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Roland-Garros : mais pourquoi le public est-il aussi méchant ?

Le cauchemar de certains cadors de la balle jaune, ce sont les tribunes du court central. Avec ses beaufs, ses snobs et ses kékés bruyants.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le public de Roland-Garros fait la ola pendant la finale dames Sharapova-Halep, le 7 juin 2014 à Paris.  (CLIVE BRUNSKILL / GETTY IMAGES)

"Il n’y a qu’une catégorie de supporters pires que les Français, ce sont les Parisiens." La phrase est signée Toni Nadal, oncle et coach de Rafael, après l'unique défaite de l'Espagnol sur la terre battue de la porte d'Auteuil, en 2009. Le public de Roland-Garros est-il si horrible que cela ? Dernière pièce du dossier : Maria Sharapova, régulièrement sifflée, a eu droit à sa bronca, lundi 25 mai, quand elle a quitté le court les yeux baissés, en refusant interviews et autographes.

Francetv info apporte quelques éléments de réponse à cette question avant l'entrée en lice de Nadal sur les courts, mardi 26 mai.

C'est la faute de la démocratisation du tennis

Les faits. Jusqu'au milieu des années 1970, Roland-Garros se regardait entre gens de bonne compagnie. Il faut attendre la grève générale de mai 1968 pour assister à une explosion de l'affluence (plus de 100 000 spectateurs sur la quinzaine, un record à l'époque). Entre 1974 et 1978, l'affluence générale quadruple. Un nouveau public débarque dans ce qu'on appelle le "poulailler" de Roland-Garros, par opposition à la tribune présidentielle. Beaucoup de licenciés de la fédération, tenus à l'écart jusque-là du plus grand événement du tennis français, font alors leur apparition dans les tribunes.

Le public de Roland-Garros, le 5 juin 2006. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

Oui, mais... En 1929, le tennisman français Jean Borotra râlait déjà. "De nos jours, on n’interrompt plus guère un acteur, un artiste avant la fin de sa tirade ou de l’acte : pourquoi le spectateur du court central serait-il moins docile ?" Le premier acte de hooliganisme à Roland-Garros remonte à 1956, quand du gravier est jeté sur le joueur australien Rod Laver – le seul joueur à avoir réalisé le Grand Chelem (suivront une bouteille de Coca jetée sur Kim Warwick en 1978, et un œuf qui rate de peu Martina Hingis en 2001). Et c'est en 1958 qu'a été lancé ce cri depuis les travées du central, lors d'un quart de finale (hommes) Frasier-Brinchant un peu mou au goût du public : "On dirait un simple dames !"

C'est la faute des joueurs

Les faits. Autre hypothèse, avancée par Marcel Bernard (vainqueur en 1946) dans un reportage télé de 1980 : les joueurs donnent le mauvais exemple. "Le comportement des joueurs a également changé. Comme ils contestent de plus en plus les balles, chacun participe, y compris le public, regrette Marcel Bernard. Cela crée une ambiance pas toujours sympathique." Le fantasque Illie Nastase encourage carrément les gens à se manifester : "Si le public paie de l'argent, il doit participer, manifester ses sentiments. Le tennis, c'est très ennuyeux comme sport, alors si on ne participe pas..." Sans aller forcément au point de Fabio Fognini, qui a gratifié le public parisien d'un doigt d'honneur après une défaite en cinq manches contre Gaël Monfils au troisième tour, l'an passé.

Oui, mais... Ce ne sont pas les joueurs râleurs qui sont pris en grippe par le public de Roland-Garros. Typologie express : 1) les gagneurs. Rafael Nadal, pas spécialement contestataire, est régulièrement sifflé parce qu'il gagne. 2) les arrogants, comme Martina Hingis. Une tare irréversible sur la terre battue parisienne. "Le public français est le plus dur", constate celle qui a été conspuée sans pitié par le public lors de sa défaite en finale contre Steffi Graf. Il a fallu que sa mère la ramène de force à la cérémonie protocolaire alors qu'elle voulait juste pleurer dans les vestiaires. 3) les Américains. Mary Pierce, qui a eu des relations tumultueuses avec le public, malgré deux succès, a eu cette phrase : "Quand je gagne, je suis française, quand je perds, je suis américaine." 4) les Français.

John Feinstein, dans son livre Hard Courts, résume bien la relation bizarre entre les tribunes du central et les joueurs tricolores : "La relation entre un joueur français et son public est plus personnelle que partout dans le monde, même en Italie. Un Italien sait que le public italien va le soutenir. Le joueur français va devoir mériter ce soutien." En 1980, à en croire L'Equipe, c'est un public nourri aux pages people des magazines qui a brisé la carrière de Jean-François Caujolle, en prenant fait et cause pour le n°1 mondial, Jimmy Connors, mené deux manches à rien. Connors gagne le match, Caujolle ne s'en remettra jamais.

C'est la faute de l'inculture du public

Les faits. Sur son blog, une Australienne passionnée de tennis raconte son expérience bizarre à Roland-Garros : "Les spectateurs des matchs de Roland-Garros arrivent après le début du match, parce qu'ils sont en train de déjeuner quand ça commence. Je n'ai rien compris à leur façon d'applaudir ou de siffler. En Australie, les gens applaudissent avec respect, et crient après un beau point. En France, les gens se déchaîneront sur un point anodin, un 30-30. Et ils font la ola sans arrêt !"

Comment lui donner tort ? Entre les sièges VIP déserts avant 15 heures et les cris intempestifs qui ont fait perdre son calme au flegmatique Roger Federer – qui a crié "Shut up" à l'adresse d'un spectateur –, Roland-Garros n'est pas un repaire de passionnés comme Wimbledon. Un connaisseur se moque sur le site Tennisforum : "C'est toujours très drôle quand un Français tente un "popopopolopo" dans les tribunes de Wimbledon, suivi d'un gros silence gêné, quelques ricanements et pas mal de regards courroucés."

Oui, mais... Cette relative méconnaissance de l'étiquette du tennis permet aussi des moments extraordinaires. Comme ce rappel (comme au théâtre) de l'Italien Nicola Pietrangeli, finaliste de l'édition 1964, raconté par We Are Tennis (en anglais). Ou comme ce soutien sans faille pour Steffi Graf, qui remet l'Allemande dans le match alors qu'elle était menée 6-4, 5-4 avec service à suivre pour Martina Hingis. "Je me sens française, déclare la championne allemande après la rencontre. J'ai joué partout dans le monde et je n'avais jamais vu un public comme ça. Dans mes temps faibles, ils m'ont maintenue dans le match et m'ont aidé à gagner." Autre déclaration d'amour, celle de Michael Chang – vainqueur surprise en 1989 avec son fameux service à la cuillère – lors de ses adieux, en larmes, au public parisien en 2003 : "Je n'ai pleuré que deux fois dans ma carrière. Les deux fois, c'était sur ce court."

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