Open d'Australie : sans la moindre Française au troisième tour, comment expliquer les mauvais résultats du tennis féminin tricolore ?
Varvara Gracheva était la dernière survivante des joueuses tricolores dans le tableau féminin, à Melbourne. Le destin de la 66e mondiale ne lui a pas beaucoup plus souri qu'aux autres, jeudi 16 janvier, après sa défaite au deuxième tour contre l'Allemande Eva Lys, lucky loser repêchée des qualifications qui pointe à la 128e place mondiale. Sur les cinq Françaises engagées dans le tableau final, une seule s'est hissée au deuxième tour de l'Open d'Australie, aucune au troisième. Il s'agit de la deuxième fois depuis 1987 qu'aucune joueuse française n'est au troisième tour à Melbourne, d'après le compte X (anciennement Twitter) Jeu, set et maths.
Ce pauvre bilan n'est que le reflet d'une disette qui perdure. À y regarder de plus près, le tennis français féminin est même en berne. Sur les dix-neuf derniers tournois du Grand Chelem (l'édition 2020 de Wimbledon a été annulée en raison du Covid-19), les Françaises ont atteint à dix reprises les huitièmes de finale (Caroline Garcia et Alizé Cornet à trois reprises chacune, Fiona Ferro, Harmony Tan, Océane Dodin et Varvara Gracheva une seule fois).
Depuis le titre de Marion Bartoli à Wimbledon en 2013, dernière Française victorieuse en Grand Chelem, la meilleure performance d'une Tricolore en Majeur reste la demi-finale à l'US Open en 2022 de Caroline Garcia, 67e mondiale, et actuelle numéro deux française derrière Diane Parry (66e). "Quand je jouais, il y avait Amélie Mauresmo, Mary Pierce, Nathalie Dechy et Nathalie Tauziat, autant de joueuses qui étaient au top niveau, avec une vraie meneuse, analyse Tatiana Golovin, 12e mondiale en 2008. Aujourd'hui, le bilan est un peu sauvé par Caroline Garcia, mais il n'y a pas eu assez de joueuses au haut niveau pour montrer le chemin et motiver les jeunes."
L'année 2024 a même été cauchemardesque : seule Loïs Boisson (203e) a remporté un titre WTA (à l'Open 35 de Saint-Malo, dans la catégorie WTA 125). Un manque de résultats qui se ressent inévitablement dans le classement mondial. Derrière Diane Parry, seules deux autres Tricolores pointent dans les 100 premières, Caroline Garcia (67e) et Varvara Gracheva (69e). Pour couronner le tout, la France n'a pas réussi à se maintenir dans le groupe mondial mi-novembre, lors de la Billie Jean King Cup. "Ce résultat était prévisible. On ne peut pas exiger autre chose que ce que l'on voit sur l'année", constate Tatiana Golovin, quart de finaliste à l'US Open en 2006.
Un manque d'émulation
Ce vide se remarque d'autant plus que les joueuses françaises ont davantage brillé que les hommes dans les tournois du Grand Chelem : Amélie Mauresmo sacrée à l'Open d'Australie et l'US Open 2006, Mary Pierce à l'Open d'Australie 1995 et Roland-Garros 2000, et Marion Bartoli à Wimbledon en 2013. "Il y a vingt ans, le réservoir de joueuses était assez important, avec plus de 10 filles dans les 100 premières mondiales. Aujourd'hui, le vivier du tennis français féminin est très pauvre, constate Loic Courteau, ancien entraîneur d'Amélie Mauresmo et de l'équipe de France de Fed Cup pendant 18 ans.
Avec ce faible réservoir, il est ainsi difficile de créer une émulation. "Plus on a de filles, plus on a d'émulation, et plus les filles se poussent entre elles pour essayer de passer les unes devant les autres. C'est une émulation saine et bénéfique", poursuit Loic Courteau, qui a aussi occupé le poste de responsable de la performance au sein de la Fédération française de tennis (FFT). Cette dynamique est d'ailleurs visible chez les hommes, avec douze joueurs dans le top 100, dont quatre dans le top 50. La France est même le pays le plus représenté dans le top 100.
