Le Tour de France féminin va-t-il décoller un jour ?
Ce n'est pas gagné, sans le nom prestigieux du Tour pour l'aider, en l'absence des championnes, et avec une série d'échecs par le passé pour transposer la Grande Boucle au féminin...
Il n'y a pas que les coureurs du Tour de France qui souffrent sur leur vélo en ce mois de juillet. En même temps, se déroule, en Italie, le Giro d'Italia, considéré comme la course la plus relevée pour les coureuses, avec une heure de diffusion sur la télévision italienne. Au mois d'août, la Route de France féminine (qu'on n'a pas le droit d'appeler Tour de France féminin pour des questions de droits) va s'élancer d'Enghien-les-Bains direction Mulhouse dans une relative indifférence. Pourquoi ?
Grandeur et décadence du Tour de France au féminin
Cela fait plus d'un demi-siècle que certains essaient de lancer une grande course féminine qui déchaîne les passions et attire les foules. La première tentative, en 1955, n'est pas un franc succès. Quand l'organisateur, Jean Leulliot, tire le bilan de l'épreuve, il loue l'enthousiasme du peloton, mais déplore qu'il "bavarde tout le temps" et que les coureuses s'usent après l'étape à rester debout pour faire les magasins, raconte le site Mémoire du cyclisme. Vous avez dit cliché ? La compétition disparaît au bout de quelques années.
La société du Tour de France (qui ne s'appelle pas encore A.S.O.) se rend compte du potentiel d'une course féminine, et lance le Tour de France féminin dans les années 1980. Les coureuses effectuent une partie de l'étape des hommes, en lever de rideau, avant la caravane publicitaire. L'expérience avorte après quelques années (et trois victoires de Jeannie Longo). La Grande Boucle féminine prend le relais. La première édition, en 1992, est une réussite. Tous les ingrédients sont réunis : le suspense, le casting (Jeannie Longo contre sa grande rivale néerlandaise Leontien van Moorsel) et l'engouement populaire. Jusqu'à 80 000 spectateurs lors des étapes de montagne disputées sur les pentes de Luz-Ardiden, Vaujany et l'Alpe d'Huez, rappelle le site spécialisé Le Dérailleur.
"J'étais pilote officiel sur la Grande Boucle féminine entre 1997 et 2004, raconte Michel Lerouge, qui dirige désormais La Gazette du cyclisme féminin. C'était une belle épreuve qui durait 15 jours. On est partis de Corse, de Hollande, on a grimpé le Ventoux. Depuis, c'est tombé en désuétude." Des problèmes financiers plombent la course, qui s'arrête en 2009, pour être remplacée par la Route de France. Une épreuve sur une semaine, concentrée cette année dans l'Est de la France."On ne peut pas comparer la Route de France avec le Tour, confie Hervé Girardin, directeur de la course, et ancien d'A.S.O. Disons plutôt que c'est un petit Paris-Nice. D'habitude, la course dure 10 jours, mais avec les élections départementales, c'était plus compliqué que d'habitude." Le tracé se limite à la moitié nord de la France, "mais en Auvergne ou en Franche-Comté, il y a de quoi faire de belles étapes de montagne", se défend Hervé Girardin. "Et il ne faut pas se leurrer, le niveau du peloton est encore très hétérogène. Si je trace des étapes en haute montagne, je vais en perdre la moitié."
Pas de quoi attirer une Pauline Ferrand-Prévot, la star du cyclisme féminin, championne du monde en titre. Comme si Thibaut Pinot faisait l'impasse sur le Tour. Membre d'une équipe étrangère, elle privilégie le Giro, la grande course à étapes... ce qui n'aide pas à renforcer la popularité de la Route de France. "Elle n'a pas fait une seule course à étapes en France cette année", regrette Hervé Girardin.
"Mes équipières posent des congés pour courir"
La faiblesse de la Route de France s'explique aussi par l'absence de structures dans le pays, qui ne compte qu'une équipe professionnelle. Aucune formation tricolore masculine (Europcar, Cofidis, AG2R etc...) ne finance une équipe féminine, contrairement à Lotto, Astana ou Orica GreenEdge. Une grande majorité des 80 participantes à la Route de France sont amatrices, comme Lucie Pader, interrogée par France 3 Auvergne : "Je travaille dans un collège en tant qu'agent administratif. J'ai l'avantage d'être en vacances. Mais je suis la seule à avoir cette chance. Dans mon équipe, elles posent des jours pour courir, c'est dommage."
Vous avez dit sport de smicardes ? C'est la vérité. L'Union cycliste internationale (UCI) n'a pas fixé de salaire minimum pour les coureuses pros, contrairement à ce qui se fait pour les hommes (33 000 euros annuels). "Décréter un salaire minimum pour les coureuses n'entraînerait rien d'autre qu'une réduction drastique du nombre d'équipes", écrivait Brian Cookson, le patron de l'UCI, dans le Daily Telegraph (en anglais). Petit signe d'encouragement au cyclisme féminin, une personne a été détachée pour s'occuper à plein temps du compte Twitter de l'UCI consacré aux actus du cyclisme féminin, relève le Guardian.
"Difficile de dire si la Course by le Tour va booster le cyclisme féminin"
Il a fallu une pétition signée par 90 000 personnes réclamant la tenue d'un Tour de France féminin pour que les choses bougent (un peu), en 2014. A.S.O. a annoncé la tenue d'une course d'un jour sur les Champs-Elysées quelques heures avant le passage du peloton masculin. "On peut dire que la Course by le Tour va dans le bon sens pour le vélo féminin, au moins pour se faire connaître du grand public, commente Gwenaëlle Riou, qui tient le blog de référence sur le cyclisme féminin. Est-ce que ça a boosté la discipline ? Difficile à dire. Si ça peut donner envie aux petites filles de se lancer dans ce sport, c’est super. Mais qu’est-ce que deux heures de vélo féminin à la télé dans une année ?"
Sans aucun doute pas assez, d'autant que le chemin à parcourir reste long, comme le résume Michel Lerouge, d'une anecdote. "J'étais à Saint-Jean d'Angely en Charente pour la Ronde des Mouettes, une course féminine disputée sur un circuit. On les voyait passer toutes les deux minutes. Les sponsors se sont décarcassés, les élus ont joué le jeu, mais il y avait 50 spectateurs à tout casser. C'est moche."
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