Incontinence urinaire dans le sport : "Je me suis rendu compte qu'à l'entraînement, les filles ne buvaient pas", raconte un préparateur physique
Plus qu'un sujet méconnu, l'incontinence urinaire d'effort chez les athlètes de haut niveau est un tabou. Pourtant, plus d'une athlète sur deux est concernée, tous sports confondus. Elles sont même 80 % à l'être dans le trampoline, le sport le plus à risque, d'après l'étude "L’incontinence urinaire de la sportive" publiée en 2011 par Carole Maître, gynécologue à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep).
Bien que la majorité des athlètes n'en parlent pas, ou peu, autour d'elles, Mathieu Pereira, préparateur physique de l'équipe de France de trampoline à l'Insep, est très sensible à la question. Pour franceinfo: sport, il explique comment il a découvert cette pathologie et comment il accompagne et protège aujourd'hui ses athlètes.
L'incontinence urinaire d'effort concerne 50 % des athlètes de haut niveau tous sports confondus, et atteint même 80 % dans le trampoline. Comment avez-vous été sensibilisé sur le sujet ?
Mathieu Pereira : Je viens du football au départ, et j'ai découvert le trampoline il y a dix ans, avec ses problématiques au fur et à mesure. Un jour, je me suis rendu compte qu'à l'entraînement, quand je demandais aux athlètes de boire de l'eau, les filles ne buvaient pas. Et ces filles en l'occurrence étaient très jeunes. Ça m'a interloqué.
"Alors, lors d'un entraînement, je suis allé voir l'une d'entre elles, et je lui ai demandé pourquoi elle ne buvait pas. Et m'a répondu : 'parce que je n'ai pas envie de me pisser dessus'. Elle me l'a dit comme ça. "
Mathieu Pereira, préparateur physique de l'équipe de France de trampoline à l'Insepà franceinfo: sport
A partir de ce moment-là, je me suis renseigné sur le sujet et j'ai compris que, de par l'effort, il pouvait y avoir de petites pertes. En effet, l'effort est assez particulier au trampoline. Quand elles sont en fond de toile, elles prennent entre sept et dix fois leur poids de corps en retour de force, ce qui est très important en termes de contraction musculaire. De la même manière au niveau des acrobaties, quand elles sont en l'air, il y a un engagement musculaire et abdominal intense. Si elles ne sont pas bien engagées en termes de périnée, ou si elles n'ont pas conscience de leurs abdominaux, de petites fuites peuvent poser problème.
Comment avez-vous abordé le sujet avec vos athlètes ?
J'ai essayé de comprendre cette pathologie et d'accompagner les jeunes athlètes pour déjà dédramatiser la chose, en la rendant acceptable. Car, oui c'est la honte de se "pisser dessus" quand on a 13 ans et que l'on fait du sport. Ce n'est pas évident pour elles, car elles ont l'impression qu'elles sont des cas isolés. Mais pas du tout. On a donc effectué ensemble un travail sur les muscles profonds, sur le périnée, sur la respiration, sur la prise de conscience abdominale, sur les transverses en s'inspirant du pilate et de la rééducation périnatale chez les femmes qui viennent d'accoucher.
On va faire le même travail, pas pour rééduquer, mais pour éduquer. L'idée est de verbaliser tout cela pour que les athlètes comprennent pourquoi elles sont davantage sujettes à l'incontinence urinaire par rapport aux hommes, mais que ce n'est pas normal pour autant. Chez les adultes, c'est un peu différent, car elles sont déjà formées, et ont un vécu sur le sujet.
En tant que préparateur physique, constatez-vous un manque d'information et de sensibilisation des entraîneurs ?
Oui, il y a un gros travail à faire avec les entraîneurs. J'interviens parfois sur des modules de préparation physique, sur la formation des entraîneurs de trampoline. Avant, ce sujet n'était pas du tout abordé. Aujourd'hui, on en parle.
Le fait d'en discuter permet à l'entraîneur d'avoir cette petite alarme dans sa tête, et d'être vigilant quand il entraîne des jeunes athlètes, en pleine puberté, qui vont de plus en plus haut, qui encaissent de plus en plus d'impacts, et avec qui on est de plus en plus exigeant. En parallèle, il faut aussi sensibiliser les parents des athlètes, qui peuvent aussi jouer un rôle.
Quel est le danger de travailler avec des entraîneurs non sensibilisés à l'incontinence urinaire d'effort ?
Un entraîneur qui ne connaît pas cette pathologie peut, par exemple, s'en prendre à son athlète car elle ne boit pas. L'athlète va se déshydrater mais l'entraîneur ne comprend pas pourquoi, ce qui la met en danger. Cela crée un conflit sur le manque d'hydratation alors qu'en fait, il s'agit d'un faux problème.
L'athlète peut aussi se focaliser sur ses problèmes d'incontinence au point de ne plus penser à 100 % à l'aspect technique et se mettre en danger techniquement. La méconnaissance de l'incontinence urinaire peut entraîner plein de petites choses parasites dans la performance ainsi que dans le confort à l'entraînement.
Est-ce difficile d'aborder ce sujet avec des jeunes athlètes quand on est un entraîneur masculin ?
Oui, au début, ce n'était pas évident d'aborder ce sujet car, en tant qu'homme, je me suis retrouvé face à des jeunes athlètes de 12-13 ans, à leur expliquer : 'Il faut que l'on fasse des abdominaux profonds parce que sinon tu vas t'uriner dessus'. Quand tu as 12 ans, entendre cela de la bouche de ton préparateur physique, qui est un homme de 34 ans, tu n'es pas très à l'aise.
"Mais j'ai pris le parti de mettre les pieds dans le plat, et de les accompagner pour les aider à se sentir le plus à l'aise et le plus confortable possible lors des entraînements."
Mathieu Pereira, préparateur physique de l'équipe de France de trampolineà franceinfo: sport
Aujourd'hui, au sein du groupe, on en parle plus facilement, à tel point que n'importe quel athlète ou entraîneur formé récemment a connaissance du problème. Comprendre comment ton corps fonctionne te permet d'être un meilleur sportif, quel que soit le domaine.
Votre fédération a-t-elle pris la mesure du sujet ?
Un gros travail a été fait par les comités régionaux, qui proposent désormais des formations complémentaires pour les coachs avec une initiation à la méthode de Gasquet. Le seul bémol est qu'il manque un temps de transfert vers l'activité, autrement dit que cela devienne des réflexes pour les athlètes, qu'au moment où elles se trouvent en pleine figure, elles pensent à contracter les muscles du périnée. Quand on en sera là, ça sera extraordinaire.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.