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Open d'Australie : vous n'avez rien suivi à l'affaire Djokovic ? On vous raconte le feuilleton qui a contaminé la planète tennis

Plus haletant qu'une finale de Grand Chelem en cinq sets, et aussi long qu'un tournoi majeur, le feuilleton Djokovic s'est terminé dimanche. La Cour fédérale australienne a rejeté le recours du Serbe contre l'annulation de son visa et son expulsion du pays. Il ne pourra pas participer au tournoi.

Article rédigé par Raphaël Godet, Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 16min
Le tennisman serbe Novak Djokovic lors de l'Open d'Australie 2020, le 30 janvier 2020 à Melbourne, dans un match face au Suisse Roger Federer. (DARRIAN TRAYNOR / GETTY IMAGES ASIAPAC)

Novak Djokovic a gagné… le droit de rentrer chez lui. La justice australienne a rejeté le recours du numéro un mondial de tennis contre son expulsion, dimanche 16 janvier. Le Serbe ne pourra pas disputer l'Open d'Australie. Retour sur la chronologie de ce feuilleton, après quinze jours de rebondissements.

Jeudi 16 décembre

Deux jours après avoir disputé un match de basket avec des joueurs qui ont ensuite été testés positifs, Novak Djokovic effectue "un test antigénique rapide", négatif, puis, "par précaution", un test PCR le même jour. Lequel se révèlera positif par la suite – on va y revenir – et constituera la pierre angulaire de sa demande d'exemption d'obligation vaccinale pour entrer en Australie pour l'Open, qui démarre mi-janvier.

Le trou dans la raquette. Selon les règles édictées par l'organisateur du tournoi, Tennis Australia, la date limite pour demander une exemption vaccinale, motivée par exemple par une infection au Covid-19 lors des six mois précédant le tournoi, était fixée au 10 décembre. Soit six jours avant le test positif de Djokovic. Qui a donc forcément bénéficié d'un traitement de faveur en qualité de tenant du titre.

Vendredi 17 décembre

Après deux réunions sans masque la veille (dont une pour la présentation d'un timbre à son effigie), Novak Djokovic poursuit ses mondanités en assistant à un tournoi de tennis à Belgrade, précédé d'un petit passage à la pharmacie pour un test antigénique, selon ses dires. "J'étais asymptomatique, je me sentais bien, et je n'avais pas encore reçu la notification de mon test PCR positif", écrira-t-il dans un long post sur Instagram le 12 janvier. Ce n'est que le soir qu'il reçoit le texto renvoyant vers le QR code de son test positif, assure-t-il.

Le trou dans la raquette. Lors de son audition par la police dans la zone de rétention de l'aéroport de Melbourne, à son arrivée, il dit avoir été informé de son test positif le 16 décembre au soir, la veille donc.

Les suiveurs du tennis s'étonnent aussi qu'il ne communique pas immédiatement sur sa contamination, comme il l'avait fait la première fois qu'il avait attrapé le Covid-19, après le tournoi Adria Tour dont il était l'organisateur, à l'été 2020.

Samedi 18 décembre

Bien que conscient d'être positif au Covid-19, il n'annule pas l'interview prévue de longue date avec L'Equipe, qui le sacre "champion des champions". Si l'échange avec les journalistes se déroule masqué, c'est le nez à l'air qu'il pose devant l'objectif du photographe. Parmi les conditions posées pour l'interview : aucune question sur son éventuelle participation à l'Open d'Australie.

Le trou dans la raquette. La Première ministre serbe, Ana Brnabić, assure à la BBC (en anglais) que si Djokovic avait rompu l'isolement imposé aux malades, ce serait "une violation caractérisée" des règles sanitaires en vigueur en Serbie. Or, l'interview a eu lieu dans un des salons de son académie, et pas à son domicile. Djokovic s'est justifié a posteriori en expliquant ne pas vouloir "laisser tomber" le journaliste.

Mercredi 22 décembre

Novak Djokovic fait un nouveau test PCR, cette fois négatif.

Samedi 25 décembre

C'est la dernière fois qu'une photo de lui à Belgrade est postée sur les réseaux sociaux. Un détail qui aura son importance au moment d'entrer en Australie.

Novak Djokovic pose avec son compatriote serbe, le handballeur Petar Djordjic, à Belgrade, le 25 décembre 2021. (INSTAGRAM)

Vendredi 31 décembre

Novak Djokovic est photographié à l'entraînement à Marbella, en Espagne, sur les cours de la Soto Tennis Academy, avec les balles de l'Open d'Australie, ce qui laisse penser qu'il va prendre part au premier tournoi du Grand Chelem de l'année.

Le trou dans la raquette. Dans le dossier à remplir pour rentrer en Australie, il faut cocher "oui" ou "non" à la question "avez-vous voyagé à l'étranger dans les quinze jours précédant votre entrée en Australie ?" Le Serbe a répondu par la négative. Une fois que le scandale a éclaté, il a plaidé l'erreur humaine, mais pas la sienne. Lors de son audition, il affirme que Tennis Australia a rempli son dossier à sa place, avant d'incriminer son agent, coupable de légèreté. Djokovic est passible d'une amende pour avoir menti, c'est écrit noir sur blanc dans l'intitulé de la question.

