-Garros en 1966 et 1974.
Pour le détenteur du record de sélection en Coupe Davis (35), "il n'y avait pas de raison particulière d'aller jouer en Australie", admet-il avant de préciser : "C'était un tournoi amateur, un peu commun, dont le déplacement coûtait cher, et sans 'prize money' [avant l'ère open]. C'était une époque complètement différente, qui explique que beaucoup ne participaient pas à ce tournoi."
Un tournoi longtemps à la portée nationale
En plus de son éloignement, le tournoi demeure pendant plusieurs décennies "un championnat avant tout d'Australasie [qui comprend l'Australie, l'archipel de la Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Guinée, ainsi que les îles plus petites les entourant] puis un championnat national, amateur comme le voulait l'usage", souligne par ailleurs l'historien du sport, Philippe Tétard. De plus, le tournoi se déroule entre novembre et décembre, sans date fixe, tout comme la ville hôte du tournoi qui change d'année en année. Il faudra attendre 1972 pour qu'il s'installe durablement à Melbourne.
Autant de raisons qui ont laissé le Grand Chelem australien dans un entre-soi. Entre 1905 et 1976, seulement 12 joueurs non-australiens et 10 joueuses non-australiennes (entre 1922 et 1979) ont soulevé la coupe. De quoi nuancer le palmarès le plus ancien du tournoi. D'ailleurs, depuis 1977, plus aucun local ne s'est imposé à l'exception d'Ashleigh Barty en 2022.
La surface initialement choisie n'est pas non plus à son avantage. "Le tournoi est donné sur gazon jusqu'en 1987, avant de passer au rebound Ace, une surface dure. Il faisait un peu doublon avec Wimbledon", constate Philippe Tétard. "Le tournoi prestigieux sur le gazon était Wimbledon. Et pour qu'il y ait vraiment cet effet Grand Chelem en Australie, il fallait qu'il y ait une autre surface. L'idée était que chaque tournoi soit identifié par sa surface. A tel point que dans les années 1910-1920, ce qui était considéré comme la quatrième manche du Grand Chelem plus que l'Australian Open, c'était le tournoi de Stockholm qui se jouait sur un parquet en bois", précise François Thomazeau.
Menace de perdre son statut de Grand Chelem
Dans ce contexte, et sans une surface qui le distingue, le tournoi est même menacé de perdre son statut de tournoi du Grand Chelem au début des années 1980. On évoque déjà son potentiel remplaçant, le Masters. Pour autant, les organisateurs ne se laissent pas abattre.
L'année 1983 est souvent citée comme un tournant de la survie du tournoi. Lors de cette année, Mats Wilander, qui est en Australie pour la Coupe Davis, en profite pour participer au tournoi, aux côtés d'Ivan Lendl et John McEnroe. "Comme ils font partie des meilleurs joueurs mondiaux, et même si la plupart d'entre eux ne sont pas là, ça donne une couleur à l'Open d'Australie que ce tournoi n'avait pas jusque-là", développe Philippe Tétard. Mais le point de bascule arrive à la fin des années 1980. "Plusieurs éléments qui se combinent, poursuit le maître de conférences. D'abord, le décalage du tournoi de décembre, sur la période de Noël, à janvier." Ensuite, le déménagement du tournoi de Kooyong (dans la banlieue de Melbourne) à Flinders Park avec la Rod Laver Arena en 1988 et le passage du gazon au dur. Le tournoi se calque aussi sur le système à 128 joueurs, ce qui fait qu'à la fin des années 1980, l'Open d'Australie "réunit toutes conditions pour appartenir au Grand Chelem circus".
Au même moment, tous les regards se portent sur l'Australie, qui connaît son âge d'or du tennis entre les années 1960 et 1980, avec notamment Ken Rosewall, John Newcombe ou Rod Laver, mais aussi Margaret Court sur le circuit féminin. "Il y a cette période où, parce que les meilleurs joueurs du monde sont australiens, forcément, leur tournoi va prendre de l'importance", ajoute François Thomazeau. S'ajoute aussi le début de l'ère Open, synonyme de professionnalisation, qui permet la création du circuit ATP et WTA avec un enchaînement de tournois, avec des dotations. De quoi augmenter son attractivité.
En 2024, cent ans après avoir obtenu son statut de Grand Chelem, l'Open d'Australie est-il toujours la quatrième roue du carrosse ? "Dès le départ de la nouvelle organisation, le professionnalisme aidant, les meilleurs sont venus, acquiesce François Jauffret. L'Open d'Australie n'est pas devenu ce qu'il est aujourd'hui du jour au lendemain, mais il a très vite pris sa lettre de noblesse." Pour François Thomazeau en revanche, si la tendance "s'est un peu égalisée", une "certaine hiérarchie tient encore, où le prestige reste à Wimbledon d'abord, puis l'US Open, Roland-Garros et enfin l'Open d'Australie. Cela reste un peu dans l'inconscient tennistique collectif du fait de son histoire passée".
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.