Tour de France : le maillot à pois, un maillot en bois ?
Le maillot à pois fait souvent figure de plan B pour les coureurs français largués au général. Mais que vaut vraiment la tunique du meilleur grimpeur ?
Il existe trois façons de réussir son Tour pour un coureur français. 1) Ramener le maillot jaune à Paris, ce qui demeure hautement improbable. 2) Remporter une victoire d'étape, si possible de prestige (cette année, le must c'est le Mont Ventoux le 14 juillet). 3) Le plan B habituel, c'est de gratter le maillot à pois. Une spécialité française : 21 coureurs tricolores l'ont ramené sur les Champs-Elysées. Mais ce maillot veut-il encore dire quelque chose ? Pas sûr…
Un classement accessoire dans les années 70
Le porteur du maillot à pois est souvent appelé "meilleur grimpeur" par le grand public. Techniquement, il s'agit du coureur qui a cumulé le plus de points au classement de la montagne, celui qui a franchi en tête le plus de cols. Le premier vainqueur de cette distinction, en 1933, était l'Espagnol Vicente Trueba. Un formidable grimpeur, mais un descendeur apocalyptique, qui perdait toute l'avance accumulée au sommet. Ce n'est qu'en 1975 que la direction du Tour lui invente un maillot distinctif. L'idée de départ était de dessiner une ligne de montagnes autour du maillot, façon bouteille d'Evian. Finalement, Jacques Goddet opte pour une casaque blanche à pois rouge inspirée des tenues des jockeys. Réaction du premier porteur, le Belge Lucien Van Impe, qui le rapporte à Paris : "j'ai l'air d'un clown".
Le maillot à pois échoue souvent sur les épaules d'un des prétendants à la victoire finale. 10 maillots jaunes, notamment Eddy Merckx, cumuleront la première place avec le Grand prix de la montagne. Lucien Van Impe, quintuple meilleur grimpeur du Tour, explique à Vélonation que c'était une conséquence inattendue de la lutte pour le classement général, pas un objectif en soi. Signe de cette importance relative, quand un coureur cumule la tête de tous les classements, le règlement stipule qu'il doit porter en priorité le maillot jaune, le maillot vert et enfin seulement le maillot à pois.
Un élément de folklore dans les années 2000
Richard Virenque et Laurent Jalabert vont considérablement changer le sens du maillot à pois, au tournant des années 2000. Remisant toutes leurs ambitions au classement général, ils vont se lancer dans des raids solitaires en montagne, accumuler un maximum de points, montrer leur visage grimaçant pendant de longues heures à la télévision et de temps en temps gagner une étape.
Du panache, toujours du panache, encore du panache, le public français qui perd foi dans les cadors du classement général, en redemande. Les objectifs de Richard Virenque pendant la seconde partie de sa carrière seront toujours les mêmes : une victoire d'étape, le maillot à pois à Paris, et sa saison était réussie. "Je ne sais pas si j'aurais eu la même carrière si je n'avais pas connu la joie de porter le maillot à pois", reconnaît Virenque dans une interview à L'Equipe, en 2015.
Au plus fort des années EPO, le maillot à pois devient le seul classement dans lequel les coureurs français ont une chance de briller. Depuis 1995, les Tricolores ont ramené une fois sur deux ce maillot distinctif à Paris. Le coureur français Anthony Charteau, meilleur grimpeur du Tour 2010 (malgré une 44e place au général) va cristalliser la perte de sens de l'épreuve. Les Anglo-Saxons parlent de "Charteaugate" et accusent le coureur nantais d'avoir bâti son succès dans des collines et des difficultés mineures de 3e catégorie. L'intéressé nie. N'empêche : l'année suivante, les règles du classement de la montagne sont modifiées. Les points dévolus aux petites côtes sont baissés, et ceux attribués lors des arrivées au sommet doublés, histoire de favoriser les meilleurs.
Un classement qui passe à côté de son objectif
Oubliez les calculs d'épicier, le classement du maillot à pois ne veut désormais plus dire grand chose. La faute à la modification profonde du parcours, voulue par les organisateurs sous l'impulsion de Christian Prudhomme, directeur depuis 2007. Finis les parcours avec des contre-la-montre XXL. Dans les années 90, le vainqueur-type était un Miguel Indurain, imbattable en contre-la-montre et qui limitait la casse en montagne. Depuis dix ans, il faut avant tout être un grimpeur pour avoir ses chances au général. Du coup, le meilleur grimpeur, c'est souvent le maillot jaune.
Démonstration de ce changement en deux graphiques. Le nombre de cols a fortement augmenté…
… alors que l'effort solitaire est réduit à la portion congrue.
Qui contestera que Christopher Froome était le meilleur grimpeur de l'édition 2015, et qu'il n'a gagné le maillot à pois que par accident ? Que Vincenzo Nibali, vainqueur de quatre étapes en 2014 était un cran au-dessus de la concurrence même si le Polonais Rafal Majka a gagné son maillot à pois par de longs raids ?
Des amoureux du vélo ont même suggéré de changer les modalités d'attribution du classement du meilleur grimpeur. Par exemple en confiant à un jury d'élire chaque jour le meilleur grimpeur, comme c'est déjà le cas pour le plus combatif. Ou de calculer le temps de chaque coureur lors de chaque ascension pour établir un classement "scientifique". Cycling Weekly proposait en 2013 de retenir une difficulté par étape, et de donner les points à celui qui l'aurait grimpée le plus rapidement. "Ce qui permettrait au vrai meilleur grimpeur de gagner le titre de roi de la montagne", conclut le magazine.
Cette fascination pour le maillot à pois n'est exacerbée à ce point qu'en France. En Espagne, les organisateurs ont longtemps tâtonné sur l'identité visuelle de ce maillot distinctif, allant jusqu'à oser un maillot orné de grains de café pour satisfaire un sponsor. Depuis cinq ans, le maillot du meilleur grimpeur de la Vuelta est blanc à pois… bleus.
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