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Tennis : l'Open d'Australie, ce tournoi où le court se transforme en four

Une bouteille d'eau qui fond, une chaise trop brûlante pour s'asseoir, des joueurs qui s'évanouissent : le tournoi de Melbourne a débuté, lundi, sous une chaleur suffocante. Et ce n'est pas la première fois.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Rafael Nadal lors du premier tour de l'Open d'Australie, le 14 janvier 2014. (AARON FAVILA / AP / SIPA)

L'Open d'Australie a déjà battu un nouveau record, mardi 14 janvier. Pas de chaleur, non, enfin, pas encore (43 °C à l'ombre, quand même). Mais celui du plus grand nombre d'abandons, 9, égalant en trois jours le record établi à l'US Open 2011... sur deux semaines. "J’ai eu l’impression de rentrer dans un four", raconte le joueur français Benoît Paire, dont l'adversaire s'est évanoui sur le court. C'était le Canadien Frank Dancevic, qui a souffert d'une déshydratation sévère : "Une heure et demie après la fin du match, je ne peux toujours pas pisser", explique-t-il. La Danoise Caroline Wozniacki a carrément vu sa bouteille d'eau fondre au soleil et Jo-Wilfried Tsonga avait les chaussures qui collaient au béton du court... "C'est pas du tennis, c'est Koh-Lanta", a résumé Kristina Mladenovic. Et oui. Et c'est (presque) comme ça tous les ans. 

On a fait frire un œuf sur le court

Pourtant, le tournoi a mis en place une procédure d'urgence, la Extreme Heat Policy, qui stipule qu'au-delà d'une certaine température, on accorde des pauses plus longues aux joueuses (mais pas aux joueurs), on distribue généreusement des poches de glace et on ferme le toit sur les courts qui en sont équipés.

16 janvier 2007 : le thermomètre dépasse les 110° Fahrenheit, soit 43 °C, à l'Open d'Australie, à Melbourne.  (DAVID GRAY / REUTERS)

Cela dit, il fait 40°C ou plus depuis trois jours à Melbourne et ce plan Orsec pour tennismen n'est toujours pas enclenché. Car ce n'est pas le mercure qui compte pour les organisateurs, mais le Wet Bulb Globe Temperature, un indice fait de nombreux paramètres, impliquant de savantes équations (le détail sur cette page mi-arithmétique, mi-anglais). Ce dispositif d'urgence n'avait pas été déclenché quand le tournoi avait connu un record de chaleur, plus de 35 °C sur 15 jours en 2009. Cette année-là, on avait fait frire un œuf en 10 minutes sur le court central, rappelle le Daily Mail. Jusqu'ici, tout va bien...

"Jusqu'ici, aucun joueur n'est mort"

"A Perth [la principale ville du sud-ouest de l'Australie], on ne dit pas qu'il fait chaud en dessous de 40 °C, fait remarquer un journaliste australien à l'envoyée spéciale d'ESPN, médusée. On appelle ça l'été, voilà tout." Les locaux affichent une décontraction remarquable sur le sujet. Le docteur du tournoi, Tim Wood, est monté au créneau, relax : "Jusqu'ici, aucun joueur n'est jamais mort de déshydratation", lâche-t-il. "Le tennis est un sport qui présente peu de risques par forte chaleur, comparé au football australien, pratiqué à Melbourne, un sport où on court tout le temps." Au tennis, en effet, les efforts sont fractionnés et les joueurs bénéficient d'une vingtaine de secondes entre chaque point. Ils sont aussi assis durant 1 minute 30 tous les deux jeux.

Le docteur Wood déclarait pourtant en 2009, à ESPN, qu'il s'était fait du souci pour la joueuse néerlandaise Michaella Krajicek, en perdition face à Amélie Mauresmo lors de l'édition 2006 du tournoi : "Elle avait eu une mauvaise expérience avec la chaleur en junior, et je crois que la combinaison de la pression du court central, la forte chaleur et ses souvenirs traumatisants ont pris le dessus. Heureusement, elle a pris la décision d'abandonner, avant que nous ne la forcions à le faire."

