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Open d'Australie : des premiers coups de raquette au titre en Grand Chelem, comment se construit un(e) champion(ne) ?

Roger Federer, Rafael Nadal, Serena Williams... Depuis qu’ils ont débuté sur le circuit professionnel, ils ont tout raflé ou presque. Mais le talent n’explique pas à lui seul leur brillante carrière.
Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
Novak Djokovic en 2019 lors de son titre à Wimbledon; Serena Williams lors de son titre à Roland-Garros en 2002; treizième trophée pour Rafael Nadal à Roland-Garros en 2020; sacre de Roger Federer à Wimbledon en 2017.

“Il m’a fallu trois jours pour savoir que Novak Djokovic allait être un champion. Ne me demandez pas pourquoi, j’ai ma façon de voir”, expliquait Jelena Gencic, le premier coach du joueur serbe, à L’Equipe, en 2010. Si l’entraîneur de “Nole” avait prédit le destin exceptionnel du joueur, il n'était pas sûr que Novak Djokovic gagnerait 17 titres du Grand Chelem. Car le talent hors norme ne conduit pas systématiquement à faire éclore un champion. “Au-delà du talent, il faut passer un temps fou à s'exercer, répéter, travailler, que ce soit en tennis ou dans un domaine culturel d’ailleurs. C'est l'expérience engrangée qui permet l’éclosion d’un champion, qui intervient souvent, dans le tennis de haut niveau, entre 18 et 22 ans”, analyse Arnaud Di Pasquale, ancien Directeur technique national (DTN) au sein de la Fédération française de tennis (FFT).

C'est d’ailleurs ce qu’expliquait Toni Nadal, l’oncle et entraîneur de Rafael, à L’Equipe en 2007. "Si, sur l’échelle du talent, à la base, Rafa arrive à 5, alors que [Richard] Gasquet arrive à 7. Donc j’explique à Rafa qu’il va falloir qu’il travaille plus que Gasquet pour atteindre ses objectifs et pour réussir à battre Gasquet. Il a tout de suite adhéré à cette logique.” Savait-on à leurs débuts que les grands champions que sont Roger Federer, Serena Williams ou Rafael Nadal deviendraient ce qu’ils sont aujourd’hui ? La réponse est non.

“Ce qui fait que Serena Williams, Novak Djokovic, Roger Federer ou Rafael Nadal sont au-dessus des autres, c’est qu’ils ne sont pas seulement passionnés, ils sont habités et obsédés.” 
Arnaud Di Pasquale, ex-DTN 

"Le talent ne suffit pas" 

Malgré leur talent indéniable, ces champions qui ont marqué le tennis du XXIe siècle ont dû dépasser leurs capacités innées. “Longtemps, on a cru que le talent était suffisant. Maintenant on sait que non. Il y a tout un tas de paramètres qui rentre en compte dans l'évolution et l'épanouissement d’un athlète, comme l'environnement sportif et familial, l'équilibre général de l'histoire de l'athlète, sa rigueur, sa ténacité, sa capacité à savoir encaisser les coups durs, les hauts et les bas d'une carrière et le rythme de cette vie de haut niveau très particulière", analyse Meriem Salmi, psychologue du sport et qui suit plusieurs joueurs et joueuses actuels du circuit. Ces nombreuses aptitudes se retrouvent dans les portraits des joueurs du Big 3 ou de Serena Williams chez les dames. Ces détails font la différence selon Arnaud Di Pasquale. “Ce qui fait que Serena Williams, Novak Djokovic, Roger Federer ou Rafael Nadal sont au-dessus des autres, c’est qu’ils ne sont pas seulement passionnés, ils sont habités et obsédés.” 

Même Roger Federer est la preuve que le talent ne suffit pas. A la fin des années 1990, le monde du tennis avait repéré le jeune suisse, mais il n’était à l’époque “qu'un talent parmi tant d'autres”, notait l’Agence-France-Presse. Décrit par cette dernière comme un “morveux insupportable, cassant des raquettes et balançant des matches lorsqu'il estimait ne pas jouer assez bien”, le jeune prodige a pris son temps pour réaliser sa mue. "J'ai mis du temps à arriver, mais une fois que j'y étais, je ne me suis plus jamais retourné", expliquait Roger Federer après sa victoire à l'Open d'Australie en 2007. 

"Le talent se façonne par le travail"

“On est né avec quelque chose de différent en nous, en plus des autres mais cela se travaille avec l’équipe qui nous accompagne. Ce talent se façonne par le travail, et pour cela il faut accepter la charge de travail et le dépassement de soi”, confirme l’ancienne joueuse française Mary Pierce, victorieuse de deux tournois du Grand Chelem, dont Roland-Garros en 2000. 

