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Roland-Garros : laver les chaussettes, façonner un joueur, soigner le mental... A quoi sert un coach au tennis ?

Andre Agassi campe dans les tribunes de la porte d'Auteuil au chevet de Novak Djokovic. Mais pourquoi des joueurs à la technique parfaite s'encombrent d'un coach ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Andre Agassi dans les tribunes de Roland-Garros, lors du match Djokovic-Granollers, le 29 mai 2017 à Paris. (GABRIEL BOUYS / AFP)

Pas un geste. Pas un son. Etre coach au tennis, c'est souffrir en silence, en tribune, même quand son poulain sort de son match. En dehors des tournois, ce n'est guère mieux avec des temps d'entraînements réduits et dispersés aux quatre coins du monde de janvier à la fin novembre.

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"Ça peut être le pire job du monde quand on est juste moyen", a résumé Patrick Mouratoglou, aujourd'hui au chevet de la n°1 mondiale, Serena Williams. Du coup, franceinfo s'est pencher sur ce job apparemment ingrat qu'a accepté André Agassi aux côtés de Novak Djokovic durant Roland-Garros. 

Atomes crochus de rigueur

"C'est comme une relation amoureuse." Vous trouvez que la joueuse américaine Coco Vandeweghe pousse la comparaison un peu loin ? Pourtant, elle tape dans le mille. Un joueur qui va loin dans les tournois passe souvent plus de temps avec son entraîneur qu'avec sa famille. Prenez Albert Ramos-Viñolas et son coach de toujours José Maria Diaz, vingt ans de vie commune : "On petit-déjeune, on déjeune et on dîne ensemble, raconte le coach. Mais les matchs de foot, on les regarde rarement ensemble car [il est pour le Barça] et moi je suis du Real Madrid." Pete Sampras, qui s'était séparé en 2001 de son coach de toujours, Paul Annacone, l'a rappelé à ses côtés un an plus tard pour relever le défi de gagner un dernier tournoi du Grand Chelem.

Brad Gilbert, le coach qui a transformé l'espoir peroxydé déçu Andre Agassi en un grand joueur (chauve) est ainsi persuadé que le meilleur moment pour coacher, c'est après le dîner. Les conseils sur la façon de contrer un adversaire passent beaucoup mieux après une série de blagues sur son niveau - s'il a été un très bon joueur, il a écrit un livre intitulé Winning Ugly, qui résume bien son style raquette en main - ou de vannes sur le golf - "un sport où on peut progresser en picolant ou en fumant le cigare n'est pas vraiment un sport", gronde cet apôtre d'une stricte hygiène de vie.

Le même Brad Gilbert a ainsi vite vu que ça ne collerait pas avec Andy Murray, malgré le million d'euros annuel versé par la fédération britannique. "Je connaissais Agassi avant de devenir son entraîneur, confie-t-il au Telegraph. Nous sommes de la même génération. On était potes avant de travailler ensemble. Le jour où j'ai commencé avec Andy, je ne le connaissais pas. C'était la première fois que j'entraînais un non-Américain... Et sa façon idéale de passer un bon moment était de jouer aux jeux vidéo ou d'étudier un DVD de son prochain adversaire..." 

De "lessiver les chaussettes" à "bricoler un truc"

A chaque étape de leur carrière, les joueurs sont en demande de choses différentes. Le tout premier coach d'Andy Murray, Leon Smith, lavait ses chaussettes. Un prodige comme Novak Djokovic a été incité par sa première entraîneure à écouter de la musique classique et lire des livres pour ne pas penser qu'au tennis. Pour faire le grand saut chez les pros, un autre profil est recherché. Comme Tarik Benhabilès avec Andy Roddick. "Pour moi, c’est mon meilleur ami, comme une image paternelle pour moi", résumait un tout jeune "A-Rod" en 2000. Une joueuse arrivant dans la force de l'âge, comme Maria Sharapova, a pu être façonnée par Michael Joyce entre ses 17 et ses 24 ans. "Quand on travaille tôt avec un joueur, on peut grandement améliorer son jeu", explique-t-il à Tennis.com.

Une fois au top, les joueurs sont à la recherche du petit plus qui fait la différence. De toute façon, les grands noms du coaching ne sont pas là pour leur faire enchaîner les coups droits. "Je ne fais pas de technique, rien du tout, confie au Guardian Ivan Lendl, qui a longtemps coaché Andy Murray (et l'a aidé à progresser sur son coup faible, le coup droit). Je n'y crois pas. A 27 ou à 29 ans, on peut bricoler un truc ou deux, pas changer toute sa technique." Ce que recherchait l'Ecossais, et ce que recherche Novak Djokovic avec Andre Agassi, ce sont des conseils pour gérer un cinquième set de finale de Grand Chelem, un savoir que ne possèdent qu'une poignée de coachs sur le marché.

Roger Federer aux côtés de Stefan Edberg (ancien n°1 mondial, six fois titrés en Grand Chelem) sur le Central de Roland-Garros, le 20 mai 2015.  (MIGUEL MEDINA / AFP)

A très, très haut niveau, les joueurs deviennent carrément des PME, avec préparateur physique, manager et kiné. Roger Federer ne s'est jamais séparé de son entraîneur historique, Séverin Lüthi qui l'accompagne "200 jours par an". A ses côtés, les grands noms ont défilé (Tony Roche, Paul Annacone, Stefan Edberg, Ivan Ljubicic...) pour apporter un plus. Lorsque "Rodgeur" estime qu'un changement est nécessaire, il procède avec élégance. Quand il remercie Annacone, il l'invite dans un restaurant de front de mer à Dubaï. Les deux hommes ont même discuté de potentiels successeurs, raconte ESPN.

Précarité et espionnage

Tout le monde ne fait pas preuve de la même courtoisie. Rarement la position de coach au tennis a été aussi instable. Recordman du genre, le Belge Wim Fissette, au chevet de Kim Clijsters (2009-2011), Sabine Lisicki (2013-14), Simona Halep (2014-15, qui l'a remercié car elle préférait travailler avec des coachs roumains), Viktoria Azarenka (2016, avant qu'elle annonce sa grossesse). Il s'occupe désormais de la n°1 britannique, Johanna Konta. Sans doute pas pour une mission de longue durée, la joueuse de 26 ans ayant remercié Esteban Carril, le coach qui lui a permis de se hisser dans le top 10, en 2015. "Les jeunes joueurs ne peuvent pas enchaîner les coachs comme ça à la première contrariété. Plus personne n'est patient à cet âge-là", grogne la championne de double Pam Shriver sur ESPN.  

Autre conséquence de cette instabilité : les petits secrets des champions sont de moins en moins bien gardés. L'ex-coach de Serena Williams Sascha Bajin avait ainsi fait une entrée remarquée... dans le staff de Victoria Azarenka lors du tournoi d'Indian Wells en 2015. Vous avez dit espionnage ? Pire : Tomas Berdych a engagé l'ex-coach/ami d'Andy Murray Dani Vallverdu, en décembre 2014, trois semaines avant les retrouvailles des deux joueurs en demi-finales de l'open d'Australie. Ambiance électrique à Melbourne. Surtout quand on sait que Berdych avait tenté de chiper Ivan Lendl à Andy Murray trois ans plus tôt...

Reste le plan B : jouer sans coach. Ce que Roger Federer a fait plusieurs fois lors de sa carrière. En 2004, il avait soulevé trois trophées du Grand Chelem sans entraîneur attitré. "Je sais ce qu'il faut faire pour gagner", confiait, sûr de lui, le Suisse à la BBC. N'empêche, l'année suivante, il en embauchait un.

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