Carte des déplacements du tennisman Novak Djokovic en décembre 2021 et janvier 2022. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Dimanche 2 janvier

Le patron de Tennis Australia, Craig Tiley, explique à l'AFP que les négociations sont toujours en cours pour permettre à Novak Djokovic de défendre son titre. "Il reste encore beaucoup de choses à faire, mais je pense que ça va se débloquer dans les prochains jours", veut-il croire.

Le trou dans la raquette. On apprendra par la suite que Craig Tiley et les autorités de l'Etat de Victoria, où se dispute le tournoi, ont exhorté Djokovic pendant des semaines pour qu'il communique son état de santé, afin de désamorcer une éventuelle polémique. Raté.

Mardi 4 janvier

Tout sourire, Novak Djokovic pose à côté de ses sacs de raquettes sur le tarmac d'un aéroport, annonçant son embarquement immédiat pour l'Australie. Légende de son post Instagram : "Aujourd'hui, je décolle avec une exemption médicale."

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Mercredi 5 janvier

Novak Djokovic n'a pas encore posé le pied à Melbourne qu'il doit justifier des conditions de son entrée dans le pays. Les autorités australiennes n'y mettent pas trop du leur : "Donc, vous me donnez 20 minutes pour vous fournir des informations additionnelles dont je ne dispose pas ? A quatre heures du matin ?" "C'est ça", lui répond l'officier de permanence, qui exige une preuve que le gouvernement fédéral et celui de l'Etat de Victoria ont accepté sa demande d'exemption.

Au bout de quatre heures de palabres, son interrogateur conclut : "J'ai fini ma journée, votre cas va être passé à l'équipe du matin." Au bout de la nuit, le visa de Novak Djokovic n'est pas validé. Direction le Park Hotel de Melbourne, un centre de rétention où échouent habituellement les migrants économiques.

Le trou dans la raquette. Dans le milieu du tennis, on ne se bouscule pas pour défendre Djokovic, dont la réputation d'antivax n'est plus à faire. Le Premier ministre australien, Scott Morrison, qui va bientôt faire face à des législatives pas forcément bien embarquées, tweete un définitif : "Personne n'est au-dessus des lois." L'affaire devient politique. Au passage, notez que le gouvernement fédéral est à droite et le gouvernement de l'Etat de Victoria, à gauche, ce qui est tout sauf anodin dans cette affaire.

Vendredi 7 janvier

"Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir", écrivait Jean de La Fontaine. Les mots du fabuliste, deux siècles avant l'invention du tennis, tapent dans le mille de l'affaire Djokovic. Alors que le Serbe missionne une armée d'avocats pour plaider sa cause, la malheureuse joueuse tchèque Renata Voráčová est renvoyée avec pertes et fracas par le gouvernement australien.

La joueuse de tennis tchèque, Renata Voracova, quitte Melbourne le 8 janvier 2022, après avoir été expulsée par les autorités australiennes.  (WILLIAM WEST / AFP)

Son exemption médicale a sauté quand le "Djokogate" a explosé, alors qu'elle avait déjà pu disputer un tournoi dans le pays. Un autre joueur, pour l'instant non identifié, a pu lui bénéficier d'un passe-droit sans être inquiété à ce jour.

Samedi 8 janvier

Pendant que le champion serbe essaie de tuer le temps, dans sa chambre du centre de rétention de Melbourne, à l'extérieur, ses avocats se retroussent les manches pour le faire sortir de là. C'est à ce moment que l'argument du test PCR positif du 16 décembre sort dans la presse. La contre-offensive médiatique est lancée.

Lundi 10 janvier

La justice autorise finalement le Serbe à rester dans le pays. Le juge Anthony Kelly estime que la décision d'annuler le visa du tennisman est "déraisonnable". Il reproche aux autorités australiennes de ne pas avoir laissé suffisamment de temps à Novak Djokovic pour discuter avec les organisateurs de l'Open et ses avocats afin de préparer une justification. Le juge demande donc la libération "dans les trente minutes" du numéro un mondial, la restitution de son passeport et de l'ensemble de ses documents de voyage. A l'extérieur de l'hôtel où attend le Serbe, des dizaines de fans se réunissent pour manifester leur joie, pancartes à la main ou en dansant sur le capot des voitures.

Novak Djokovic fait son sac et file s'entraîner pour la première fois depuis son arrivée en Australie. "Je suis heureux et reconnaissant que le juge ait annulé l'annulation de mon visa. Malgré tout ce qui s'est passé, je veux rester et essayer de concourir à l'Open d'Australie. Je reste concentré là-dessus", savoure-t-il sur Twitter.