Chez les femmes, l'émulation n'est plus. "C'est dur à expliquer, répond Diane Parry, questionnée à ce sujet à l'issue de son élimination au premier tour dimanche 12 janvier. Ce sont des périodes et des enchaînements de circonstances", estime la joueuse. Caroline Garcia, qui vient de lui céder sa place de numéro un française, a cherché son rythme toute l'année et a arrêté sa saison en septembre après avoir fait part de son épuisement mental. Kristina Mladenovic, ancienne top 10, ne parvient pas à remonter la pente depuis 2018 et pointe désormais à la 210e place mondiale. "Chez les plus jeunes, avec Diane Parry et Clara Burel, qui ont été très fortes en juniors, le passage chez les seniors est plus difficile, analyse l'ancienne top 10 Nathalie Dechy, demi-finaliste à l'Open d'Australie en 2005. Mais derrière elles, même deux ou trois années plus jeunes, ça ne se bouscule pas au portillon."
À la recherche de la relève
Pourtant, Loic Courteau l'assure : "On n'a raté aucun talent en France." Ce problème de densité au plus haut niveau trouve notamment sa source dans les écoles de tennis, où les filles sont moins présentes dans les clubs que les garçons. "Il y a de moins en moins de petites filles qui jouent au tennis et qui restent. Forcément ensuite, il y a moins de joueuses qui arrivent jusqu'au haut niveau et qui obtiennent des résultats", observe Loic Courteau.
"Il y a plusieurs barrières à faire tomber, comme l'image de la compétition ou le manque d'encadrante."
Justine Hénin, ex-numéro une mondialeà franceinfo: sport
Au sein de la FFT, le problème a été identifié. "On essaie d'augmenter le vivier à la base et le nombre de petites filles qui sont détectées pour aller jouer dans les premiers rassemblements. On fait attention à ce qu'il y en ait un certain nombre et qu'il y ait cette émulation qui se développe dès le plus jeune âge", affirme Nathalie Dechy, également membre de la FFT, au sein du comité de pilotage du tournoi de Roland-Garros.
"La Fédération a fait un effort sur la formation ces dernières années. Mais on ne verra pas les effets avant une dizaine d'années", nuance Loic Courteau, qui concède le retard pris par la France. Pauline Parmentier, entraîneuse de la Billie Jean King Cup et responsable des projets associés filles au sein de la FFT, n'a pas donné suite à nos sollicitations.
Dans la continuité, le président de la FFT, Gilles Moretton, reconnaissait lors d'une conférence de presse le 14 décembre 2023 "pêcher un peu" sur les "parcours vers le haut niveau" chez les féminines, mais également plus en amont au sein des clubs. "Il nous manque aujourd’hui des tournois ITF 15 000 ou 20 000 $ [tournois Futures], qui sont des marches pour progresser [vers les grands tournois]. Chez les garçons, il nous manque trois tournois qu’on est en train de combler, et chez les filles, il nous en manque douze", constatait le président de la FFT.
Un niveau en dessous des top joueuses
Ces problèmes ne sont pas les seuls. "Aujourd'hui, nos jeunes joueuses n'ont pas un niveau international suffisant pour aller au plus haut niveau", tranche Loic Courteau. Elles étaient pourtant porteuses d'espoir, que ce soit Clara Burel, Diane Parry ou même Elsa Jacquemot, qui ont toutes remporté le titre de championne du monde junior (respectivement en 2018, 2019 et 2020). "C'était assez exceptionnel pour la catégorie jeune, mais elles tardent aujourd'hui à passer le vrai cap au-dessus pour aller beaucoup plus loin", observe l'ancien entraîneur d'Amélie Mauresmo.
"Diane Parry et Clara Burel sont des joueuses qui progressent bien, mais qui restent encore très jeunes dans leur carrière, analyse Justine Hénin, qui précise toutefois ne pas connaître l'intimité des joueuses. A l’heure actuelle, il y a des freins ou des difficultés au niveau du jeu chez ces joueuses-là, que ce soit au service ou sur le plan physique, pour qu'elles puissent percer plus loin."
Néanmoins, Loic Courteau se veut optimiste quant à l'avenir de Diane Parry et Clara Burel, respectivement âgées de 22 et 23 ans. "On a toujours eu en France des résultats un peu plus tardifs que chez les autres. On se dévoile souvent avec plus de maturité." Sur les trois dernières vainqueures en Grand Chelem, seule Mary Pierce a remporté son premier titre à 20 ans. Amélie Mauresmo et Marion Bartoli ont soulevé leur premier Majeur à 27 et 29 ans.
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