Joueurs, joueuses, rassurez-vous, le bon docteur Wood a tout prévu : "Nous avons distribué aux joueurs une fiche pour bien se préparer." Une fiche, quelle fiche ? réplique aussitôt, sur Twitter, l'Américaine Bethanie Mattek-Sands. "On n'a pas reçu de fiche, tout ce qu'on peut faire pour se préparer, c'est regarder la météo sur notre smartphone."

"Mes jambes ont arrêté de fonctionner"

Et pourtant, les fortes chaleurs ont des conséquences pour tous les joueurs. Le temps de réaction est retardé de quelques centièmes de secondes et, dans les cas les plus sérieux, les jambes deviennent flageolantes. "Mes jambes ont arrêté de fonctionner, se souvient, sur la BBC, la Suissesse Martina Hingis, qui s'est liquéfiée lors d'une finale, en 2002, contre l'Américaine Jennifer Capriati. Le cerveau donne toujours l'ordre, mais le corps ne suit pas."

La Suissesse Martine Hingis en perdition, en finale de l'Open d'Australie, contre l'Américaine Jennifer Capriati, le 26 janvier 2002.  (NICK LAHAM / GETTY IMAGES ASIA PAC)

L'Open d'Australie est disputé pendant l'été dans l'hémisphère sud, et ça n'est pas près de changer... "car sinon, les ramasseurs de balles ne seront plus en vacances scolaires", répondent sans ciller les partisans du maintien en janvier. Au fond, le tournoi n'a été totalement interrompu que deux fois à cause de la fournaise ambiante : cinq jours en 1908 et trois jours en 1959. En 1993, la température est mesurée à 60 °C sur le court central. Trois ramasseurs de balles et une juge de ligne tombent dans les pommes. "Il n’est pas rare que des joueurs soient évacués sur une civière", explique l'entraîneur Patrick Mouratoglou, interrogé par le site welovetennis.fr.

Des feuilles de chou contre la canicule

La joueuse américaine Mary Joe Fernandez se souvient avec effroi de deux matchs disputés sur le Court Central. En demi-finale, contre Monica Seles, elle se souvient qu'elle laissait échapper à chaque pas une petite flaque de sueur derrière elle. En 1997, elle est dans le vestiaire, se préparant à affronter la Suissesse Patty Schnyder, quand arrive l'Espagnole Conchita Martinez, qui vient d'être battue. Fernandez raconte, à ESPN "'Si tu ne gagnes pas le premier set, tu es morte', me dit Conchita. Et bien sûr, je perds le premier set. Je me dis : 'Oh mon Dieu, je n'ai plus une seule chance'. Mais quelques jeux après, dans le second set, Schnyder prend un coup de chaud, et c'est terminé pour elle. Ils ont dû la sortir du court et lui injecter des vitamines."

N'hésitez pas à demander des conseils aux locaux. En 1976, Rod Laver et Tony Roche disputent une demi-finale par 41 °C et utilisent un vieux truc d'Australien pour garder la tête froide : ils disposent sous leur casquette des feuilles de chou humide. Résultat : ils se bagarrent quatre heures dans le cagnard. Le match, épique, s'est joué à un point près, sur une balle peu évidente jugée faute par l'arbitre, se souvient l'historien du tournoi, Bud Collins, dans World Tennis Magazine (en anglais)

Disputer le tournoi en Australie, c'est de toute façon accepter la météo capricieuse du pays. En cinq minutes, avant la finale 1976, la température s'effondre de 40 °C à 26 °C. Il y a une semaine, Serena Williams a râlé dans la presse sur le froid (ou plutôt la fraîcheur) qui règnait à Melbourne. Si. "J'aurais mieux fait de me taire", a reconnu depuis l'Américaine, la grande favorite du tournoi, dans The Independant (en anglais)

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