Le trou dans la raquette. Le Serbe n'est pas sorti d'affaires pour autant : le ministère de l'immigration peut encore annuler son visa. A plus de 13 000 kilomètres de là, la famille Djokovic poursuit donc sa riposte, lors d'une conférence de presse dans un restaurant de Belgrade. Aussi virulent qu'à son habitude, Srdjan Djokovic érige son fils en martyr : "Notre Novak, notre fierté. Novak est la Serbie et la Serbie est Novak. Ils piétinent la Serbie et, ce faisant, piétinent le peuple serbe", lance-t-il. Jusqu'à ce moment surréaliste à la fin de l'échange avec les journalistes :

– Est-ce vrai qu'il a été testé positif le 16 décembre et qu'il le savait ?
– Oui, les documents sont publics.
– A-t-il participé à un événement le 17 décembre ?
– Ok, la conférence de presse est terminée.

Mardi 11 janvier

Les journalistes allemands du Spiegel (en allemand) ont pris leur loupe pour analyser de plus près le test positif de Novak Djokovic et ils ont quelques doutes. Selon l'attestation, le Serbe a été testé à 13h05 le 16 décembre ; son contrôle négatif date du 22 décembre.

Le trou dans la raquette. Selon les journalistes, le "timestamp", un mécanisme qui consiste à associer une date et une heure à un événement et que l'on retrouve sur tous les QR Code, correspondrait plutôt à la date du 26 décembre, à 14h21… Soit dix jours après celle annoncée par les avocats du champion. Ce n'est pas tout : le numéro d'identification du test positif du 16 décembre (7371999) est plus élevé que celle du résultat du test négatif du 22 décembre (7320919). Etrange, puisque l'ordre est censé être croissant. Pour nos confrères allemands, le test de Djokovic a pu être modifié et antidaté.

Une réalité déjà connue. En mai 2021, l'agence de presse européenne N1 (en anglais) rapportait que de faux résultats de tests PCR, falsifiés à l'aide de Photoshop, avaient pu être achetés en Serbie.

Mercredi 12 janvier

A quatre jours d'un tournoi qu'il n'est toujours pas certain de disputer et à la veille de la présentation officielle de l'évènement, Novak Djokovic s'exprime, encore. Mais ce n'est toujours pas pour parler de son jeu ou de son envie de remporter son dixième Open d'Australie. Le Serbe publie un long communiqué de presse sur ses réseaux sociaux dans lequel il admet avoir commis plusieurs "erreurs" les jours précédant son arrivée en Australie.

Jeudi 13 janvier

Il n'en faut pas plus pour semer le doute. De leur côté, les organisateurs de l'Open d'Australie attendent que le Premier ministre australien termine sa conférence de presse avant de démarrer leur tirage au sort. Résultat, une heure de retard pendant laquelle certains ont cru que le nom du Serbe n'allait même pas apparaître. Finalement si : "Djoko" est bien tête de série n°1 dans le tableau final. S'il n'est pas expulsé, il jouera contre son compatriote Miomir Kecmanovic au premier tour.

Vendredi 14 janvier

Novak Djokovic s'est entraîné toute la journée quand, aux alentours de 18 heures, on vient lui signifier que son visa est une nouvelle fois annulé. Décision du ministre de l'Immigration, prise "sur des bases sanitaires et d'ordre public". Alex Hawke se dit "fermement engagé à protéger les frontières australiennes, tout particulièrement dans le contexte de la pandémie de Covid-19". Le joueur serbe pourrait être interdit d'entrée dans le pays pendant trois ans, sauf dans certaines circonstances. "Djoko" conteste cette décision. La justice annonce une audience d'urgence du juge qui avait bloqué une première fois l'expulsion de Novak Djokovic. Le temps presse : le tournoi commence lundi.

Samedi 15 janvier

Le Serbe est renvoyé en rétention administrative à Melbourne après l'annulation de son visa pour la deuxième fois par le gouvernement australien. La présence en Australie de Djokovic "pourrait encourager le sentiment anti-vaccination" et "déclencher une recrudescence des troubles civils", a affirmé le ministre de l'Immigration, Alex Hawke, dans un document présenté devant la justice. Le joueur n'est autorisé à quitter le centre de rétention que pour suivre, en ligne, les audiences judiciaires le concernant depuis les bureaux de ses avocats, et sous la surveillance d'agents de la police aux frontières.

Dimanche 16 janvier

La balle de match. Les trois juges de la Cour fédérale d'Australie ont entendu pendant plusieurs heures les arguments des représentants du Serbe et ceux du gouvernement australien, avant de se retirer pour délibérer.

Autorisé à quitter le centre de rétention où il a été placé la veille, Novak Djokovic a suivi l'audience en ligne depuis les bureaux de ses avocats. Ces derniers ont qualifié le placement en rétention de leur client et sa possible expulsion d'"illogique", "irrationnelle" et "déraisonnable". De son côté, l'avocat du gouvernement, Stephen Lloyd, a répondu que le fait que le champion ne soit pas vacciné près de deux ans après le début de la pandémie et qu'il ait ignoré de façon répétée les règles sanitaires, notamment en omettant de s'isoler alors qu'il se savait infecté, constituaient des preuves suffisantes de sa position.

Finalement, la Cour fédérale australienne a rejeté le recours de Novak Djokovic contre l'annulation de son visa et son expulsion du pays. "La Cour ordonne que le recours soit rejeté aux frais du demandeur", affirme la décision approuvée à l'unanimité par les trois juges.

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