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Roland-Garros : quand la pluie fait le beau temps (pour certains joueurs)

Habituées du tournoi, les averses s'invitent cette année encore à Roland-Garros. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, c'est souvent là que se gagnent les matchs. 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le match entre Roger Federer et Robin Söderling est interrompu par la pluie, le 1er juin 2010, à Roland-Garros. (POPPERFOTO / GETTY IMAGES)

Le tennis est le seul sport où deux adversaires partagent le même vestiaire. Ceux de Roland-Garros sont classieux – fauteuils en cuir, casier en bois – mais exigus. Quand un match est interrompu par la pluie, c'est entre ces quatre murs que peut se gagner la partie. Alors que le tournoi parisien est perturbé par la pluie, et le quart de finale entre Kristina Mladenovic et Timea Bacsinszky interrompu, mercredi 6 juin, franceinfo revient sur les histoires les plus incroyables qui se sont déroulées juste à côté des courts. 

>> DIRECT. Roland-Garros : suivez les quarts de finale

Quand la pluie change le cours du match

Les amateurs de tennis vous diront qu'une interruption à cause de la pluie avantage toujours celui qui perd. Le joueur qui mène est coupé dans son élan. Andre Agassi a connu deux finales de Roland-Garros coupées par la pluie. Lors de la première, en 1991, l'Américain menait 6-3, 3-1 face à son compatriote. Le coach d'Agassi était resté muet dans le vestiaire, alors que celui de Jim Courier avait analysé les points faibles d'un Agassi qui jouait en jean avec une perruque. "Je faisais les cent pas, comme un lion en cage", raconte Agassi dans sa biographie, Open. Au retour des vestiaires, Courier prend la main sur le match, et remporte la victoire dans des conditions climatiques épouvantables. "Courier bat le vent, la pluie et Agassi", titre à l'époque le New York Times. "Je ne sais pas pourquoi j'ai gagné. C'était à pile ou face", minimise le joueur, modeste.

Huit ans plus tard, c'est un Agassi en perdition qui retourne aux vestiaires après une ondée. Il a cédé le premier set face à l'Ukrainien Andreï Medvedev, qui pratique les deux meilleures semaines de tennis de sa vie. Favori, l'Américain semble perdu sur le court. "Je n'y arrive pas", confesse-t-il, piteux, à son entraîneur Brad Gilbert. Qui réfléchit un long moment, avant de lui passer un savon : "Arrête de t'apitoyer sur ton sort et de me dire qu'il est trop fort ! (...) Si tu dois couler, vas-y, coule, mais pas avant d'avoir foutu le feu partout." Gilbert claque la porte d'un casier. C'est le moment que choisit l'arbitre de chaise pour annoncer la reprise du jeu. Agassi l'emporte, en cinq manches. Agassi attribue ce retournement de situation au "karma du tennis".

Goran Ivanisevic, lui, croit dur comme fer que c'est Dieu qui a envoyé la pluie pour lui faire gagner Wimbledon en 2001. C'est en demi-finale que se noue le destin du Croate. Il est mené deux sets à un par l'enfant du pays, Tim Henman, quand la pluie s'en mêle. Le match s'éternisera sur trois jours, le temps pour Henman de totalement craquer sous la pression. Ivanisevic reste concentré grâce à sa routine : petit déjeuner devant les Télétubbies, dîner dans le même restaurant londonien, avec le même menu (soupe de poisson, viande panée accompagnée de frites et glace nappée de sauce au chocolat). Avant d'aller dormir, il lave un des deux tee-shirts que lui a confié son équipementier. Le Croate était tellement mal classé qu'il a bénéficié d'une invitation, mais personne ne croyait qu'il passerait plus d'un tour. "C'est Dieu qui m'a envoyé la pluie", répète Ivanisevic dans le Telegraph.

Le court central bâché lors de la demi-finale de Wimbledon entre Tim Henman et Goran Ivanisevic, le 6 juin 2001. (GERRY PENNY / AFP)

Quand le vestiaire se transforme en cour de récré

Quand l'arbitre annonce le retour au vestiaire en attendant que l'averse passe, les joueurs peuvent adopter plusieurs stratégies. Le mépris, comme Robin Söderling, qui n'est pas réputé pour être le joueur le plus sympathique du circuit. En 2007, il affronte Rafael Nadal à Wimbledon. Le match commence le samedi, et se termine quatre jours plus tard, sur une victoire de l'Espagnol. "Tout ce temps, il ne m'a pas dit une seule fois bonjour, fulmine Nadal. Après quatre jours, ce n'est pas normal, non ?"

