: Reportage Wimbledon 2023 : tonte à 8mm, retouche de peinture… Le rituel quotidien et minutieux de l’entretien du gazon londonien
Il est tout juste 7h du matin, jeudi 6 juillet, et le All England Lawn Tennis and Croquet Club (AELTC), surplombé par l'église Sainte-Marie du village de Wimbledon, se réveille progressivement. La lumière est douce et les températures sont fraîches. Il fait seulement 13 degrés ce matin-là. Tous reconnaissables à leurs tenues vert courgette, ils sont les premiers à fouler la pelouse qui sera mise à mal par les courses effrénées des meilleurs joueuses et joueurs de tennis.
"On espère qu’il ne pleuvra pas aujourd’hui", lance l'un d'eux. "On ne peut que prier", lui répond son voisin. "Prêts ? Tirez", s'exclame un troisième, plus loin. Sur le court numéro 4, ils sont six à tirer sur des sangles, vertes et violettes, pour débâcher le gazon. Plus celle-ci s'enroule, plus ils doivent donner de la force pour découvrir entièrement le terrain. Une fois à l'air libre, l'herbe est, le temps de quelques minutes, scintillante. Pendant ce temps, d'autres agents d'entretien nettoient les tableaux d'affichage et les allées, sèchent les assises, et alignent méthodiquement les bancs en bois sur le bord des courts.
Neil Stubley, le monsieur gazon de Wimbledon
Des tests micros sont également réalisés et les maîtres-chiens commencent aussi leur journée. Les "search dogs", qui ont pour mission de repérer les explosifs, sont la coqueluche des ramasseurs de balles qui viennent d'arriver. Dans ces mêmes travées, on croise aussi Neil Stubley, responsable des courts et de l'horticulture à l'AELTC, qui supervise tous les jours, de bon matin, le travail des agents.
A 54 ans, il est le huitième à occuper ce poste depuis la création du tournoi. En 2012, il avait pris la suite d'Eddie Seaward, un prédécesseur fort de 30 éditions. S'il n'est en charge des courts que depuis onze ans, Stubley en est à son 28e tournoi. Un "honneur, mais aussi beaucoup de pression, confie le chef des courts. J'aime à penser que l'on peut faire partie de l'histoire. Vous prenez le relais, en quelque sorte, de votre prédécesseur, et avec un peu de chance, vous laissez la place dans une meilleure position que celle dans laquelle vous l'avez prise."
Une tonte à 8 mm
Le rituel de l'entretien des courts est minutieux. La première mission des équipes est de nettoyer les lignes à l'aide d'un souffleur portatif, afin d'enlever les herbes arrachées la veille et de permettre l'application de la peinture. Puis, place au petit rugissement des tondeuses, près d'une demi-heure plus tard. La tâche est précise : il faut tondre à la verticale, et suivre sa ligne, dans un rythme régulier.
8 millimètres. Pas plus, pas moins. Voilà la hauteur réglementaire de l'herbe. "Nous avons déterminé cette hauteur avec le Sports Turf Research Institute (STRI, un cabinet de conseil spécialisé dans le développement de surfaces sportives). A huit millimètres, il y a assez de feuilles sur la plante pour qu'elle puisse réaliser la photosynthèse, pour lui permettre de survivre et de se réparer pendant la nuit. Et c'est assez court pour que les chaussures des joueurs ne s'agrippent pas et glissent. C'est un juste milieu", développe Neil Stubley. Après quelques allers-retours, les deux nuances de vert sont ravivées.
Dernière mission : la peinture des lignes. A l'extérieur du court, à l'aide d'un couteau, l'excédent de peinture est d'abord enlevé sur les rouleaux. Puis, il faut tirer une corde orange, le long de chaque ligne, sur la partie intérieure, afin de s'en servir comme ligne directrice pour passer le rouleau à peinture. Deux machines se relaient, avec deux largeurs différentes, pour correspondre aux lignes de l'intérieur du court et à celles du couloir et du fond du court. Une fois encore, le travail est effectué au millimètre près. Les légères traces laissées par les roues de l'appareil sont ensuite effacées au balai à éponge.
