Retraite de Rafael Nadal : derrière la rivalité mythique avec Roger Federer, une lutte de tous les records face à Novak Djokovic
C'est une vision romantique et, comme toute perception filtrée par les yeux de l'amour, elle est forcément enjolivée, glorifiée... et finalement un peu faussée. Non, le plus grand rival sportif de Rafael Nadal ne s'appelait pas Roger Federer. N'en déplaise à la légende. Le Taureau de Manacor, qui a annoncé jeudi 10 octobre qu'il quittera l'arène après la phase finale de Coupe Davis en novembre, a plus souvent plié l'échine contre Novak Djokovic que face au maestro suisse.
Au début de l'ère Open, presque la préhistoire désormais, il n'y avait qu'un joueur qui régnait, tel le tyrannosaure : Rod Laver. Puis, l'évolution a voulu que la planète tennis soit dirigée par un monstre bicéphale : Connors-Lendl, Borg-McEnroe, Becker-Edberg, Agassi-Sampras se sont ainsi succédé au sommet de la chaîne alimentaire. Qu'écrira-t-on dans cinquante ans quand il s'agira de résumer le duel qui a prévalu du milieu des années 2000 jusqu'aux "twenties" (si c'est l'appellation en vigueur à ce moment-là) ? Le cœur, et le tout début du XXIe siècle, voudraient évidemment placer Nadal face à Federer.
C'est l'opposition ultime, celle qui a déchiré des millions de fans pendant près de deux décennies, les Beatles contre les Stones. On ne peut pas faire plus iconique, ni plus clivant, ni plus passionné. Mais toujours dans une forme de respect, surtout sur la fin de carrière des deux joueurs. Les pro-Federer ont appris à aimer l'éternel rival du Suisse, et vice-versa. Après tout, on peut adorer Sympathy for the devil et trouver que Hey Jude, ce n'est finalement pas si mal.
Djokovic, la véritable némésis de Nadal
Le duel qu'a livré l'Espagnol à Novak Djokovic est loin d'être aussi fusionnel. Il n'inspirera sans doute pas autant les amateurs de lyrisme et de joutes épiques. Jamais Martina Navratilova ne sortira une phrase aussi magnifique que "Roger est le meilleur joueur de tous les temps mais Rafael est le meilleur des deux" pour décrire l'affrontement entre Nadal et Djoko. Mais cette rivalité, qu'on le veuille ou non, est beaucoup plus forte sur le plan purement tennistique. Déjà, elle a l'avantage du nombre. Là où le Majorquin et le Bâlois ont croisé les raquettes 40 fois, le curseur monte à 60 pour les passes d'armes contre le Belgradois. C'est le match le plus joué de l'histoire du tennis masculin, tout simplement (Chris Evert et Martina Navratilova se sont affrontées 80 fois de 1973 à 1988).
Quand Nadal, sur l'ensemble de sa carrière, domine assez nettement Federer (24 victoires à 16), il se retrouve derrière Djokovic. De très peu, certes, mais derrière quand même : 29 succès pour 31 défaites. Avec le "Djoker", ils ne sont que deux à pouvoir se vanter d'un ratio positif face à Nadal : Nikolay Davydenko (6-5) et Borna Coric (3-2). Le Russe et le Croate pourront toujours le raconter à leurs petits-enfants mais aucun des deux n'a su, comme Novak Djokovic, contrecarrer les plans de Nadal sur la durée.
Historique et homérique
Alors oui, leurs duels avaient rarement la saveur des "Fedal", basés sur cette opposition de style rêvée entre la grâce majestueuse du Suisse et la férocité animale de l'Espagnol. Tous les deux catalogués comme des "attaquants de fond de court", Nadal et Djokovic ont surtout livré des bras de fer serrés à défaut d'être toujours aussi mémorables que ceux entre l'attaquant aérien et le défenseur increvable. Ils ont cependant écrit, eux aussi, des classiques indémodables comme cette finale de l'Open d'Australie 2012 (victoire du Serbe en 5h53 au terme de la plus longue finale de l'histoire des tournois du Grand Chelem) ou bien encore la demi-finale de Roland-Garros, un an plus tard, dans laquelle le Majorquin finissait par s'imposer 9-7 au cinquième set.
La terre battue est et restera ce bastion quasi imprenable de Nadal, qui l'a emporté 20 fois en 29 matchs sur l'ocre face au Serbe. Même si leur dernier duel, aux Jeux olympiques de Paris, s'est soldé par un cavalier seul du plus jeune des deux. Si le gazon peine à départager les deux géants (2-2), les surfaces rapides sont, quant à elles, l'apanage du Serbe, souvent intraitable contre son adversaire dès que le jeu s'accélérait (20 victoires à 7). En revanche, en Grand Chelem, le dernier mot est revenu au néo-retraité, qui quitte donc la scène avec un bilan de 11 succès à 7 dans leurs affrontements directs. Mais deux trophées de moins en Majeurs (22 à 24).
Au final, ces chiffres donnent le tournis et sont presque vidés de leur sens tant ils semblent irréels. Presque abscons. Alors plutôt que de ratiociner sur qui est le plus grand, pourquoi ne pas simplement se retourner un instant et savourer avec nostalgie cette lutte désormais révolue ?
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