De la dictature à la Grande Boucle, le parcours de Daniel Teklehaimanot, premier Noir africain sur le Tour
Le meilleur coureur africain est érythréen. Dur, dur d'être érigé en modèle par un régime autoritaire et de porter sur ses épaules tous les espoirs de l'Afrique.
"Quand ils seront prêts, ils vont faire mal." Bernard Hinault ne tarit pas d'éloges sur le cyclisme africain. L'équipe MTN-Qhubeka, première formation africaine invitée sur le Tour de France, est donc attendue au tournant. Dans ses rangs, de vieux grognards européens du peloton et pas mal de jeunes pousses africaines, dont le meilleur espoir du continent, l'Erythréen Daniel Teklehaimanot. Ce dernier a parcouru un long chemin semé d'embûches, avant de se retrouver au départ du Tour à Utrecht (Pays-Bas) avec le statut de premier Noir africain à participer à la Grande Boucle.
Erythrée, censure, torture et passion du vélo
Le pays de Daniel Teklehaimanot est plus connu pour sa dernière place au classement de la liberté de la presse, pour ses 4 000 personnes qui fuient le régime chaque mois (souvent vers l'Europe), pour sa guerre civile longue de trente ans et pour le taux de remplissage de ses prisons que pour son amour de la petite reine, héritage du colonisateur italien. On y trouve 500 000 vélos pour un peu plus de 6 millions d'habitants, un taux d'équipement record en Afrique, note Geo (en allemand). Le Tour de France y est diffusé en intégralité sur la télévision publique. Et le Tour d'Erythrée est un évènement populaire, avec des spectateurs hystériques (calmés à coups de bâton par la police locale) qui paient pour voir passer les coureurs, chose unique au monde en cyclisme.
"Chez nous, on a tout pour faire de grands cyclistes, confiait l'entraîneur national Samson Solomon, dans Vélo Magazine, fin 2012. C'est resté le moyen de locomotion le plus utilisé, et il n'a pas été difficile de motiver les jeunes pour la compétition." L'amour du sport, sans doute, mais aussi la perspective d'échapper au service militaire à durée indéterminée obligatoire pour tous les jeunes à partir de 17 ans. Ainsi, 200 coureurs sont professionnels en Erythrée, une façon comme une autre d'échapper à cet esclavage moderne. Car c'est le ministère de la Défense qui place les habitants à tous les échelons de la société, de garçon de café à haut fonctionnaire.
"Ses opinions politiques, il les garde pour lui"
Repéré lors d'une course en Afrique, Daniel Teklehaimanot part en 2009 en Suisse s'entraîner au Centre mondial du cyclisme, une structure créée par l'UCI pour perfectionner les meilleurs cyclistes des pays défavorisés. "Les Erythréens sont très pauvres, mais très fiers, confie Jean-Pierre Van Zyl, entraîneur sud-africain au centre mondial du cyclisme, dans Cycle Sport (en anglais). Ce sont de bons coureurs car ils sont très disciplinés." Quand il débarque dans les Alpes, à Aigle, Daniel Teklehaimanot n'a jamais vu un dentiste de sa vie. Le staff découvre aussi que le coureur a une jambe plus longue que l'autre et surtout qu'il souffre de tachycardie, raconte Esquire (en anglais). Mais ses tests d'effort dépassent tout ce que les coachs ont jamais mesuré. En raison de sa tachycardie, il est opéré du cœur et sa récupération physique s'effectue en un temps record.
En 2011, il s'adjuge le Tour du Rwanda, une des courses majeures du continent africain. A son retour au pays, il parade avec le très autoritaire président Issayas Afewerki. "Cela ne veut pas dire qu'il soutient le régime, nuance le journaliste Léonard Vincent, auteur du livre Les Erythréens (éditions Rivages, 2012), contacté par francetv info. Il est une icône pour tous les Erythréens, ceux de l'intérieur comme la diaspora d'opposants qui ont fui. Mais il garde ses opinions politiques pour lui. Comme me le disait un haut fonctionnaire qui a travaillé pour le président avant de faire défection : 'Là-bas, tout le monde fait semblant.'"
Jamais le coureur n'a eu un mot contre son pays, qui l'a privé de visa pour la Suisse à plusieurs reprises après ses vacances, l'empêchant d'arriver à temps pour la reprise de la saison. Et on ne l'a pas entendu pester contre l'absence quasi-totale de connexion à internet en Erythrée, ce qui ne permet pas d'accéder au système de géolocalisation antidopage. Il y aurait eu de quoi, pourtant. "Dans les cybercafés, comptez un bon quart d'heure pour charger la page d'accueil de Gmail, raconte Léonard Vincent. Il n'y a que des vieux modems de vingt ans d'âge."
"Créer un héros pour tous les coureurs africains"
Sa participation à la course en ligne des Jeux olympiques de Londres, en 2012, est l'occasion d'un grand moment de propagande du régime. Le ministère de l'Information publie un communiqué intitulé : "Le jeune talent érythréen Daniel Teklehaimanot à 40 secondes d'une médaille d'or olympique". Ce que ne précise pas le ministère, c'est que le jeune espoir s'est classé 72e de l'épreuve, bien loin du podium. En revanche, on y trouve un long développement sur la ferveur des supporters érythréens, dont l'emplacement le long du parcours a été "personnellement supervisé" par l'ambassadeur à Londres.
Daniel Teklehaimanot est un grimpeur, comme beaucoup de coureurs érythréens. La topographie vallonnée du pays s'y prête. Ce qui ne gâche rien, c'est que les coureurs vivent à l'année à Asmara, la capitale, située à 2 340 mètres d'altitude. Un peu comme si Thibaut Pinot s'installait à demeure au sommet du Ventoux. Rien de tel pour booster son taux de globules rouges dans le sang et mieux résister à l'effort. "Ils tiennent la comparaison avec les athlètes européens hautement entraînés", explique à Slate Afrique Radek Valenta, qui a coaché l'équipe nationale en 2009. Le maillot à pois de Teklehaimanot sur le critérium du Dauphiné en juin 2015 est peut-être annonciateur d'un exploit sur une étape de montagne lors du Tour de France.
C'est ce dont rêve à voix haute Douglas Snyder, le patron milliardaire et militant de son équipe sud-africaine MTN-Qhubeka : "Pourquoi l'Afrique produit les meilleurs coureurs de fond du monde et aucun cycliste ? s'interroge-t-il dans une interview à InCycle (en anglais). On peut créer un héros pour les coureurs africains. Comme cela, le vélo deviendrait cool en Afrique. Les gens en feraient plus, et on aurait plus de champions." Daniel Teklehaimanot sait ce qu'il lui reste à faire.
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