Cette routine chorégraphiée est réalisée chaque jour par les agents d'entretien. Le soir uniquement, les courts sont arrosés selon les besoins. "Si un court est trop ferme, nous pouvons l'arroser plus pour l'assouplir. Cela peut aller de 800 à 1 600 litres d'eau par jour et par court. Ce qui semble beaucoup, mais sur cette vaste zone, c'est littéralement un millimètre de pluie, ou l'équivalent de cinq minutes d'averse."
"Les semaines qui précèdent les championnats, on arrose beaucoup. Le profil du sol est donc assez humide. Pendant le tournoi, il suffit d'un petit coup d'eau pour rafraîchir et redonner de la couleur pendant la nuit. Il ne faut surtout pas trop arroser, au risque que le terrain glisse."
Neil Stubley, responsable des courts et de l'horticulture à l'AELTCà franceinfo: sport
Le soir, "l'herbe arrachée lors de la journée est aussi enlevée à l'aide d'un aspirateur. Et une équipe vérifie qu'il n'y a pas eu de dommages causés sur les courts lors des matchs", ajoute Neil Stubley. De nombreuses données sont aussi récoltées chaque jour et observées scrupuleusement : la dureté du sol et de l'herbe, l'usure du court, ainsi que le rebond de la balle.
Un entretien à l'année
Après le tournoi, les courts sont également entretenus et accessibles aux membres du club. "En août et septembre, nous commençons lentement à fermer des lots de courts, puis nous procédons à une rénovation qui consistera, selon l'état du court, soit à enlever tout le revêtement, soit à revenir au niveau du sol, puis à réensemencer. Ou bien, sur d'autres courts, nous procéderons simplement à un léger labour, ce qui nous permettra de les éclaircir et de les ensemencer un peu plus, puis de refaire les niveaux", approfondit Neil Stubley.
"Chaque court est soumis à un cycle de deux ou trois ans, où nous enlevons le gazon. Nous le traitons pour éviter la venue de parasites ou de maladies et nous replantons", précise-t-il. La pousse s'effectue à l'automne et est ensuite entretenue jusqu'au printemps. Au total, ce sont dix tonnes de semences qui sont plantées chaque année.
A l'approche du tournoi, les courts sont mis à niveau et les coupes deviennent plus précises. La quantité d'engrais utilisée tout au long de l'année se réduit. "Même si vous voulez une belle couleur verte, vous ne voulez pas non plus qu'elle soit luxuriante et glissante", justifie Neil Stubley.
Un gazon plus résistant depuis 2001
Depuis 2001, les semences utilisées sont à 100% de ray-grass vivace. Auparavant, le gazon était composé d'un mélange de deux variétés, de seigle (70%) et de fétuque rouge (30%). "Des recherches, menées par le STRI, ont démontré que ce gazon était plus résistant aux conditions climatiques et à l'usure provoquée par le jeu moderne, sans en affecter la vitesse perçue sur le court", détaille Neil Stubley. C'est aussi pour cela que le "middle sunday", journée de pause le dimanche intermédiaire, a été supprimé, le gazon n'ayant plus besoin d'un jour de repos.
Afin de dompter cette surface vivante, Neil Stubley et ses équipes, 18 toute l'année, 30 pendant le tournoi, veulent toujours mieux faire. "Nous ne voulons jamais nous reposer sur nos lauriers. Nous sommes toujours à la recherche de ce 1% d'amélioration, c'est pourquoi nous sommes attentifs à chaque détail", assure le chef de l'entretien des courts. Une rigueur d'autant plus nécessaire avec le changement climatique. "Nous sommes très à l'écoute de la plante et de la nature. Et nous sommes toujours en quête d'une graminée qui, certes doit être résistante au jeu, mais aussi à la sécheresse. C'est pourquoi, nous essayons de travailler avec des semences qui sont plus autonomes, qui ont donc moins besoin d'engrais." L'équilibre est fragile et Stubley entend bien l'entretenir jusqu’à passer la main.
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