L'intimidation est une pratique courante entre les gouttes. Le joueur américain Luke Jensen se souvient dans le Hartford Courant (en anglais) d'avoir assisté à un concours de pompes entre Thomas Muster et Jim Courier. "Chacun essayait de surpasser l'autre physiquement", se souvient-il. 

L'atmosphère n'est pas forcément pesante. Marion Bartoli ou Rafael Nadal se sont offert le luxe d'une sieste pendant un match couperet. Michael Chang, très religieux, avait l'habitude de prier. Chris Evert ramenait sa boîte de Scrabble pour jouer avec ses rivales de l'époque, Martina Navratilova ou Margaret Court. Mais rares sont ceux qui conservent leur calme olympien. Jimmy Connors se souvient dans sa biographie The Outsider d'un de ses retours au vestiaire lors d'une interruption par la pluie, à Wimbledon, au début des années 1990. Il retrouve son fils, Brett, 12 ans, en pleine partie de cartes avec Pete Sampras et Richey Reneberg. Ce dernier l'interpelle : "Eh, Connors, je dois 300 dollars à ton fils et je n'ai pas un dollar en poche !" Réponse du tac au tac de Brett Connors : "Pas de problème, je te prends toutes tes raquettes."

L'histoire la plus dingue s'est produite à Wimbledon. Désœuvrés, l'Anglais Tim Henman et l'Australien Pat Rafter dénichent une batte de cricket dans le vestiaire, et décident d'improviser un remake de The Ashes, le match annuel entre leurs deux pays dans cette discipline. "On a poussé les bancs pour faire un peu de place, il y avait une quinzaine de personnes qui jouaient, se souvient Henman dans le Guardian. Mais vous connaissez les mecs. L'un d'entre nous s'est un peu emporté, et a vraiment voulu renvoyer la balle à pleine puissance. Résultat, il a démoli le plafond... Je crois qu'on a réussi à camoufler les dégâts. Plus ou moins."

Quand la pluie permet d'aller à la maternité

Le joueur roumain Andrei Pavel, le 2 juin 2002 à Roland-Garros. (JEAN-LOUP GAUTREAU / AFP)

Le joueur roumain Andrei Pavel n'avait jamais passé les 8e de finale d'un tournoi du Grand Chelem. Mais à Roland-Garros, en 2002, il se surpasse et atteint les quarts. Manque de chance pour lui, son bébé, prévu pour la fin du mois de juin, décide d'arriver avec quinze jours d'avance, pile au moment de son quart de finale contre l'Espagnol Alex Corretja. Ce dernier mène 7-6, 7-5, 4-5 quand le ciel fait des siennes. Match interrompu. Le lendemain matin, la météo ne s'améliore pas.

Quand son épouse appelle Andrei Pavel pour lui annoncer l'imminence de l'accouchement, il n'hésite pas une seconde. "C'était vraiment à la dernière minute. Pas moyen de trouver un vol pour Berlin. Avec mon préparateur physique, on a loué une voiture et taillé la route", confie-t-il au site spécialisé We Are Tennis. Ils devaient mettre six heures, ils en feront trois de plus à cause de la météo épouvantable, qui occasionne de nombreux accidents.

Pavel arrive à la maternité moins d'une heure après la naissance de son fils, Marius. "J'ai embrassé ma femme et ma fille, tenu mon fils dans les bras, versé une petite larme, et je suis reparti", raconte-t-il. Il arrive à cinq heures du matin Porte d'Auteuil, le jeudi. Un vigile soupçonneux refuse de le laisser entrer. Il lui faut palabrer un long moment pour arriver au vestiaire et... piquer une petite sieste avant d'entrer sur le court. Dix-sept points et vingt minutes plus tard, il est officiellement éliminé du tournoi. "Pour moi, ça ne faisait pas un pli : je serais parti à Berlin, pluie ou pas pluie. Tant pis pour le challenge sportif."

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