Pour “créer un champion”, aucune recette magique. En revanche, son entourage et la façon de l’accompagner sont déterminants. “Un champion, on ne le façonne pas. C'est quelqu’un qui va se construire lui-même. Il va faire les choix nécessaires à l’évolution de sa carrière et son équipe l’aidera à s'accomplir. Il a ça en lui et il fera les bons choix parce que c'est un champion”, souligne l’ex-finaliste de l’Open d’Australie Arnaud Clément

Un jeu d’équilibriste entre la performance physique et mentale 

Le champion devra aussi trouver un point d’équilibre entre la performance technique, physique, et psychologique. Une équilibre parfois difficile à trouver, d’autant plus dans ce sport où le mental est une carte maitresse du jeu. "Je dis toujours que la performance est le résultat d'une harmonie, indique Meriem Salmi. Dans le sport de haut niveau, on est dans l'obligation d'aller au-delà de ses limites. Le paradoxe est que l'on devient évidemment plus fort et en même temps plus fragile parce qu'on pousse toujours plus loin le corps et la tête.” 

La gestion de la pression et celle de l'exposition médiatique s'ajoutent à l’équation. En 1996, Richard Gasquet fait la couverture de Tennis Magazine avec un titre dur à assumer pour un enfant de neuf ans : “Richard G. , 9 ans, le champion que la France attend ?” Une plongée trop rapide dans le grand bain pour le Biterrois. “Si j'avais su ce que ce reportage allait engendrer, jamais de ma vie je ne l'aurais accepté ! Être en couverture d'un magazine à 9 ans, vous vous rendez compte ! (…) Tout cela a été dur à porter”, confiait-il au même mensuel en 2018. 

Au même moment, un certain Rafael Nadal était également présenté comme un futur grand. Et vingt-cinq ans plus tard, les 86 sacres (dont 20 en Grand Chelem) d’un champion d’exception creusent l’écart avec les 15 titres en carrière du Français. Mais finalement, qu’elle est la définition de champion ? Est-ce celui intègre le Top 100 mondial ou celui qui glane des Grand Chelem ? “Pour moi, ce sont tous des champions, tranche Arnaud Clément. Arriver dans les 100 meilleurs du monde, c'est déjà être un champion. Il faut relativiser à l'échelle mondiale. Il ne faut pas oublier que nos “quatre mousquetaires”, que sont Gilles Simon, Richard Gasquet, Gaël Monfils et Jo-Wilfried Tsonga, ont été dans le Top 10, mais on revient toujours au fait qu'ils n'ont pas gagné de Grand Chelem”, regrette-t-il.

L’adaptation à toute épreuve 

Depuis 2005, sur une soixantaine de Grand chelem, le trio Federer-Nadal-Djokovic n’a laissé qu’une dizaine de titres à ses rivaux. A cela, deux raisons : “S’ils sont plus forts tennistiquement, ils ont surtout la capacité à s'adapter en permanence”, estime Arnaud Clément.En plus de l’adaptation,leur remise en question perpétuelle fait d’eux des champions exceptionnels, selon Arnaud Di Pasquale : “Malgré le fait qu’ils aient tout gagner, ils continuent à se demander comment ils vont pouvoir être encore meilleurs et progresser chaque jour. C'est ce qui leur permet d’avancer.” 

Le moment charnière  

Pour changer de catégorie, le chemin passe par des déclics. Mary Pierce se souvient de deux moments clés dans sa carrière qui ont tout fait basculer. Le premier, à 18 ans. A ce moment-là, elle décide de s’éloigner de son père en tant qu’entraineur, un choix fort pour la future championne. “Je réfléchissais à différentes options, continuer ma carrière pro dans le tennis, ou reprendre mes études. J’ai choisi le tennis.” Le second remonte à sa finale à Roland-Garros en 1994. “J’avais 19 ans, c’était ma première finale de Grand Chelem, et en plus à Roland-Garros. A ce moment-là, je me suis sentie capable de faire des grandes choses dans le tennis.” 

Alors pour la vainqueur de Roland-Garros, quelques ingrédients sont à retenir pour tout champion en devenir. “Il faut être prêt à se donner plus fort tous les jours, à essayer d’être le meilleur et exploiter l’ensemble de son potentiel. Et je dirais de ne pas avoir peur ni de la douleur, ni de la souffrance, conseille Mary Pierce. Mais surtout, il ne faut pas avoir peur ni honte de rêver et d’exprimer ses rêves et désirs. Ce sont nos rêves qui deviennent notre moteur, le feu qui va les animer dans les moments durs ou de doute. Il faut toujours se rappeler pourquoi on fait ce sport.” 

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