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Faut-il avoir la peau sur les os pour remporter le Tour de France ?

Afin d'optimiser leurs performances, notamment dans les étapes de montagne, les coureurs ont recours à des régimes de plus en plus drastiques. Mais pour certains, cela va même plus loin. 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le maillot jaune du Tour de France 2015 Christopher Froome lors de l'étape Seraing-Cambrai, le 7 juillet 2015. (JEFF PACHOUD / AFP)

Les maillots des coureurs ont beau être moulants, on a l'impression que Christopher Froome flotte dans son maillot jaune. Le coureur de la Sky est, cette année, plus maigre que jamais - certains diront squelettique. Est-ce le prix à payer pour remporter la Grande Boucle ? 

Depuis son arrivée fracassante sur les routes du Tour de France, l'équipe Sky se distingue par ses leaders aussi puissants que maigrichons. Quand Bradley Wiggins remporte la Grande Boucle en 2012, il pèse 71 kg, 11 kg de moins que lors de sa première participation, en 2006. En 2011, il était même descendu jusqu'à 69 kg. "Je sentais que j'avais perdu de la puissance. Si j'avais continué le Tour [il a dû abandonner assez rapidement à cause d'une fracture de la clavicule], je pense que j'aurais été largué, car j'étais trop léger", explique-t-il dans GQ. Après son titre, Bradley Wiggins fera la fête tout l'hiver, rattrapant toutes les bières dont il s'était privé pour atteindre le titre suprême. 

"Si tu veux gagner le Tour, tu dois avoir faim"

Entre l'hiver et le début de l'été, les favoris du Tour de France cherchent à maigrir progressivement pour atteindre leur poids de forme début juillet. La compagne de Chris Froome, Michelle Cound, confie au JDD : "J’ai aidé Chris à tenir son régime dans les dernières semaines avant son départ, celles où il faut perdre 2 à 3 kg. Parfois, il me suppliait pour manger. Je lui répondais : ‘Si tu veux gagner le Tour, tu dois avoir faim.'"

Le calcul est simple : moins un coureur est lourd, moins il aura à traîner son poids en montagne : jusqu'à une minute de perdue par kilo superflu dans un col. Quand on sait que le Tour peut se jouer à quelques secondes... Mais il y a maigrir, et maigrir sans perdre sa puissance sur un vélo. Un savant équilibre. David Veilleux, ancien coureur de l'équipe Europcar, explique : "Pour pouvoir passer à travers les cols du Tour de France, j’ai dû perdre le plus possible les muscles du haut du corps, qui n’étaient pas nécessaires. Les cyclistes recherchent toujours le meilleur rapport poids-puissance, et notre but est d’avoir uniquement les muscles qui sont nécessaires sur notre vélo." 

Huile de poisson, nectar d'algarve et blanquette de veau

Les coureurs cyclistes font attention à leur poids depuis des décennies. Si un Jacques Anquetil ne dédaignait pas une petite blanquette de veau avant d'aller disputer une étape, Louison Bobet suivait les méthodes diététiques de l'Américain Gayelord Hauser et pesait tous ses aliments. La tendance s'est accentuée avec l'arrivée des nutritionnistes. 

La Sky s'est ainsi fait connaître par sa science des "gains marginaux". Le nutritionniste de l'équipe, David Mitchell, qui soignait auparavant des personnes victimes de cancers, a ainsi décrété que chaque coureur devait absorber 2 cl d'huile de poisson tous les soirs pour favoriser le tonus musculaire. Et le nectar d'algarve a remplacé le sucre sur la table de l'équipe, rapporte Road Cycling UK.

Mesurez la différence : Eddy Merckx ou Bernard Hinault avaient un indice de masse grasse compris entre 8 et 15%. C'est deux fois moins pour le grimpeur Marco Pantani au sommet de sa forme, en 1999, ou un Bradley Wiggins au régime, qui tournaient autour de 4%. 

Le nombre de coquillettes dans l'assiette est compté

Le coureur danois Michael Rasmussen, porteur du maillot jaune, le 22 juillet 2007 lors d'une étape s'achevant au Plateau de Beille, dans les Pyrénées. (STEFANO RELLANDINI / REUTERS)

Tout le peloton surveille son rapport poids-puissance comme le lait sur le feu. Le grimpeur danois Michael Rasmussen, surnommé "Chicken" pour ses jambes squelettiques et son teint cadavérique, comptait le nombre de coquillettes dans son assiette avant de les manger, et confiait sa chaîne en or à son directeur sportif au pied des cols pour gagner 25 gr. "Les coureurs en sont à calculer quelle est la stratégie optimale concernant leur bidon : à quel moment vaut-il mieux le jeter et perdre ainsi la possibilité de s’hydrater, parce que cela va se traduire en watt-kilo et donc améliorer leur performance", remarque, incrédule, Grégoire Millet, professeur à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne (Suisse), interrogé dans Le Temps.

Le cyclisme de haut niveau est-il une machine à créer des anorexiques ? Une étude américaine, citée par le site CyclingTips, met en lumière que 20% des coureurs souffrent de troubles de l'alimentation, et que la moitié pense que cela fait partie des contraintes inhérentes à ce sport. Tyler Hamilton, ancien équipier de Lance Armstrong au sein de l'équipe US Postal, savait parfaitement qu'il s'affamait pour rester au top en montagne. Lors des repas entre amis, il mangeait une portion de son plat, simulait un éternuement, recrachait tout dans son mouchoir, avant de s'en débarrasser discrètement aux toilettes, décrit-il dans son livre La course secrète. Résultat : "J'avais mal quand je m'asseyais sur les chaises en bois de notre salle à manger. Je n'avais plus un gramme de gras dans les fesses. Mes os étaient au contact du bois, et c'était douloureux. J'étais obligé de mettre une serviette-éponge." 

"Le peloton a l'air de sortir d'un camp de concentration"

Les coureurs ont tout tenté pour tromper la faim. Le Russe Mikhaïl Ignatiev explique à CyclingNews qu'il s'entraîne à l'heure du déjeuner. Tyler Hamilton (encore lui) prenait des somnifères avant l'heure du dîner pour sauter un repas. Le coureur britannique Jamie Burrows, lors de son passage dans une équipe italienne, a eu un manager qui mettait un cadenas sur la porte de la cuisine de l'hôtel pour empêcher les coureurs de grappiller une cuisse de poulet dans le frigo.

Le même manager faisait la tournée des chambres le soir pour empêcher les coureurs de manger des sucreries. Ces derniers avaient trouvé la parade : ils consommaient des barres chocolatées à la fenêtre de leur chambre et jetaient aussitôt l'emballage par la fenêtre. Si un coureur était pris la main dans le sac, le manager imposait sur-le-champ un entraînement à toute l'équipe. De jour comme de nuit. Pas étonnant que le Britannique Ben Greenwood se souvienne, dans une chronique sur Velonation, de courses en Italie où "le peloton avait l'air de sortir d'un camp de concentration." 

Et le dopage dans tout ça ? Les optimistes diront que le fait que des coureurs de 80 kg comme Lance Armstrong ne survolent plus les étapes de montagne signifie la fin de l'ère EPO. Les sceptiques se demanderont s'il faut y voir l'effet de la molécule miracle qui brûle les graisses et donne des ailes, l'Aicar, encore difficilement détectable. 

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